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Légalisation du cannabis : le courage d’abandonner la lâcheté


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La mise en place, depuis le 1er septembre, de l'amende forfaitaire pour usage de stupéfiants relève d'une politique répressive d'un autre âge. Il est temps de mettre en place une forme de dépénalisation ou de tolérance.

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Photo Philippe Lopez. AFP

 

Tribune. Entre polémique sur «l’ensauvagement» du pays et grandes opérations de police, Gérald Darmanin impose ses thèmes en cette rentrée politique, endossant sans états d’âme le costume de premier flic de France. La ligne est claire, c’est la sanction qui prime, gage de réparation pour les victimes et de dissuasion pour les auteurs. Les débats sur le rôle et la place de l’institution policière en France, sa relation aux minorités, son rapport à la violence mais aussi ses missions et ses conditions de travail, sont remisés au placard. La généralisation de l’amende forfaitaire pour usage de stupéfiants, en vigueur depuis le 1er septembre, s’inscrit dans cette droite ligne, promettant de réprimer plus efficacement les consommateurs sans s’interroger sur le bien-fondé de cette politique et ses effets sur les relations entre la police et la population.

 

En effet, plus qu’aucune autre, c’est bien la répression des drogues, et principalement du cannabis, qui mène aux dérives que l’on connaît. Elle explique les contrôles incessants à l’égard de certains segments de la population et la concentration des moyens et des effectifs policiers dans les quartiers où le trafic a lieu, ce trafic qui pourrit la vie des habitants et exacerbe la violence, mais n’existe que parce que l’Etat en a décidé ainsi, en en interdisant le commerce légal.

 

Cette répression nourrit la politique du chiffre et mène à un dévoiement de la mission des forces de l’ordre. Le collectif Police contre la prohibition l’exprime très bien : «C’est un délit qui est résolu dès qu’il est constaté, c’est du 100% de taux d’élucidation, et ça, c’est très précieux pour les chiffres de la délinquance. 56% de l’activité d’initiative des flics, c’est la répression de l’usage de drogues, faire vider les poches et mettre en garde à vue pour le quart de gramme de shit qu’on a au fond de la poche.»

 

Les chiffres, eux, sont éloquents. Entre 2014 et 2015, 56% des infractions revélées par l’action des forces de l’ordre, qui représentent la part proactive de l’activité policière, étaient liées aux stupéfiants, parmi lesquelles 85% concernaient un usage simple et 90% touchaient au cannabis. Ce sont ces infractions qui viennent engorger les tribunaux et nourrir la surpopulation carcérale, puisqu’elles concernent près de 20% des détenus (Observatoire international des prisons). A noter que dans les condamnations liées aux stupéfiants, le trafic occupe une part marginale, de l’ordre de 2% (Observatoire français des drogues et des toxicomanies).

La répression et le contrôle encouragés

En clair, une part démesurée de l’activité policière consiste à réprimer un comportement qui ne nuit pas à autrui et dont la consommation occasionnelle présente des risques limités pour la santé, en tout cas pas plus élevés que ceux émanant de la consommation des drogues légales que sont le tabac et l’alcool. Cette activité des forces de l’ordre génère en retour des effets secondaires désastreux, exacerbant notamment les tensions avec une partie de la jeunesse, pour un résultat non-existant en termes de santé publique.

 

La nouvelle amende forfaitaire de 200 euros ne réglera en rien ces problèmes, pire, elle risque de les aggraver. Elle pourrait alléger le volet judiciaire de la répression des drogues en mettant fin aux poursuites lors de son règlement, mais encore faut-il que l’amende soit systématiquement payée. Les premières expérimentations sont loin de l’avoir démontré. Du côté du travail des policiers, on peut par contre prévoir l’effet l’inverse. Cette mesure, qui permet de punir plus simplement les usagers, encouragera les contrôles et les sanctions. On peine à croire Gérald Darmanin quand il déclare qu’elle sera appliquée «dans les quartiers de Créteil comme dans le XVIarrondissement de Paris», un secteur de la capitale où l’activité policière se fait pour le moins discrète. Ce sont bien les habitants des quartiers qui en seront la première cible.

 

Pour faire cesser cette guerre absurde et son cortège de drames et de vexations, une solution existe, c’est celle de la légalisation du cannabis. Bien menée, elle apporterait de nombreux bénéfices pour les usagers, les policiers et la population dans son ensemble. Au-delà d’une meilleure politique de prévention et de nouveaux gains économiques et fiscaux, la légalisation mettrait aussi un terme à l’insupportable gâchis humain auquel mène la prohibition. Elle débarrasserait enfin les forces de l’ordre d’une activité répressive qui n’a que peu de choses à voir avec la protection de l’ordre public et de la population.

 

Une telle légalisation ne serait pas synonyme de «lâcheté intellectuelle», comme le pense Gérald Darmanin, mais nécessiterait au contraire de faire preuve d’un grand courage politique. Il faut espérer que la mission d’information parlementaire «Réglementation et impact des différents usages du cannabis», qui se tient en cette fin d’année 2020, débouche sur des propositions concrètes en ce sens et fasse évoluer un débat miné par les postures. Alors que la plupart de ses voisins ont déjà bougé, en mettant en place une forme ou une autre de dépénalisation ou de tolérance, la France ne peut plus se contenter d’une posture aussi rétrograde, qui a prouvé toute son inefficacité.

 

Par Vincent Delhomme, directeur des études du think-tank GenerationLibre

Source: liberation.fr

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  • 2 semaines après ...

La légalisation du cannabis a fait baisser la consommation

TRIBUNE - Pour Pierre-Yves Geoffard, professeur à l'Ecole d'Economie de Paris et expert de la santé, la légalisation encadrée du cannabis n'est pas une "lâcheté" comme l'affirme Gérald Darmanin. C'est une politique rationnelle qui a réussi à réduire la consommation chez les jeunes, notamment au Canada. 

 

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Des plants de cannabis dans une serre du producteur canadien Tilray - AFP - PATRICIA DE MELO MOREIRA

 

Gérald Darmanin et Eric Dupond-Moretti ont annoncé la généralisation, au 1er septembre, de l’"amende forfaitaire délictuelle" permettant aux forces de l’ordre de condamner plus rapidement les consommateurs de cannabis ou de cocaïne. La loi française, déjà la plus répressive d’Europe sur l’usage de drogues, dispose désormais d’un outil supplémentaire. Au passage, on notera l’évolution de la communication gouvernementale: en juin, il s’agissait d’"expérimenter" le dispositif dans trois villes. Quand on expérimente à petite échelle, en principe, c’est pour apprendre quelque chose, pour être mieux informé avant de décider ensuite d’étendre, ou d’arrêter.

 

Des médicaments dérivés du cannabis utiles

Qu’a-t-on appris de ces trois mois? Aucune évaluation n’a été réalisée, et l’expérimentation est rétrospectivement qualifiée de "déploiement progressif". A l’inverse, sur le potentiel thérapeutique du cannabis, on attend les résultats d’une expérimentation… qui deux ans après son annonce n’a toujours pas démarré. Peut-être a-t-on trop peur d’apprendre ce que les soixante-seize pays ou Etats qui l’autorisent, parfois depuis des décennies, connaissent déjà? Sans être une universelle panacée, les médicaments dérivés du cannabis peuvent être utiles dans le traitement de certaines maladies, c’est connu, documenté, mais il faut le démontrer à nouveau ici, car la France c’est différent.

 

Pour revenir aux usages récréatifs du cannabis, ceux visés par le renforcement de la répression, là aussi, nous pourrions tenir compte des expériences étrangères. Car de plus en plus d’Etats tirent les leçons d’une aventure prohibitionniste, entamée dans les années 1970, qui a amplement montré son échec. Partout, le désastre est triple. Sécuritaire tout d’abord, car l’illégalité de la vente génère une activité criminelle, engorge les tribunaux et les prisons, nourrit les mafias bien plus que les petits revendeurs, gangrène les territoires où se déroule le trafic. Economique ensuite: au lieu de l’Etat qui pourrait bénéficier de taxes perçues sur un produit massivement consommé, ce sont les organisations criminelles qui s’enrichissent.

 

En France, la consommation de cannabis est la plus élevée chez les jeunes

Mais c’est surtout un désastre sanitaire: on sait que la consommation régulière de cannabis nuit au développement cognitif, or la France est le pays d’Europe où la consommation de cannabis est la plus élevée chez les plus jeunes. Comme l’amende forfaitaire ne s’applique pas aux mineurs, on ne voit d’ailleurs pas bien en quoi elle pourrait contribuer à résoudre ce drame de santé publique. Parmi les dix-neuf pays ou Etats ayant choisi de réguler le cannabis par l’encadrement strict d’un marché légalisé, l’expérience du Canada, depuis 2018, est la plus intéressante. Le gouvernement fédéral a atteint son objectif premier, qui était de réduire la consommation des plus jeunes ; chez les 15-17 ans, celle-ci est passée de 19,8% à 10,4% d’usagers dans les trois derniers mois.

 
 

La légalisation encadrée est une telle réussite que, durant le récent confinement, les boutiques dédiées à la vente de cannabis ont été, sans beaucoup de débat, jugées "essentielles", au même titre que les commerces alimentaires ou les vendeurs de vin ou de tabac. Même si les succès sont moins spectaculaires dans les autres Etats engagés dans la légalisation, aucun n’est revenu en arrière. Le constat est unanime: réguler est plus efficace que prohiber. Abandonner une politique répressive qui ne marche pas, ce n’est pas faire preuve de "lâcheté" comme le claironne Gérald Darmanin: c’est, tout simplement, faire preuve de raison.

Par Pierre-Yves Geoffard, professeur à l'Ecole d'Economie de Paris et expert de la santé

 

Source: challenges.fr

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