Comment la régulation du cannabis permettrait des politiques en matière de drogues plus efficaces

Comment la régulation du cannabis permettrait des politiques en matière de drogues plus efficaces
Par mrpolo ,

Il est temps maintenant de mettre en œuvre des politiques publiques basées sur la place réelle qu’occupent les drogues dans notre société.

 

 

 

 

 

Nir Elias / Reuters


Comment la régulation du cannabis permettrait des politiques


en matière de drogues plus efficaces. REUTERS/Nir Elias

 


Depuis 2010, la consommation du cannabis a augmenté de 17% en France, alors que la production domestique illégale connait également une progression constante depuis de nombreuses années. Elle a atteint des niveaux inconnus auparavant et tels qu'ils lui permettent de concurrencer la production marocaine sur le marché noir français. Plus inquiétant encore, l'injection d'héroïne connait une nouvelle progression en 2014, après plusieurs années de déclin, selon les chiffres des Nations Unies.

 

Toutefois, les pouvoirs publics, services de police et magistrats compris, persistent à vouloir éradiquer les drogues par des approches prohibitives. La répression des stupéfiants, de leurs usagers, des petits trafiquants et autres employés du marché des drogues (nourrices dans les quartiers sensibles, dealers-usagers, cultivateurs et chimistes, etc.) atteignent des niveaux inégalés en Europe de l'Ouest, avec plus de 170.000 personnes interpellées pour simple usage en 2014.

 

Pourquoi les pouvoirs publics échouent-ils aussi lourdement à faire baisser la consommation et la production de stupéfiants et ce malgré des investissements colossaux dans la répression? Ils échouent car leur mission est erronée, leur objectif d'une société sans drogues est irréalisable, et ils refusent de le reconnaitre.

 

Or en plus d'être un échec mondial, la guerre aux drogues, dont la France est l'une des championnes en Europe, nécessite un investissement financier important, dont les retours sont des catastrophes sanitaires, financières et sociales. Pire encore, les politiques publiques transforment sciemment de jeunes individus pleins de promesses en délinquants. Soumis au système judiciaire, ces individus voient leur perspective d'une vie équilibrée et productive soudainement menacée pour un acte non-violent, qui ne nuit potentiellement qu'à eux-mêmes. La guerre aux drogues a également comme résultats une imposante surpopulation carcérale, la propagation de maladies infectieuses, et la marginalisation économique et sociale de pans entiers de la population.

 

Plusieurs gouvernements nationaux et locaux reforment actuellement leurs politiques de contrôle des stupéfiants. Le Canada, l'Uruguay et la Californie, entre autres, légalisent le cannabis; la Nouvelle-Zélande règlemente les nouvelles substances psychoactives; et la Suisse a reformé son marché de l'héroïne il y a presque dix ans. Nous croyons que c'est le bon chemin à suivre, non seulement pour ses bénéfices sociaux et sociétaux, mais aussi pour ses gains économiques.
Afin de mieux l'illustrer, revenons au cannabis, substance la plus utilisée en France avec la prévalence d'usage la plus élevée d'Europe et près de deux millions de Français qui ont en fait un usage régulier en 2014. Cette drogue actuellement illicite est parmi les moins difficiles à règlementer, car elle n'est ni plus addictive ni plus dangereuse que les drogues légales. Elle pourrait ainsi bénéficier des lois régissant le tabac ou l'alcool et qui fournissent des cas d'étude valables.

 

En France, comme presque partout ailleurs, le cannabis attire l'essentiel des moyens mis en œuvre contre les drogues. La pénalisation du cannabis pèse lourdement sur le système judiciaire, forçant douaniers, policiers, gendarmes et magistrats à consacrer des efforts disproportionnés au traitement de simples délits de consommation. Elle mobilise des ressources financières considérables, alors que son inefficacité est évidente. En plus des coûts liés à la surcharge judiciaire, il faut ajouter les coûts sociaux et de santé publique.
La réglementation permettrait ainsi de réduire les coûts directs et indirects (ceux liés à la répression, à la santé publique ou à la politique de la ville).

 

Elle engrangerait également des revenus considérables pour le gouvernement et stimulerait l'économie par la création d'emplois. Le Colorado offre un exemple frappant avec l'industrie du cannabis, qui représente un plus grand moteur pour l'économie que 90% des industries actives dans l'Etat. Elle a créé 18.005 emplois à plein-temps depuis sa légalisation en 2012 et a injecté 2,4 milliards de dollars (environ 2,256 milliards d'euros) dans l'économie. En France, selon une étude du centre de recherche Terra Nova, la réglementation du cannabis réduirait les dépenses publiques de près de 300 millions d'euros et rapporterai entre 1,331 et 1,764 milliards d'euros en fonction du modèle (monopole d'Etat ou cadre concurrentiel), sans impact sur la consommation dans le cas d'une réglementation étatique.

 

Il est temps maintenant de mettre en œuvre des politiques publiques basées sur la place réelle qu'occupent les drogues dans notre société, et qui cherchent à en réduire les méfaits plutôt qu'à les éradiquer, ce qui est une chimère. Si l'économie, la société et les individus tirent de surcroît des avantages et des bienfaits notables de la réglementation, il serait absurde de ne pas en étudier la mise en œuvre. Les acteurs économiques de la France, un des moteurs de l'économie européenne et mondiale, doivent réclamer une réforme des politiques en matière de drogues pour mettre fin à un demi-siècle de mesures inefficaces et coûteuses, et refaire de la France un champion de l'innovation en matière de politiques publiques.

 

La Commission globale de politique en matière de drogues, constituée de 24 membres dont 10 anciens chefs d'état ou de gouvernement et un ancien secrétaire-général des Nations-Unies, vise à ouvrir, au niveau international, un débat éclairé et scientifique sur des moyens humains et efficaces de réduire les préjudices causés par les drogues aux personnes et aux sociétés.
Plus d'informations sur : www.globalcommissionondrugs.org

 

Par Paul Volcker, membre de la Commission globale de politique en matière de drogues et ancien président de la Réserve fédérale américaine ; Maria Cattaui, membre de la Commission globale de politique en matière de drogues et ancienne Secrétaire générale de la Chambre de commerce internationale ; Pierre Bergé, Président de la Fondation Pierre Bergé – Yves Saint Laurent et Président de la Fondation Jardin Majorelle

 

Note: Pierre Bergé est actionnaire du groupe Le Monde, lui même actionnaire du HuffPost France.

 


Par Paul Volcker Membre de la Commission globale de politique en matière de drogues
Maria Cattaui et Pierre Bergé

 


Source: huffingtonpost.fr


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