Le plaidoyer pro-cannabis de Laurence Rossignol senatrice PS de l'Oise


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Au Sénat se tenait un débat sur le thème : «Le cannabis, un enjeu majeur de santé publique». La sénatrice de l’Oise Laurence Rossignol y a pris la parole pour raconter comment deux femmes ont été contraintes de se «transformer en délinquantes» pour soulager leurs souffrances.

 

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Voici le texte (complet) de son intervention :

 

«Je commencerai mon propos en vous contant l’histoire de deux amies proches qui ont été atteintes d’un cancer du sein et ont subi des chimiothérapies très lourdes.

L’une et l’autre – elles ne se connaissent pas d’ailleurs – m’ont confié que si elles n’avaient pas eu de quoi fumer un peu de cannabis tous les soirs, elles ne seraient pas parvenues à endurer la chimio. Ce qui leur a permis de supporter la douleur liée à la chimio – il n’y a pas que la douleur due à la maladie, il y a aussi la douleur provenant du traitement –, c’est de pouvoir fumer du cannabis.

 

Pour affronter leur cancer et les traitements, ces deux femmes d’une cinquantaine d’années, mères de famille, ont été obligées de devenir des délinquantes, mais aussi de transformer leurs enfants en délinquants. En effet, quand vous êtes une femme de cinquante ans vivant une vie « normale » et que vous apprenez que le cannabis peut vous soulager, vous savez que ce n’est pas à l’épicerie du coin que vous en trouverez.

Elles en ont donc parlé à leurs enfants parce que, comme tous les enfants de cet âge, ils connaissaient au moins une personne qui elle-même connaissait quelqu’un qui savait où se procurer du cannabis. Et ce sont leurs enfants qui sont allés leur chercher du cannabis.

La loi, telle qu’elle est aujourd’hui, transforme de bons citoyens voulant lutter contre la souffrance, ainsi que leurs familles, en délinquants. Il y a là quelque chose d’extrêmement choquant !

 

Mes amies m’ont raconté leur histoire alors que j’étais moi-même ministre. Elles m’ont demandé à l’époque si rien ne pouvait être fait pour elles. Je leur ai alors répondu : « Vous savez, en France, le débat sur le cannabis n’est pas simple ! »

Je sais que le Gouvernement n’est pas fermé sur cette question, qu’il est même ouvert. Je ne rappellerai pas les démarches qu’il a engagées et que mes collègues ont déjà rappelées. Je crois toutefois que le sujet mérite que nous nous intéressions quelques instants à notre rapport à la douleur, à cette histoire de la douleur dans notre culture et dans notre civilisation.

Sur le plan médical, la douleur a longtemps été considérée comme un signal utile, un signal d’alarme informant d’une agression contre l’organisme. Les médecins l’appréciaient, car elle faisait partie des signaux cliniques et aidait à progresser dans le diagnostic.

 

Ensuite, qu’on le veuille ou non, nous sommes le produit d’une histoire marquée par le stoïcisme : résister à la douleur est courageux. Ne pas y résister est beaucoup moins honorable.

Enfin, nous sommes le produit d’une civilisation dans laquelle il y a une sorte de fatalité à la douleur. On adresse même une injonction aux femmes : « tu enfanteras dans la douleur ! »

Notre rapport à la douleur, et, donc, au traitement de la douleur, s’inscrit dans une culture et une histoire pesante, mais aussi morale. Ce rapport est en effet d’ordre non pas simplement sanitaire, mais aussi moral. Et la France a longtemps accusé un retard certain en matière de prise en charge de la souffrance. Nous avons récemment beaucoup progressé dans ce domaine grâce au lancement de plusieurs plans de lutte contre la douleur.

Toutefois, dans une enquête EPIC – European Pain In Cancer Survey – conduite en 2007 – ce n’est pas si lointain, et certains pays étaient déjà entrés dans la modernité à cette date ! –, environ 62 % des patients atteints d’un cancer en France déclaraient souffrir de douleurs quotidiennes, contre 24 % seulement des patients atteints des mêmes pathologies en Suisse !

 

Cet écart est significatif de la manière dont nous avons pris du retard dans le traitement de la douleur, à la fois par morale, par tradition médicale, dirais-je, et par peur de la drogue. Une collègue l’a d’ailleurs fort bien dit : n’oublions pas que le cannabis est une drogue. Mais, ma chère collègue, c’est le cas d’à peu près toutes les substances médicamenteuses !

Qui oserait proposer dans cette enceinte de priver de morphine les patients atteints de maladies graves ou en fin de vie, ou même des patients souffrant de maladies moins graves, mais qui en auraient besoin à un moment donné ? La morphine est pourtant bien une drogue !

 

Je suis sûre que certains d’entre vous, mes chers collègues, ont déjà été contraints de prendre des opiacés à cause de douleurs de dos, pour pouvoir tenir le coup après avoir beaucoup manifesté et battu l’estrade ici et là. Cette approche par le biais de la notion de drogue ne me paraît donc ni pertinente ni utile pour soulager la souffrance.

Et puis je ne suis pas certaine que notre pays soit bien placé pour donner des leçons sur ce qu’est une drogue. Nous sommes le deuxième plus gros consommateur de benzodiazépine en Europe, traitement prescrit sans aucune retenue par de nombreux médecins. Nous sommes un pays dans lequel les somnifères, les tranquillisants et tout un tas de substances psychoactives sont très facilement accessibles, alors qu’ils produisent une accoutumance probablement encore plus grande que celle que provoque le cannabis.

 

Bien sûr, il y a des risques pour la santé. Mais si vous lisez la notice de n’importe lequel des médicaments que vous prenez régulièrement, vous vous apercevrez qu’aucun médicament n’est sans risque pour la santé. Le médicament neutre pour la santé n’existe pas ! C’est pourquoi cette approche sous l’angle du risque pour la santé ne me paraît pas non plus devoir être retenue. Ou alors, il faut l’appliquer à l’ensemble de la pharmacopée, ce qui montre bien la limite de notre réflexion.

Enfin, il faut bien entendu rappeler que la question du cannabis thérapeutique diffère de celle de l’usage du cannabis.

Cependant, la question du cannabis est aussi un sujet de santé publique. On ne peut pas s’en tenir à nos fondamentaux actuels en la matière sans évaluer le rapport exact entre l’efficacité de notre législation et le niveau de consommation de cannabis.

 

Aujourd’hui, notre pays a l’une des réglementations les plus répressives en matière d’usage du cannabis, mais aussi d’accès au cannabis thérapeutique, et pourtant la consommation la plus élevée.

J’ai la liste des pays qui l’ont légalisé : l’Allemagne, l’Argentine, l’Australie, l’Autriche, le Brésil, le Canada, le Chili, Chypre, la Colombie, la Croatie, le Danemark, l’Espagne, quatorze États des États-Unis, la Finlande, la Grèce, le Mexique, la Norvège, la Nouvelle-Zélande, etc. Nous sommes désormais bien seuls à rester campés sur nos positions et à rester crispés sur cette question.

 

Je ne connais aucune autre politique publique pénale qui soit autant mise en échec sans jamais être remise en question que celle de lutte contre l’usage du cannabis ou des « drogues douces », comme on les appelait à une époque.

Je ne prétends pas avoir la solution ou détenir la bonne réponse, mais je sais que ce débat devrait a minima cesser d’être tabou, ne serait-ce qu’au regard de nos exigences en matière d’évaluation des politiques pénales.

 

Pourquoi faut-il, à mon sens, que le Gouvernement poursuive et accélère la démarche qu’il a engagée en faveur du cannabis thérapeutique ? Parce que ce que les gens consomment quand ils se procurent du cannabis par eux-mêmes est vraiment toxique. Et c’est ainsi non pas uniquement parce que le produit est toxique, mais parce qu’il n’est pas contrôlé !

Quand la police opère une saisie et que les scientifiques analysent ce cannabis, on découvre des substances que l’on n’aurait même pas imaginées : du pneu, du cirage et mille autres matières toutes plus toxiques que le produit lui-même. Il y a donc également urgence à garantir à certains malades – pas à tous, probablement ! – qui ont besoin d’antidouleurs supplémentaires, que le cannabis peut leur procurer, de pouvoir compter sur des circuits contrôlés et sécurisés sur le plan sanitaire.

 

En conclusion, monsieur le secrétaire d’État, vous nous trouverez auprès de vous et nous vous soutiendrons dans la démarche que vous avez entreprise en faveur d’un accès facilité au cannabis thérapeutique et à un cannabis mieux contrôlé sur le plan sanitaire.
(Applaudissements

sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)»

 

Source: oisehebdo.fr

 

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