Canada - Pas de «cabanes à pot» dans les réserves autochtones


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Marijuana: Qui imposera sa loi? Ottawa, Québec ou les conseils de bande?

 

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Photo: Jack Guez Agence France-Presse Au lendemain du dévoilement de son projet de loi visant à légaliser la marijuana, le gouvernement fédéral s’interroge sur l’application de la nouvelle législation dans les communautés autochtones du Canada. 

 

Le gouvernement fédéral ignore toujours quelles lois s’appliqueront dans les réserves autochtones quand la marijuana sera légalisée, a constaté Le Devoir. Dans le flou, une certitude ressort cependant : Ottawa cherche à éviter que les « cabanes à tabac » se transforment en baraques à cannabis.

 

Au lendemain du dévoilement de son projet de loi visant à légaliser la marijuana, le gouvernement fédéral s’interroge ainsi toujours sur l’application de la nouvelle législation dans les communautés autochtones du Canada, où les compétences provinciales et fédérales cohabitent avec celles relevant des conseils de bande.

 

Jeudi dernier, le gouvernement Trudeau a présenté le projet de loi qui doit rendre la marijuana légale au pays en juillet 2018. La distribution, le respect des paramètres de la loi et le contrôle des lieux de vente seront, en outre, des responsabilités relevant des provinces.

 

Au Québec, certaines lois — celles émanant du Code civil ou du Code de la sécurité routière, par exemple — s’appliquent dans les communautés autochtones. D’autres relèvent des conseils de bande, qui peuvent par exemple interdire la vente d’alcool dans leur communauté. D’autres lois sont de compétence fédérale.

 

Quand la marijuana sera légale, quelles lois s’appliqueront donc sur les terres de compétence fédérale que sont les réserves autochtones ? Tant à Québec qu’à Ottawa, les porte-parole des ministres concernés par le dossier se renvoient la balle depuis l’annonce d’Ottawa.

 

L’unique réponse fournie au Devoir est venue de David Taylor, porte-parole au ministère canadien de la Justice. « Le gouvernement du Canada s’est engagé à travailler en étroite collaboration avec les peuples autochtones, de sorte que les besoins spécifiques des nombreuses et variées communautés autochtones du Canada soient satisfaits tout au long de la mise en oeuvre de la Loi sur le cannabis proposée », a-t-il écrit dans un courriel.

 

Divergences

 

Mode de distribution, modèle de vente, âge légal de consommation : il y a là autant d’éléments qui pourraient différer d’une province à l’autre. Dans les réserves, les lois concernant la marijuana pourraient-elles être carrément uniques ? Là-dessus, les chefs et les experts ne s’entendent pas.

 

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« Ce n’est pas encore clair, reconnaît le directeur général du Conseil des Abénakis de Wôlinak, Dave Bernard, en ce qui concerne la loi qui s’appliquera. C’est assez nébuleux, on ne sait pas trop ce qui va arriver. » Autre point de vue : « Ce sera nécessairement, absolument la loi fédérale qui va s’appliquer, parce que c’est une terre fédérale », assure le grand chef de Wendake, Konrad Sioui.

 

Le professeur de l’Université d’Ottawa spécialisé en questions autochtones Sébastien Grammond apporte un éclairage différent. « Les lois provinciales s’appliquent aux réserves autochtones, sauf si elles touchent au coeur de la compétence fédérale sur les autochtones », a-t-il rappelé, se référant à une provision de la Loi constitutionnelle de 1867. « Je pense que la norme provinciale s’appliquerait », a aussi répondu Jean Leclair. Il a rappelé qu’une loi provinciale demeure constitutionnelle si elle correspond à l’objectif poursuivi par la loi fédérale et si elle n’est pas moins sévère que celle-ci. C’est ce qui explique, par exemple, que les provinces puissent augmenter l’âge légal de consommation de la marijuana, fixé à 18 ans par Ottawa, mais pas le réduire.

 

À Ottawa comme à Québec, personne parmi les porte-parole des élus n’a été en mesure de répondre à la question.

 

Comme tous les autres chefs auxquels Le Devoir a parlé, ni Konrad Sioui, ni Dave Bernard, ni le chef de la communauté algonquine de Kitigan Zibi, Jean-Guy Whiteduck, n’ont été consultés par le gouvernement fédéral avant que le projet de loi légalisant la marijuana ne soit annoncé. Pas plus qu’ils n’ont été avisés d’une rencontre à venir avec les représentants des gouvernements provinciaux ou fédéral. « Pas [de consultation] à notre niveau, ni [au niveau] des communautés, à ce que je sache », a aussi affirmé le chef de l’Assemblée des Premières Nations du Québec et du Labrador, Ghislain Picard.

 

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Pourtant, l’une des ministres qui pilotent le dossier de la légalisation de la marijuana à Ottawa, Jody Wilson-Raybould, est elle-même autochtone. Et elle fait partie d’un gouvernement qui s’est engagé à établir des relations respectant les traités conclus avec les peuples autochtones ; des relations dites « de nation à nation ».

 

Alors, « comment peut-on parler de relations de nation à nation si on donne tout ça aux provinces et qu’on dit aux autochtones “On vous a oublié” ? » demande le professeur Sébastien Grammond. Selon lui, cet « oubli » pourrait constituer un levier de négociation politique pour les communautés autochtones, en plus d’ouvrir la porte à des négociations à la pièce.

 

Ottawa

 

Si la situation est entourée de flou à l’heure actuelle, des sources gouvernementales à Ottawa soutiennent néanmoins que, une fois la marijuana légalisée, il n’est pas question qu’il arrive « la même chose qu’avec le tabac » dans les réserves.

 

Mais les questions sont nombreuses. « Comment ça va fonctionner pour la taxe sur la marijuana ? On ne veut pas qu’il arrive la même chose qu’avec le tabac », indique une source au ministère des Affaires autochtones. « Il va falloir impliquer les autochtones dès le départ sur la question de la production pour éviter qu’il arrive la même chose qu’avec le tabac », ajoute une autre source, du bureau du premier ministre celle-là.

 

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Au Canada, « on ne peut obtenir l’exemption de taxes que si on est un Indien inscrit qui achète du tabac dans une réserve », rappelle toutefois l’expert en droit autochtone de l’Université de Montréal Jean Leclair.

 

N’empêche que la contrebande a fait son nid et que dans certaines communautés les « smoke shacks » se sont multipliés. Parce qu’ils se considèrent comme souverains sur leurs territoires, ou simplement par appât du gain — et avec la complicité du crime organisé —, des autochtones vendent des cigarettes sur le marché noir à des allocthones, sans prélever de taxes. La manœuvre ferait perdre des milliards de dollars par année à Ottawa.

 

Application difficile

 

Sur le terrain, le mauvais exemple de la contrebande de cigarettes fait craindre le pire. Jean-Guy Whiteduck s’inquiète déjà pour les sept policiers qui devront appliquer la nouvelle loi dans sa communauté de 3300 résidents. « Ils [les services de police et le gouvernement canadien] n’ont même pas été capables de s’attaquer au problème des cigarettes. Alors, imaginez la marijuana ! » a-t-il lancé quand Le Devoir l’a questionné sur la légalisation de la marijuana. « Comment vont-ils surveiller ? S’assurer qu’on leur rend des comptes ? » a-t-il encore demandé.

 

Comme lui, Konrad Sioui est rébarbatif à l’arrivée de la marijuana dans sa communauté. « La décision de la nation, ici, c’est qu’on ne veut pas être distributeur ni producteur. Si des Hurons-Wendat veulent s’acheter de la marijuana, il va falloir qu’ils sortent pour le faire. En tout cas, ce sera comme ça sous ma gouverne », a dit le chef Sioui.

 

Dave Bernard s’est dit du même avis. « On est plus ou moins d’accord avec la production du cannabis. Le moins possible, de notre côté », a-t-il résumé.

Avec Hélène Buzzetti

 Marie-Michèle Sioui - Correspondante parlementaire à Québec

 

Source: ledevoir.com



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