Ce que le débat sur le cannabis dit des candidats à la primaire de la gauche

Ce que le débat sur le cannabis dit des candidats à la primaire de la gauche
Par mrpolo ,

L'irruption du cannabis a amené un peu de peps dans ce second débat de la primaire, consensuel à en mourir.

 

 

 

 

 

POOL New / Reuters

Arnaud Montebourt et Benoît Hamon lors du deuxième débat de la primaire de la gauche, le 15 janvier 2017. REUTERS/Bertrand Guay/Pool

 

"Je pense inutile qu'une élection présidentielle se déroule sur un sujet de cette nature", dixit Arnaud Montebourg, mi-dédaigneux, mi-agacé, pour conclure son propos sur la légalisation du cannabis.

 

Pourtant, parler du cannabis, c'est aussi parler sécurité. Pour les forces de Police et de Gendarmerie, la pénalisation revient à écluser la mer avec une cuillère, un réseau à peine tombé que le voilà remplacé, pour une raison simple: mettre le vendeur en prison ne fait pas disparaitre le consommateur et son argent. Le marché du cannabis est porté par la demande, pas par l'offre. Le résultat est catastrophique. Le trafic de cannabis nourrit le trafic d'armes. Des jeunes entrent en prison comme petits dealers et en ressortent transformés en islamistes radicaux. Résultat, la France détient le record de détenus par habitant en Europe, le record de la récidive pénale et le record de la consommation de cannabis!

 

Parler du cannabis, c'est également parler fiscalité. A l'heure où l'Etat racle ses fonds de tiroir pour financer ses multiples obligations, il jette des centaines de millions d'euros dans un puits sans fond, tout en se privant d'une manne de milliards d'euros, au profit de dealers qui ne paient pas d'impôts. Les trafiquants adorent les politiques qui prennent des allures martiales pour proclamer "la guerre à la drogue". Leur fonds de commerce dépend de la prohibition et ils en sont les premiers supporters, car sans elle, la plupart d'entre eux seraient obligés d'aller travailler et de payer des impôts, comme tout le monde.

 

Enfin, parler du cannabis, c'est parler de la crédibilité d'adultes qui prétendent éduquer des jeunes, mais qui se font prendre en flagrant délit de mensonge et d'hypocrisie sur un sujet que ces même jeunes maitrisent. N'en déplaise à Arnaud Montebourg, les jeunes savent que les arguments de santé publique qui légitiment la prohibition du cannabis s'appliquent également à l'alcool.

 

Acculés dans les recoins d'un "deux poids, deux mesures" intellectuellement intenable, les partisans de l'interdiction du cannabis finissent toujours par lâcher "mais l'alcool, ce n'est pareil, ça fait partie du patrimoine culturel français!". Les mêmes oublient que la France a changé. Elle s'est métissée et son patrimoine culturel avec. Les ancêtres des français originaires du Maghreb ou d'Afrique étaient plus portés sur le pétard que sur le pinard, sans parler de ceux originaires d'Asie ou d'Amérique Latine qui font la synthèse, puisque leurs aïeux ont toujours allègrement consommé les deux!

 

Moins électoraliste et donc moins gêné aux entournures, assumant droit dans ses bottes ses convictions, Valls rappelle que "dans une société, il faut des interdits". Certes, mais les interdits sont d'autant plus respectés qu'ils sont légitimes, sinon, c'est la crédibilité de l'autorité et de ceux qui l'incarnent qui en prend un coup. Vu la côte de confiance de nos responsables politiques, ont-ils besoin de se décrédibiliser en passant pour les derniers des hypocrites?

 

Il faut dire que Montebourg a perdu pour l'occasion de sa flamboyante prestance. On sentait que ça le démangeait de se lâcher, sur le thème "On ne change rien, c'est interdit, un point c'est tout". Election oblige, le voilà contraint de se livrer à un numéro d'équilibriste, s'appuyant sur Vincent Peillon pour rappeler que le cannabis est un produit dangereux pour la santé et amener ainsi de l'eau à son moulin prohibitionniste, tout en approuvant l'approche de Benoit Hamon, bien conscient que la légalisation du cannabis tuerait l'économie au noir générée par la prohibition et la délinquance qui en découle.

 

L'irruption du cannabis a amené un peu de peps dans ce second débat de la primaire, consensuel à en mourir, régulièrement rythmé par des "je suis d'accord avec ...", scandés à tour de rôle par les différents candidats. Vincent est d'accord avec Benoît, qui est d'accord avec Arnaud, qui est d'accord avec François, qui est d'accord avec Manuel, qui est d'accord avec Sylvia, qui est d'accord avec Benhamias, qui est d'accord avec tout le monde!

Dans ce rare moment de désaccord que le cannabis aura apporté, le rôle de chacun dans la pièce de théâtre qui nous est jouée s'est particulièrement révélé.

 

Les "petits" candidats amènent du fond et nous cultivent, chacun dans son registre. Benhamias est l'agitateur d'idées que François de Rugy étaye à coups de données et de solides références, bien que les deux soient à couteaux tirés, mais bien dissimulés. Sylvia Pinel est la bonne élève de la classe, rationnelle et posée, tempérant l'audace de ses propres raisonnements. Ainsi, elle propose que le cannabis soit distribué en pharmacie. Pourtant, si on veut éviter que ceux qui en vivent déjà, les dealeurs, ne se rabattent sur d'autres produits ou formes de délinquance, comme l'a fait valoir Valls si on légalise le cannabis, il serait également judicieux de légaliser les dealers, afin qu'ils poursuivent leur activité, mais légalement. En somme, ce serait "Chez Nico pour le pinard, chez Momo pour le pétard!".

 

Parmi les "grands" candidats, Hamon est passé du statut de "petit poucet" à celui de challenger en passe de devenir favori. Il le doit à ses prises de risque, là où les autres, mieux côtés au départ, font globalement preuve d'une prudence de Sioux, comme si l'objectif était de ne pas perdre de voix, plutôt que d'en gagner. Vincent Peillon est le candidat du centre de gravité, du point d'équilibre. Sur la légalisation du cannabis, il n'est ni pour, ni contre, bien au contraire, appelant au grand débat national qui n'a jamais eu lieu et que mérite le sujet. Manuel Valls, c'est Assurancetourix, le candidat du changement dans le conformisme, celui qui veut rassurer en mettant en avant son expérience de la direction de l'Etat, même s'il en a moins fait sur ce registre qu'au premier débat. Ses communicants ont dû lui souffler que cela renvoyait l'image d'un homme arrogant et autoritaire, pas vraiment en adéquation avec l'électorat des primaires.

 

Quand à Montebourg, il est grave à la peine. Lors de la précédente primaire, il avait trouvé son registre, celui du candidat du franc-parler, du renouveau qui bouscule, qui avait donné le "la" à l'élection. Manque de bol, Hamon lui a chipé le rôle! Il pensait sans doute qu'il suffirait de reprendre les mêmes recettes, avec son côté VRP multicartes qui sort son couteau suisse à propositions sur chaque question. Il a oublié ce que tous les élus savent: une élection est toujours une tragédie qui s'écrit au présent, et donc jamais le "remake" de la précédente.

 

Par ailleurs, il a perdu en cohérence par rapport à 2011. A l'époque, il avait marqué les esprits avec le concept d'europrotectionnisme, afin de lutter à armes égales avec les géants de l'économie mondialisée que sont les USA, la Chine, l'Inde et autres. Aujourd'hui, Montebourg voudrait incarner le coq gaulois. Malheureusement pour lui, nos concitoyen(ne)s en connaissent les limites: il gueule beaucoup, bombe le torse devant les poules, mais n'effraie personne. Le registre du coq gaulois est passé de mode à l'heure de la mondialisation.

 

Montebourg s'en sort grâce à la faiblesse de ses concurrents sur ce qui devrait être le coeur de l'élection: l'Europe. Lors de ce second débat, les candidats en ont largement débattu, sans jamais dire: "il faut relancer une construction politique de l'Europe pour constituer avec nos voisins immédiats le noyau des futurs États-Unis d'Europe". Il paraît que c'est irréaliste, comme si l'incohérence ou l'évitement de l'essentiel étaient réalistes, ou pire, comme si les Français n'avaient pas compris depuis longtemps le monde dans lequel ils vivent. Il y en a au moins deux qui doivent s'en frotter les mains. Emmanuel Macron et Jean-Luc Mélenchon.

 

Par Malik Lounès Ex-dirigeant de SOS Racisme et de la Licra, président de l’association LOLitik

 

Source: huffingtonpost.fr


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