Cannabis : le big bang des weedtubers


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Sur la Toile, de plus en plus de vidéos de fumeurs offrent conseils, tests et astuces. Un essor dû à des succès d’audience comparables à ceux des chaînes de gamers ou de gourous de la mode.

 

 

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MarijuanaMan2. Ce Canadien de 46 ans revendique être le plus ancien weedtubeur. Photo Capture d’écran YouTube

 
 

«Oh salut, les garçons et les filles, je suis juste en train de prendre un bain.» C’est avec ces mots, prononcés comme si le spectateur impudique l’avait surpris ici par hasard, que Steve, aka MarijuanaMan2 sur YouTube, commence sa vidéo. Cinq minutes de trip face caméra, durant lesquelles l’homme en slip de bain alterne bangs à l’huile de cannabis et phases de décompression, un chihuahua sur les genoux. A 46 ans, ce Canadien revendique être le plus ancien «weedtuber» de la Toile.

 

C’est sur Yahoo qu’il a fait ses premières armes, dans les années 90, avant de migrer sur YouTube au printemps 2005. Au téléphone, l’élocution déjà ralentie par le nombre de joints consommés malgré l’heure matinale de notre appel, il se souvient juste qu’il voulait «fumer de l’herbe avec d’autres gens». Mais très vite, ces vidéos deviennent bien plus qu’un simple passe-temps. Avec des sponsors qui lui «payent tout» ce dont il a besoin, y compris la matière première, mais dont il refuse de donner l’identité, parler de weed a pris chez Steve des airs de «métier» à part entière. Cet accro de la fumette depuis 1993 n’exerce d’ailleurs pas d’autre profession.

 

Tuyaux partagés

 

Des amateurs se sont inspirés de son succès sur YouTube et nombre de vidéos sont apparues depuis, toutes plus improbables les unes que les autres.

 

On trouve ainsi, entre deux tests produits de bangs à plusieurs milliers de dollars, des recettes de thé au cannabis, les récits des «pires bad trips», ou encore des clubs de lecture sous substance. Ils seraient désormais une soixantaine à partager leurs tuyaux sur la Toile. Scott, un développeur web de 29 ans qui vit aux Etats-Unis, leur a même dédié un site, sobrement intitulé Weedtubers.com. Chaque mois, environ un millier de personnes visitent sa page, dont il compare volontiers le contenu à celui proposé par les gourous du maquillage ou les gamers stars de YouTube. A l’entendre, il s’agirait simplement d’une «incroyable source d’informations et d’astuces».

 

 

CustomGrow420 a déjà posté un demi-millier de vidéos sur sa chaîne qui compte 990000 abonnés. Photo capture d'écran YouTube

 

Pendant longtemps, Scott ne s’est nourri que de celles de CustomGrow420, de son vrai nom Joel Hradecky. Celui que ses fans surnomment «Jolie Olie», avec son look de grand adolescent, ses cheveux longs et son éternelle casquette est l’un des youtubeurs les plus en vogue de sa catégorie. Depuis la création de sa chaîne en mars 2013, il a séduit 990 000 abonnés, a cumulé plus de 120 millions de vues et posté un demi-millier de vidéos. Il doit sa notoriété aux plus extrêmes d’entre elles. Les quelques minutes du «one gram dab challenge», qui consiste à aspirer d’une seule bouffée un gramme d’huile de cannabis, ont par exemple fait plus de 2 millions de vues. Dans cette vidéo, Jolie Olie repousse ses limites, au point de donner à Scott l’impression de «regarder un athlète faire un super record».

 

L’huile de cannabis, ou dab, qu’il consomme est en effet bien plus dosée que de l’herbe classique. Cette drogue de synthèse, obtenue en mélangeant weed et solvants serait, d’après la DEA, l’autorité américaine de lutte contre les stupéfiants, concentrée à hauteur de 40 à 80 % en tétrahydrocannabinol (THC), la substance responsable des effets pharmacologiques du cannabis. En un challenge, Jolie Olie aspire donc entre 400 et 800 milligrammes de THC. Puisqu’un joint «standard» américain en contiendrait «entre 9 et 21 milligrammes» selon les données du National Institute of Drug Abuse, CustomGrow420 aspirerait donc dans sa célèbre vidéo l’équivalent d’une quarantaine de joints environ.

 

«Seuil de tolérance»

 

A l’évocation de ces chiffres, Benjamin Cort, qui travaille dans un centre de réhabilitation pour les personnes souffrant d’addiction dans le Colorado, où le cannabis est en vente libre, laisse s’échapper un rire cynique. Pour ce militant anti-légalisation, ces vidéos seraient d’autant plus dangereuses que les fans des weedtubers tenteraient trop souvent de reproduire les modes de consommation de leurs idoles.

 

«La plupart du temps, ils ignorent pourtant les effets de seuil de tolérance, s’inquiète-t-il. C’est-à-dire que plus on consomme, et plus il nous faut de fortes doses pour retrouver les mêmes sensations et "planer". C’est pour ça que certains prennent de la dab et non de simples joints, mais tout le monde n’a pas cette résistance.» Lui qui se souvient avoir vu un jour quelqu’un prendre «8 grammes d’huile de cannabis» sur YouTube regrette aussi que les risques associés à ces quantités ne soient jamais mentionnés nulle part sur la plateforme.

 

«Le truc, poursuit le spécialiste, c’est qu’on voit des gens se défoncer, sans avoir d’aperçu des conséquences négatives sur leur corps ou leur cerveau. Ça participe à renforcer l’image d’un cannabis sans danger. On se dit juste : "OK, en fait ça ne risque rien, je peux en prendre moi aussi", alors qu’il y a certaines drogues dont on ignore encore tout au niveau scientifique et médical, et dont on ne connaît pas le mode de fabrication. Souvent, la dab est faite dans des laboratoires de fortune ou dans la cave de quelqu’un, comme on ferait de la meth.»

 

Pour Scott, qui compte 60 % de visiteurs entre 18 et 34 ans sur son site, pas question pour autant de dire que les weedtubers auraient une mauvaise influence, notamment sur les jeunes. Il reste persuadé que ces derniers «découvrent toujours l’herbe dans les cours d’écoles, avec leurs copains», exactement comme avant. Les youtubeurs ne feraient que leur «offrir une éducation» positive à la fumette, «qui n’est pas disponible autrement». Loin de trouver cela dangereux, le développeur web s’en réjouit même, allant jusqu’à espérer que tous les Etats légalisent prochainement le cannabis, pour voir encore «évoluer» les weedtubers.

 

Règles contournées

 

Ces derniers ne semblent pourtant pas accorder une grande importance à la loi. Si l’usage de l’herbe récréative ou médicale est autorisé dans plus de la moitié des Etats américains, ce n’est pas encore le cas à Vancouver (Canada), où Steve coule des jours heureux. Il est formellement interdit là-bas de fumer un joint en public. Cependant, comme MarijuanaMan2 l’assure, la police n’appliquerait «pas vraiment» la loi. Du moins, pas toujours. Le weedtuber n’a ainsi jamais eu de problème avec les autorités, et dit ne pas s’en inquiéter le moins du monde. D’après Scott, la tolérance a également cours aux Etats-Unis.

 

Il dit ainsi ne se souvenir que d’une seule arrestation de youtubeur : celle de CustomGrow420. Sauf que ce n’est pas pour une quelconque affaire de drogues qu’il a failli se retrouver derrière les barreaux, mais pour s’être filmé en traversant un pont à Washington, «alors que c’était illégal». «A part cet incident, je n’ai jamais entendu d’histoire de weedtuber qui ait eu des problèmes pour avoir pris de la marijuana», affirme le fondateur de Weedtubers.com.

 

Ces derniers ne manquent pas d’astuces pour contourner les règles. Certains, qui vivent là où l’usage médical du cannabis médical est légal, n’oublient ainsi jamais de mentionner au début de leurs vidéos qu’ils fument «parce qu’ils ont une maladie». Grâce à cette combine, ils restent à l’abri d’éventuelles poursuites. «De toute façon, l’idée qu’on puisse mettre quelqu’un en prison pour ça semble absurde, voire ridicule, même pour la police», rit jaune Benjamin Cort, le militant anti-légalisation.

 

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Cela l’est d’autant plus que le mouvement pro-cannabis prend de l’ampleur aux Etats-Unis. Bien qu’elle soit toujours illégale au niveau fédéral, la consommation d’herbe en toute liberté est désormais autorisée dans plusieurs Etats. Le Colorado et l’Etat de Washington ont été les premiers à passer le cap, en 2012, la loi étant entrée en vigueur deux ans plus tard. Depuis, l’Alaska, l’Oregon et le district de Columbia ont suivi. Quinze autres Etats ont choisi quant à eux de dépénaliser le cannabis. Parmi eux, le plus peuplé du pays, la Californie, où l’usage médical de la weed est déjà possible, demandera en novembre à ses habitants s’ils sont favorables à une légalisation totale.

 

Perrine Signoret

 

Source: liberation.fr



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