En Israël, le marché du cannabis médical vise de nouveaux sommets


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Alors même que la recherche sur les bienfaits du cannabis progresse, un expert affirme qu’il reste encore de nombreuses choses à découvrir

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Un travailleur s'occupant des plants de cannabis dans une installation de la société Tikkun Olam près de la ville de Safed (Crédit : Abir Sultan / flash 90)

 

Tandis que des centaines de professionnels de la santé, d’agriculteurs, de patients et de militants pour le cannabis sont venus en Israël cette semaine pour la Conférence internationale de médecine Cann10, qui a eu lieu du 11 au 13 septembre, les scientifiques israéliens poursuivent leur recherche avec de nouveaux essais cliniques afin d’obtenir l’approbation pour l’utilisation de cannabis dans une plus grande variété de maladies.

 

Israël est connu sur la scène internationale comme un pionnier dans le domaine du cannabis à usage médical. Cet été, le gouvernement a approuvé un plan lancé par le ministre de la Santé, Yaakov Litzman (Yahadout HaTorah), qui vise à assouplir certaines des exigences liées à l’usage du cannabis médical.

 

Le projet augmentera le nombre de médecins qui pourront délivrer des ordonnances de cannabis, supprimera les limites sur le nombre de cultivateurs de marijuana, rendra le cannabis disponible dans les pharmacies agréées et éliminera l’exigence d’un permis du ministère de la Santé pour que la prescription de n’importe quel médecin soit suffisante.

 

« Il n’y a aucune raison que quelqu’un qui ait besoin de cannabis pour des raisons médicales ait à souffrir et faire face à de la paperasserie inutile, et donc la situation actuelle doit être changée », a déclaré Litzman en juin au quotidien Haaretz.

 

La décision du ministère de la Santé de rendre la marijuana médicale encore plus accessible fait partie de la tolérance du pays et même de son soutien envers la marijuana, en particulier dans un contexte médical.

 

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Un pharmacien de Tikkun Olam donne sa dose mensuelle de marijuana médicale à un patient au dispensaire de Tel Aviv, le 1er septembre 2016. (Crédit : Melanie Lidman/Times of Israel)

 

« C’est la deuxième conférence [sur la marijuana] en Israël en six mois, et il a été prouvé qu’Israël et le monde commencent à se rendre compte à quel point Israël peut contribuer à l’industrie du cannabis », a déclaré Clifton Flack, le directeur en charge du marketing pour iCAN Israël-Cannabis, un fond de placement privé qui se concentre sur le cannabis.

 

« Notre contribution essentielle a été et sera la recherche, a ajouté Flack. L’histoire de l’industrie du cannabis en Israël a commencé avec la recherche et avec le professeur [Raphael] Mechoulam. Au cours des 50 dernières années, nous avons contribué à la recherche. Vous allez constater que, si vous regardez les choses de près, un grand pourcentage des produits mondiaux issus du cannabis ou de l’industrie ont quelque chose à voir avec Israël. »

 

Aujourd’hui, environ 23 000 patients ont des prescriptions pour de la marijuana médicale en Israël, contre 10 000 en 2012. Ce nombre va continuer à augmenter au fur et à mesure que la marijuana sera approuvée pour traiter encore plus de maladies, avec des scientifiques qui mettent en place des essais cliniques en double aveugle pour explorer les utilisations médicales du cannabis qui pourraient être publiées dans des revues médicales.

 

Actuellement, il existe de nombreux essais cliniques ou des approbations de l’usage du cannabis pour traiter les acouphènes, la colite, la maladie de Crohn, certains des symptômes spastiques de patients pédiatriques atteints de paralysie cérébrale, l’épilepsie sévère des enfants, le syndrome de Tourette, la maladie de Parkinson, la maladie inflammatoire chronique de l’intestin, les symptômes de l’autisme comme l’insomnie ou l’agressivité, et certains des effets secondaires des traitements contre le cancer. Les futurs essais comprennent des tests pour le traitement de la polyarthrite rhumatoïde, le syndrome post-traumatique et les inflammations des yeux.

 

Le professeur Raphael Mechoulam, qui faisait précédemment partie de l’Institut Weizmann et qui fait maintenant partie de l’université Hébraïque, est largement considéré comme le père du cannabis médical, car c’est lui qui a identifié le tétrahydrocannabinol (communément appelé THC) en 1964. Le THC est le composé actif de la marijuana qui produit l’ « effet psychotrope » recherché par ceux qui consomment le cannabis de manière récréative. Un autre composé actif principal de la marijuana est le cannabidiol (CBD), qui présente des avantages médicaux, y compris des propriétés anti-inflammatoires.

 

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Le professeur Raphael Mechoulam dans son laboratoire de l’université Hébraïque, le 1er septembre 2016. (Crédit : Melanie Lidman/Times of Israel)

 

Il a fallu des années pour le reste de l’establishment médical commence à faire attention à son travail sur la marijuana médicale, a expliqué Mechoulam.

 

« Il y avait une importance thérapeutique pour l’épilepsie que nous avons identifiée et bien que nous ayons publié [les conclusions de l’étude], personne n’était intéressé par l’épilepsie, a-t-il dénoncé. Il y a des enfants d’un an ou deux qui sont atteints d’épilepsie, et il n’y a aucun autre médicament qui fonctionne. Ce n’est que ces dernières années qu’ils ont découvert notre travail. Jusqu’à 60 % des enfants atteints d’épilepsie peuvent être aidés. »

 

Mais le scientifique de 85 ans, qui supervise encore un laboratoire au campus Ein Kerem de l’université Hébraïque, estime que le domaine du cannabis est au bord d’une grande percée et des centaines d’utilisations pour la plante attendent d’être découverts.

 

« Au cours des dernières années, on a découvert que des composés apparentés aux cannabinoïdes (CBD) agissent sur des choses auxquelles nous ne nous attendions pas, comme l’ostéoporose », s’est-il émerveillé. Il a noté que le cannabis peut également réduire la quantité de dommages dans le cerveau après un traumatisme crânien en relaxant les vaisseaux sanguins resserrés.

 

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La marijuana médicale dans la phase de ‘pré-cookie’ (Crédit : Abir Sultan / flash 90)

Mechoulam a observé le chemin qu’a parcouru le domaine de la recherche sur le cannabis au cours des dernières décennies. Quand il a commencé ses recherches à l’Institut Weizmann dans les années 1960, son premier défi était d’obtenir une grande quantité de cannabis. « Le responsable administratif de Weizmann a appelé quelqu’un qu’il connaissait dans la police et a juste demandé du cannabis », s’est remémoré Mechoulam.

 

« J’ai entendu de l’autre côté [du téléphone] : ‘Il est fiable ?’. Et la personne de l’Institut Weizmann a répondu : ‘Bien sûr, il est fiable !’. Du coup, on lui a dit : ‘Demandez-lui de venir’. Je suis donc allé voir la police, j’ai eu cinq kilos de haschisch, j’ai signé et j’ai mis les cinq kilos de haschisch dans mon sac. Puis j’ai pris un bus et je suis allé au laboratoire. Et dans le bus, il y avait une grande odeur de cannabis qui flottait et personne ne savait ce que c’était. »

 

« Ensuite, il s’est avéré que nous avions enfreint la loi et que je devais aller en prison, et que le policier avait violé la loi et qu’il devait aller en prison, parce que c’était le ministère de la Santé qui devait approuver ces choses, a poursuivi Mechoulam. Je suis allé au ministère de la Santé et j’ai dit : ‘je suis désolé, je suis désolé, la prochaine fois nous allons le faire comme ça’. »

 

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Christine Haj, post-doctorante dans le laboratoire de Mechoulam, tenant un bécher de THC pur dans le laboratoire de l’université Hébraïque, le 1er septembre 2016. (Crédit : Melanie Lidman/Times of Israel)

 

Le National Institutes of Health américain soutient les recherches sur le cannabis de Mechoulam depuis des décennies car les scientifiques américains ont eu beaucoup plus de difficulté à obtenir du cannabis pour l’étude. Il a reçu un Prix de la découverte de la NIDA (National Institute of Drug Abuse) en 2011. Mechoulam a expliqué que même si les Etats-Unis et Israël avaient des lois similaires régissant la recherche sur le cannabis, la culture des liens personnels en Israël, familièrement appelé protekzia, a permis à la recherche de progresser beaucoup plus rapidement ici.

 

Pourtant, il y a eu de nombreux défis, en particulier parce que le cannabis est un composé naturel qui doit être cultivé plutôt que produit.

« Les cliniciens n’aiment pas travailler avec de la marijuana ou du haschich, car la qualité n’est pas fiable et ce n’est pas la façon dont la recherche moderne se fait », a précisé Mechoulam.

Les moindres changements dans les techniques de culture, la météo ou l’arrosage peuvent affecter la composition chimique de la plante. « Les quantités de THC peuvent varier même au sein de la même plante », a souligné le Dr Keren-Or Amar, directrice du développement commercial de Shizim, une autre société d’investissement de cannabis.

 

« L’une des préoccupations que la FDA [Food and Drug Administration des États-Unis] a exprimées est que vous utilisez une plante dont vous ne pouvez pas obtenir le bon dosage dans chaque lot », a déclaré Doron Ben Ami, le directeur de la stratégie de Therapix Biosciences Ltd., une société qui développe des médicaments à base de cannabis pour traiter les troubles neurologiques tels que le syndrome de la Tourette et des troubles cognitifs légers.

« Dans le secteur pharmaceutique, vous devez être sûr de savoir exactement ce que votre patient prend », a-t-il expliqué.

 

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La marijuana médicale au dispensaire Tikun Olam à Tel Aviv ,le 1er septembre 2016. Avec les conseils des infirmiers spécialement formés de Tikun Olam, les patients peuvent décider d’acheter leur prescription sous forme de fleur, joints pré-roulé ou de pilules (Crédit : Melanie Lidman / Times of Israel)

Therapix et d’autres sociétés pharmaceutiques travaillent sur la production chimique de THC ou du THC synthétique. Cela permet à l’entreprise de suivre de contrôler le ratio exact des composés actifs qui seront dans les médicaments développés.

 

Mais alors que des progrès ont été faits dans la production du cannabis synthétique, les scientifiques arrivent également de mieux en mieux à manipuler les souches de marijuana pour avoir des niveaux plus élevés de THC ou de CBD en fonction de la maladie qu’ils traitent.

Tikun Olam, le plus grand et le plus ancien dispensaire de cannabis en Israël, a maintenant 15 souches de plantes de marijuana qui sont cultivées pour avoir un rapport très spécifique entre le THC et le CDB.

 

Sa souche Avidekel a 18 % de CBD et seulement 0,8 % de THC, ce qui signifie qu’il est sans danger pour les enfants et ne produira pas l’effet psychotrope couramment associé à la marijuana. Tikun Olam traite plus de 200 enfants souffrant d’épilepsie avec cette souche.

Tikun Olam a commencé il y a 10 ans avec 10 patients en Israël en faisant pousser quelques plantes à Birya, un petit moshav près de Safed. Lorsque sa liste de patients est montée à 1 000, il a dû se tourner vers des champs commerciaux dont les emplacements sont étroitement surveillés.

 

La prochaine étape : plus de marchés, plus de maladies

 

Aujourd’hui, il y a environ 23 000 patients en Israël qui ont un permis pour utiliser de la marijuana médicale accordés par le ministère de la Santé. Tikun Olam traite 7 000 personnes par mois. A l’exception des patients atteints du syndrome de Gilles de la Tourette, les patients doivent prouver qu’ils ont essayé au moins quatre méthodes alternatives pour contrôler leur douleur ou la maladie avant d’obtenir une licence pour de la marijuana à usage médicale, qui est utilisée en dernier recours.

 

« Notre problème est que les gens veulent croire que le cannabis va les guérir mais nous ne disposons pas encore des études [qui le confirment] », a déclaré le professeur Zvi Bentwich, professeur en biologie médicale à l’université Ben Guurion et scientifique en chef de Tikun Olam. Bentwich a été l’un des pionniers de la lutte israélienne contre le VIH/SIDA, et il s’est intéressé au cannabis médical après avoir observé les effets positifs que la consommation de marijuana, bien qu’illégale, avait sur ses patients ayant des nausées et des pertes de poids.

 

« Dans les années 1990, je préconisais à mes patients d’utiliser le cannabis illégalement et puis j’ai aidé à amener le gouvernement à légaliser le cannabis, a-t-il confié. Auparavant, la marijuana n’était pas étudiée cliniquement. Les études cliniques et juridiques n’existaient pas ».

 

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Un patient atteint de cancer montre ses pilules de marijuana concentrées dans le centre de Tikkun Olam à Tel Aviv, le 1er septembre 2016. (Crédit : Melanie Lidman/Times of Israel)

 

Aujourd’hui Bentwich travaille avec Tikun Olam pour concevoir des études cliniques pour diverses maladies. « Nous, médecins, sommes réticents à utiliser le cannabis à moins qu’il n’y ait une preuve avancée pour le prouver. En Israël, nous sommes en mesure de faire un travail de pionnier qui n’a été fait nulle part ailleurs. »

 

« L’industrie est en train d’exploser, mais ce n’est rien comparé à ce que ce va être dans 10 ans », a ajouté Flack, le directeur marketing du fond d’investissement. « Dans 10 ans, vous allez voir du cannabis partout. En Israël, nous ajoutons de la vitamine D au lait. Nous devrions ajouter du CBD aussi. Cela n’a pas d’effet psychotrope. Le corps a besoin du CDB, le cerveau en produit naturellement et prendre du CBD chaque jour en petites quantités ne fait que du bien. Je pense que dans 10 ans, nous allons voir le lait Yotvata avec du CDB. »

 

Le marché potentiel pourrait être énorme. Cannabics Pharmaceuticals, une société israélienne qui a développé une capsule de marijuana pour les personnes souffrant de cancer, estime que le marché de la marijuana à usage médical a un potentiel de 3,6 milliards de dollars aux États-Unis uniquement d’ici 2019.

 

Ce marché serait plus important que celui des aliments biologiques.

« Je pense que dans 10 ans, chaque accélérateur ou incubateur en Israël aura au moins une entreprise ou une start-up qui aura un rapport avec le cannabis, s’est enthousiasmé Flack. Cela pourrait être un dispositif médical ou un système de suivi, mais dans le monde des start-ups, il sera partout. Vous allez voir une importante industrie d’exportation et non pas de la fleur, mais des produits médicaux. »

 

L’exportation des bourgeons ne va pas être loin derrière. Le ministre de l’Agriculture, Uri Ariel, a annoncé en août qu’Israël commencerait à exporter de la marijuana pour usage médical probablement au cours des deux prochaines années.

 

Les scientifiques soulignent que la véritable clé pour rendre la marijuana plus utile pour les patients est de mener des tests cliniques qui peuvent systématiquement prouver que le cannabis est sûr et efficace pour l’humain dans le traitement de maladies spécifiques.

« Je peux guérir beaucoup de maladies chez la souris [avec du cannabis] », a assuré Amar, une ancienne scientifique qui travaille maintenant avec le groupe d’investissement sur cannabis. Mais sans les essais cliniques, a-t-elle ajouté, « il n’y a aucun avantage pour les humains. »

 

Melanie Lidman et Shoshanna Solomon

 

Source: timesofisrael.com

 

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