Aux Etats-Unis, du cannabis pour le troisième âge


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A New York, dans le Bronx, un home pour personnes âgées permet à ses résidents de recourir au cannabis pour soulager certains maux. Rencontre avec le Docteur Zachary Palace, responsable du projet pilote

 

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Dans sa chambre, Marcia Dunetz, 80 ans, montre le petit coffre-fort où elle stocke son cannabis en gélules. Elle en conserve toujours la clé autour du cou.
© Kate Glicksberg

 

Ce jour-là, le fleuve est déchaîné. L’Hudson moutonne. Une voiture nous attend à côté du quai. On parcourt quelques centaines de mètres dans ce quartier perché de Riverdale, en plein Bronx, et on l’aperçoit déjà, majestueuse. La Hebrew Home, immense structure en briques, se dresse devant nous. «Vous verrez, il y a des contrôles de sécurité à l’entrée», nous avait prévenues Wendy Steinberg, la directrice de la communication. «C’est parce que nous accueillons aussi des résidents victimes de maltraitance. Nous sommes le premier home pour personnes âgées des Etats-Unis à le faire».

 

La Hebrew Home, avec vue plongeante sur l’Hudson, qui fête cette année son centenaire, se distingue aussi pour autre chose: son programme pilote de cannabis thérapeutique. Ruth Brunn, 98 ans, fait partie des rares bénéficiaires. Ce jour-là, elle n’était pas assez bien pour nous recevoir. Atteinte de neuropathie, en chaise roulante, elle a depuis peu un nouveau geste quotidien: avaler une gélule verte remplie d’huile de cannabis, avec de l’eau vitaminée. «Je ne me sens pas défoncée. Tout ce que je sais, c’est que je me sens mieux quand je prends ça», expliquait-elle récemment au New York Times.

 

Stocker de manière sécurisée

 

C’est le Dr Zachary Palace, spécialiste en gériatrie, qui dirige le programme. On le retrouve dans son petit bureau, orné de plantes assoiffées. «Nous avons débuté en octobre avec 3 de nos 850 résidents, nous en sommes maintenant à six et nous aurons peut-être 40 à 50 patients d’ici la fin de l’année», explique-t-il.

 

Il détaille le processus: «Nous évaluons d’abord quels patients répondent aux critères pour bénéficier de cannabis médical selon le règlement de l’Etat de New York. S’ils sont d’accord, nous leur fournissons une attestation et ils doivent se faire inscrire dans un registre online. C’est à eux de se procurer leurs doses dans un dispensaire spécialisé, ils doivent les stocker de manière sécurisée dans leur chambre, qui est leur espace privé, et se les administrer eux-mêmes».

 

A aucun moment une infirmière ou un médecin n’intervient. Pour des raisons légales. Interdite au niveau fédéral, la consommation de marijuana est autorisée dans 29 Etats américains, dont celui de New York, pour un usage strictement médical. «Dans d’autres homes, qui reçoivent des fonds fédéraux, c’est un peu la politique du «Je ne demande pas, je ne sais pas».

 

Nous, nous l’assumons et nous en parlons, car nous avons trouvé une solution qui se tient sur le plan légal. Nous avons toujours cherché à agir contre la surmédication, à faire baisser le nombre de médicaments administrés dont les effets peuvent parfois s’annuler entre eux. Le cannabis peut être une solution», glisse celui qu’un collègue médecin vient familièrement d’appeler «Z».

 

Un sujet qui reste tabou

 

Zachary Palace parle donc cannabis avec ses patients, les conseille, peut réévaluer le dosage ou leur rappeler de ne pas oublier leur dose quotidienne, mais n’est pas censé manipuler le produit. «Alors même que nos infirmières interviennent parfois pour administrer de la simple vitamine C!

 

Mais c’est comme ça. Et je dois admettre que je trouve assez amusant de devoir s’adapter à certaines situations comme celle-ci», glisse-t-il l’air malicieux, après s’être intéressé au contexte légal suisse. Dans sa chambre, Marcia Dunetz, 80 ans, montre à la photographe son petit coffre-fort où elle stocke son cannabis en gélules. Elle en conserve toujours la clé autour du cou.

 

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Le Dr Zachary Palace, spécialiste en gériatrie, qui dirige le programme pilote, et sa patiente Marcia Dunetz. Kate Glicksberg

 

 

 

Le cannabis pour les plus de 65 ans est encore un sujet tabou. Aux Etats-Unis, sa consommation est en augmentation chez les personnes âgées, mais peu d’études permettent de déterminer son impact précis sur cette catégorie de la population, relève Igor Grant, directeur du Centre pour la recherche du cannabis médicinal de l’Université de Californie, San Diego.

 

«On sait que le cannabis est bien toléré, à faibles doses, sur des individus sains ou qui souffrent de douleurs chroniques ou de sclérose en plaques, probablement comme d’autres médicaments qui peuvent avoir des effets sédatifs ou psychotropes. Mais chez des personnes plus âgées, le cannabis peut aussi empirer leur état, et par exemple augmenter la confusion ou la désorientation», commente-t-il.

 

Un rapport publié début janvier par un comité de 17 scientifiques de l’Académie américaine des sciences, qui a analysé plus de 10 000 études, confirme que des incertitudes sur les effets thérapeutiques du cannabis subsistent, tout en relevant certains bienfaits. Comme par exemple contre les nausées et vomissements provoqués par les chimiothérapies.

 

Elle a pu renoncer à la morphine

 

Zachary Palace est, lui, en tout cas très satisfait des premiers résultats constatés au sein de la Hebrew Home après quelques mois d’essais. Le cannabis stimule l’appétit, permet de lutter contre l’insomnie et de réduire des inflammations. Il est surtout capable de soulager certaines pathologies liées à l’âge, à tel point que des patients, comme Ruth Brunn, ont pu renoncer à la morphine, qui peut provoquer des problèmes respiratoires ou constiper. «C’est plutôt une bonne chose. Nous n’avons à ce stade constaté aucun problème».

 

Aucun problème, vraiment? Il rectifie: «Une patiente atteinte de Parkinson se plaignait au début d’étourderies. Nous lui avons conseillé d’arrêter, mais elle voulait continuer, alors même qu’elle était au début un peu hésitante à cause des préjugés qui circulent sur le cannabis. Nous avons juste rééquilibré son dosage et tout va bien maintenant». Cette patiente, c’est Marcia Dunetz, avec sa petite clé autour du cou. Il cite aussi le cas du seul homme qui participe au projet pilote: «C’était quelqu’un de solitaire et de plutôt renfrogné, qui restait souvent dans sa chambre. Il arrive maintenant plus facilement à interagir avec les gens»

 

Le gériatre tient à louer le caractère «visionnaire» de Daniel Reingold, le président de RiverSpring Health, qui gère le Hebrew Home. «C’est quelqu’un d’inventif, qui cherche toujours des solutions pour améliorer la vie des personnes âgées. Quand il avait lancé l’idée d’un voyage de deux semaines en Israël pour une dizaine de patients de 85 ans et plus, personne n’y croyait tellement ça paraissait compliqué. Mais on l’a fait, et c’était extraordinaire!».

 

Du thé au cannabis pour son père

 

Le cannabis, Daniel Reingold en a vu les effets directs sur son père, décédé d’un cancer en 1999. Il lui faisait bouillir du cannabis qu’il mélangeait à son thé. Son père avait ainsi retrouvé l’appétit et la joie de vivre. Quand Daniel Reingold a lancé l’idée du programme pilote devant le comité directeur du home, personne n’a trouvé à y redire. Il fallait ensuite juste trouver la solution sur le plan légal: autoriser, encourager, surveiller, mais sans impliquer le personnel soignant.

 

A Riverdale, le cannabis est pris en gélules ou sous forme de gouttes à mettre sous la langue. Pas de vaporisateur. Zachary Palace: «Nous avons une politique anti-fumée stricte, même les cigarettes électroniques sont interdites, alors les vaporisateurs forcément aussi». Le cannabis à usage médical n’est pris en charge ni par Medicare, pour les plus de 65 ans, ni par Medicaid, qui vient en aide aux défavorisés. Les patients et leurs familles ont donc à débourser environ 200 dollars par mois.

 

Dans l’Etat de New York, le cannabis médical peut notamment être prescrit pour les cas graves de neuropathie, de sclérose en plaque, d’épilepsie, de cancer, de sida ou de Parkinson. Les patients qui souffrent d’Alzheimer par contre ne peuvent pas encore en bénéficier. Pour quels patients serait-il particulièrement contre-indiqué? Zachary Palace: «J’évite par exemple de le proposer à des résidents qui ont déjà souvent tendance à tomber. Ou ceux qui souffrent de confusion mentale».

 

Il le ferait pour ses parents

 

Le jour de l’élection de Donald Trump, le 8 novembre, cinq Etats (Arizona, Californie, Maine, Massachusetts et Nevada) se sont prononcés sur l’autorisation du cannabis à des fins récréatives. Tous ont dit oui, sauf l’Arizona. Ces Etats viennent s’ajouter au Colorado, à l’Oregon, à l’Etat de Washington et à l’Alaska, qui avaient déjà étendu la légalisation de la marijuana au-delà du seul usage médical.

 

Ce jour-là, l’autorisation du cannabis thérapeutique a aussi été validée dans quatre nouveaux Etats (Arkansas, Dakota du Nord, Floride et Montana) portant le total à 29. Malgré son interdiction au niveau fédéral, le marché du cannabis est très lucratif aux Etats-Unis. Selon ArcView Market Research, il a engendré un chiffre d’affaires de 6,9 milliards de dollars en 2016, 30% de plus qu’en 2015, et pourrait représenter 21,6 milliards de dollars d’ici 2021.

 

La Hebrew Home de Riverdale s’est notamment inspirée de la pratique en Israël, qui encourage depuis dix ans déjà le recours au cannabis thérapeutique. Zachary Palace doit abréger la discussion. Des patients l’attendent. Encore juste une dernière question: prescrirait-il le cannabis à ses propres parents en cas de maladie? «Oui, sans aucun doute», assure-t-il en se levant.

Dehors, le vent ne s’est pas calmé. L’Hudson moutonne toujours.

 

Source: letemps.ch



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