France - Amende forfaitaire pour la consommation de drogue : un "échec annoncé" ?


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Une amende de 200 € pourrait sanctionner toute personne surprise par la police en train de consommer du cannabis ou tout autre stupéfiant. Des associations dénoncent une mesure qui ne ferait qu’aggraver un problème de santé publique.

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Dans le cadre d’une loi visant à réformer la justice, les députés viennent d’adopter une amende forfaitaire pour usage de stupéfiants, dont le montant a été fixé à 200 euros. Cette amende qui sera signifiée directement par un policier ou un gendarme, sans passer par un magistrat, ne s’appliquera pas aux mineurs.

 

La mesure n’est pas encore en vigueur, mais suscite d’ores et déjà la polémique. Dans une conférence de presse organisée le 13 novembre 2015, au siège de Médecins du monde, diverses associations mais aussi des représentants du monde judiciaire et de la police dénoncent l’article 37 de la future loi. Leurs arguments sont développés dans un livre blanc. 

Tous partent du même constat : malgré une législation antidrogues de plus en plus répressive, la France affiche des niveaux de consommation très élevés, que ce soit en matière de cannabis (1er au niveau européen) et de cocaïne (3e au niveau européen) pour les drogues illégales, mais aussi de tabac et d’alcool pour les produits autorisés. 

 

En Europe, la France reste parmi les six pays (Finlande, Grèce, Hongrie, Suède, Chypre) qui, dans leur législation, prévoient une peine d’emprisonnement pour les consommateurs de drogues. De fait, 11 % des condamnations pour usage de stupéfiants aboutissent à une peine de prison (ferme ou sursis), aujourd’hui en France. Rappelons que, rien que pour que le cannabis, 167 000 consommateurs (pas trafiquants) ont été interpellés en 2014.

 

Pour les associations, la prison ne résout rien. Et la future amende non plus. « Tous les usages de drogue ne sont pas problématiques », rappelle Nathalie Latour, déléguée générale de la Fédération addictions. L’interpellation ou l’amende ne tiennent aucun compte du profil de la personne : s’agit-il d’un consommateur régulier, occasionnel, qui nécessite des soins ou pas ? « La réponse pénale ne fait qu’enfoncer la personne », ajoute Katia Dubreuil, présidente du syndicat de la magistrature. 

 

Quant à Bénédicte Desforges, ex-policière, représentante du Collectif Police contre la prohibition et de l'association Asud, elle observe que l’amende « sera applicable à la récidive sans se poser la question de savoir s’il y a un problème d’addiction ».

Pour les associations, cette solution n’est pas la bonne. Elles incitent les pouvoirs publics à réfléchir à d’autres modèles (une meilleure prévention, une réelle prise en charge des patients addicts...) en rappelant qu’en 2017, l’Onu et l’OMS (Organisation mondiale de la santé) ont appelé à dépénaliser l’usage des drogues au niveau mondial.

 

Pour plusieurs associations, mais aussi certains magistrats et policiers, cette énième mesure répressive est vouée à l’échec.

Dès lundi, les députés vont examiner le projet de loi de réforme de la Justice. Avec ce texte touffu, qui aborde aussi bien le budget de l’institution, l’augmentation des places de prison ou l’échelle des peines, ils devraient créer une amende forfaitaire délictuelle de 200 euros punissant l’usage de stupéfiants.

 

Une disposition qui entend répondre à l’augmentation constante du nombre de consommateurs de cannabis – 5 millions en 2017, dont 700 000 usagers quotidiens, selon les chiffres officiels -, tout en conservant le cadre répressif instauré depuis 1970 : quelle que soit la drogue, le contrevenant risque notamment jusqu’à un an de prison.

Accentuer les "échecs" de la France

Cette "obstination répressive risque d’accentuer et d’aggraver les échecs de la France en matière de politique publique des drogues", estiment plusieurs associations de médecins, d’usagers, de magistrats et de policiers. Emmené par Médecins du monde, ce groupement a publié mardi un livre blanc adressé aux députés leur demandant de voter contre l’amende, qu’il estime inefficace et discriminatoire.

 

"L’amende accélère la répression et vient s’ajouter à tout ce qui existe déjà. C’est un précipité de tout ce qui ne fonctionne pas dans la procédure délictuelle", juge Katia Dubreuil, présidente du Syndicat de la magistrature, classé à gauche. Avec 170 000 usagers de cannabis arrêtés en 2014, les interpellations pour usage ont triplé en 20 ans, selon le livre blanc.

"Contrôles au faciès"

Pour désengorger les tribunaux, la justice a multiplié les alternatives aux poursuites : rappel à la loi ou stage de sensibilisation et procédures simplifiées qui condamnent l’usager à une amende ou une injonction de soins sans passer devant un juge. "Avec l’amende remise par les forces de l’ordre, on pousse la logique jusqu’au bout, il n’y aura aucune individualisation de la sanction", proteste Katia Dubreuil. "Qu’on soit chef d’entreprise ou chômeur, on aura exactement la même amende à payer."

 

Face aux futures contestations, le gain de temps promis aux magistrats n’est "pas si évident", ajoute-t-elle. Selon le projet de loi, l’amende pourrait être infligée même en cas de récidive. "On va pouvoir verbaliser la même personne plusieurs jours de suite, sans même se poser la question de l’addiction", observe Bénédicte Desforges, ex-policière et cofondatrice du collectif Police contre la prohibition. "C’est complètement irresponsable et ça va doper la politique du chiffre". 

 

La Ligue des droits de l’homme craint, elle, un "renforcement des contrôles au faciès", selon son président Malik Salemkour. Le livre blanc dénonce une "réforme qui passe à côté des véritables enjeux", en oubliant la santé publique.  

 

 

Sources:  sudouest.frsantemagazine.fr

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