Mieux accompagner les usagers de drogues, un devoir urgent de santé publique


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Salut

 

Je me permets de partager 2 articles publiés hier sur mediapart.fr, ça ne concerne pas directement le cannabis mais je trouve que ça montre bien les enjeux liés à la Réduction Des Risques qui est une problématique qui concerne aussi notre chanvre favori ;)

 

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Mieux accompagner les usagers de drogues, un devoir urgent de santé publique

17 août 2021 Par Rozenn Le Saint
 

Entre Paris et Strasbourg, des modèles de prise en charge durable des toxicomanes inspirés de l’étranger font leurs preuves. Du fait d’un arbitrage tardif de l’exécutif, elles peinent à essaimer malgré le besoin grandissant d’encadrement.

Tant que les toxicomanes sont déplacés et non accompagnés, les problèmes de santé publique demeurent. En témoigne la situation au nord-est de Paris qui cristallise les problématiques liées à l’usage de drogues. Les centaines de consommateurs de crack du jardin d’Éole ont été expulsées dans la nuit du 29 au 30 juin. 

En attendant des solutions pérennes, ils errent dans les rues avoisinantes. Déjà, l’évacuation de la colline du crack fin 2019, un peu plus au nord de Paris, devenue haut lieu de la consommation de crack, sans encadrement, n’avait rien résolu.

« Nous souhaitons proposer plusieurs lieux en intérieur, où la consommation est supervisée médicalement, au moins deux ou trois dès septembre et si possible avant, dans une démarche pérenne. Mais pour cela il nous faut l’aval et le soutien de l’État », justifie Anne Souyris, chargée de la santé publique à la mairie de Paris.

 

Dans le centre de réduction des risques pour toxicomanes, Pause Diabolo, Lyon, en 2015. © Photo Amélie Benoist / BSIP via AFP
Dans le centre de réduction des risques pour toxicomanes, Pause Diabolo, Lyon, en 2015. © Photo Amélie Benoist / BSIP via AFP

 

C’est pour éradiquer ces scènes ouvertes de consommation que la Suisse a créé son premier centre d’injection supervisé dès 1986. L’objectif a été atteint. 

Trente-cinq ans plus tard, l’adjointe de la maire socialiste Anne Hidalgo reproche au préfet « de mettre les usagers de crack tous ensemble dans un no man’s land au nord de Paris où l’on consomme beaucoup plus de drogues. Cela ne résout rien. Ce qu’il faut, c’est davantage de salles de consommation à moindre risque. S’il faut passer par la désobéissance civile nous allons finir par le faire, mais l’avenir, c’est de travailler ensemble », soutient-elle (voir la Boîte noire).

 

La crainte du rejet des riverains de ces salles explique en partie la dissonance de l’exécutif sur le sujet. Dans l’attente d’un arbitrage, la situation s’est envenimée. « Avec la médiatisation de la colline du crack puis du regroupement au jardin d’Éole, énormément de gens de province sont venus s’accrocher à la colline », regrette Bénédicte Bertin, travailleuse sociale au sein de l’association Charonne, qui vient en aide aux usagers de drogues parisiens.

« Comme l’envie de consommer est très forte et revient vite avec le crack, qui rend dépendant psychologiquement, les usagers restent dans le quartier pour tenter d’en avoir tout le temps dans ces scènes de consommation ouvertes 24 heures sur 24 », déplore aussi Bénédicte Bertin.

La consommation en elle-même provoque des dommages directs sur la santé de ces accros aux drogues, mais également des dégâts collatéraux, notamment liés aux agressions sexuelles dont sont victimes la plupart des usagères, ou encore aux déchets de seringues qui traînent dans l’espace public. Comment border cette dérive délétère ?

 

À Paris, une seule salle de consommation à moindre risque existe, implantée dans le quartier de la gare du Nord depuis fin 2016, à titre expérimental. Une deuxième en France a ouvert au même moment, à Strasbourg. 

Près de cinq ans plus tard, des études menées par l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT) et l’Institut national de la recherche médicale (Inserm) soulignent leurs bienfaits pour la santé publique. 

Une seule salle à Paris dans une ville si dense et si peuplée, c’est totalement insuffisant.

À Strasbourg, les voisins de la salle ne constituent pas un obstacle. Les plus proches vivent à 400 mètres, de l’autre côté d’un affluent du Rhin. La salle a aussi été implantée au sein de l’hôpital civil, ce qui limite les rassemblements dans la rue, avec un accès par les quais, pour que cela ne freine pas non plus la venue des toxicomanes.

« Nous travaillons aussi à proximité puisqu’à 20 minutes à pied se trouve le quartier de l’Elsau, plaque tournante de la cocaïne à Strasbourg. Nous intervenons sur le chemin, notamment en ramassant des seringues si les usagers n’ont pas attendu d’arriver jusqu’à la salle pour consommer », relate Gauthier Waeckerlé, directeur de l’association Ithaque qui gère la salle de consommation à moindre risque alsacienne. 

Loin de s’attribuer les lauriers du succès de l’opération, il explique tout simplement qu’« une seule salle à Paris dans une ville si dense et si peuplée, c’est totalement insuffisant ». Même écho du côté d’Alexandre Feltz, médecin addictologue délégué à la santé à la mairie écologiste de Strasbourg. Il estime qu’il en faudrait entre dix et quinze dans la capitale.

 

Un consommateur de drogue dans la salle d'attente de la salle de consommation à moindre risque Argos, à Strasbourg, en 2017. © Photo Sébastien Bozon / AFP
Un consommateur de drogue dans la salle d'attente de la salle de consommation à moindre risque Argos, à Strasbourg, en 2017. © Photo Sébastien Bozon / AFP

 

Rien que s’agissant de la consommation de crack, la mairie de Paris compte environ 700 usagers. La salle parisienne a accueilli 1 600 consommateurs différents de drogues en tout depuis cinq ans et celle de Strasbourg, 1200. Mais l’espace proche de la gare du Nord enregistre dix fois plus de passages chaque jour.

Parmi les consommateurs strasbourgeois, près de la moitié sont accros aux opiacés comme l’héroïne, 38 % prennent de la cocaïne, majoritairement par voie injectable et 6 à 7 % du crack, cette drogue du pauvre, mélange de cocaïne et de bicarbonate de soude ou d’ammoniac.

Alors que la France s’est contentée de mettre en place deux salles de consommation à moindre risque, « dans le même temps, le Canada, près de deux fois moins peuplé, en a déployées 50. À Vancouver, les usagers qui fréquentent ces salles ont été 18 % plus nombreux à demander à enclencher un sevrage, 23 % ont cessé d’injecter et 57 % sont entrés en traitement des addictions », analyse Marie Jauffret-Roustide, sociologue et autrice d’études sur l’usage des drogues pour l’Inserm.

De quoi renforcer la volonté de maires de grandes villes de France d’y implanter une salle de consommation à moindre risque comme Marseille, Bordeaux, Lyon ou Montpellier. Le 28 juin, le conseil municipal de Lille a même voté l’ouverture d’un espace dédié que la ville envisage de créer d’ici à octobre « au sein du centre hospitalier, là où une clinique d’addictologie existe déjà. Ainsi, un public est déjà identifié et il n’y a pas de voisinage de proximité », s’est félicitée Marie-Christine Staniec-Wavrant, adjointe à la santé de la maire socialiste Martine Aubry.

Celle-ci en appelle à l’arbitrage de l’exécutif, nécessaire pour ouvrir le lieu dans un cadre expérimental, puisqu’elle se positionne à contre-courant de l’avis de Gérald Darmanin, ministre de l’intérieur et baron politique du Nord. Le 21 juin, il a fait savoir qu’il n’accorderait aucun soutien à ce projet. « La drogue ne doit pas être accompagnée mais combattue », justifiait-il. 

« Cet outil de santé publique fait pourtant ses preuves. En revanche, il n’y a aucune preuve qui établit que cela incite à consommer davantage. C’est une posture électorale, une aberration totale. Au contraire, l’encadrement permet aux usagers de reprendre pied et de réguler le rythme de consommation. L’équipe intervient quand elle estime qu’une personne se met en danger », commente le directeur d’Ithaque, chargé de la salle alsacienne.

Le 15 juillet, le ministère de la santé a informé de la poursuite de l’activité des salles de consommation à moindre risque expérimentales au-delà de 2022, ce qui signifie que Matignon a enfin tranché en faveur d’Olivier Véran qui avait mis en avant les résultats positifs des expérimentations menées à Paris et à Strasbourg. 

Une disposition devrait être inscrite dans le projet de loi de financement de la Sécurité sociale, qui sera soumis au vote de l’Assemblée nationale en septembre, pour prolonger l’existence de ces salles. La création de nouveaux lieux de consommation devrait être autorisée au cas par cas par le ministère, après consultation entre élus locaux, agences régionales de santé, préfectures et parquets.

Moins de consommations, d’injections et de passages aux urgences

Sur une période de six mois, les usagers des salles de consommation à moindre risque parisiennes et strasbourgeoises étaient 3 % à avoir souffert d’abcès au point d’injection, contre 14 % pour le groupe témoin de toxicomanes, en comparaison ; 17 % ont dû aller aux urgences, contre 41 % pour les autres comme l’ont montré les résultats d’une recherche sociologique sur l’impact de la salle de consommation à moindre risque sur la tranquillité publique et son acceptabilité sociale publiés en mai.

À l’origine, les salles de consommation à moindre risque ont été ouvertes pour limiter les possibilités de transmission de maladies, comme le VIH et les hépatites, liés aux échanges de seringues. Les éducateurs, en plus de proposer du matériel stérile pour éviter les risques de contamination, incitent aussi les usagers à délaisser la prise de drogues par voie injectable, la plus dangereuse. Et cela paie. 

De très rares cas d’apparition d’hépatite B sont à déplorer depuis cinq ans, d’autant que l’association Ithaque propose aussi la vaccination… Également contre le Covid-19, par ailleurs. Les relais que constituent les travailleurs sociaux représentent l’un des seuls moyens d’atteindre ces publics très précaires. 

« Depuis l’ouverture, la voie injectable a diminué de 10 points par rapport à d’autres modes de consommation. Les usagers se mettent à fumer ou inhaler l’héroïne par exemple avec des feuilles d’aluminium, une pratique appelée “chasser le dragon” », explique Gauthier Waeckerlé.

Pour amener les usagers à délaisser la seringue, des espaces pour fumer et inhaler les produits tels que le crack ont été mis en place, mais d’une capacité très restreinte car cela nécessite un espace à part avec hotte aspirante autour des postes d’inhalation. 

Aucune overdose mortelle n’a été dénombrée dans les salles à Paris et Strasbourg en près de cinq ans. Aucune non plus à Copenhague depuis 2012. Cette année-là, deux lieux de consommation de drogues encadrés ont été mis en place dans le quartier de Vesterbro, « grand marché de la drogue à ciel ouvert », comme l’a décrit Mia Nyegaard, élue chargée des services sociaux à la mairie de Copenhague à l’occasion du colloque européen sur les salles de consommation à moindre risque qui s’est déroulé le 1er juillet.

Le pays scandinave avait agi à la suite d’un constat : en 2009, le Danemark était le troisième pays du Vieux continent qui enregistrait le plus de morts liés à l’usage de drogues. En 2016, il était le sixième, résultat d’une nette diminution, selon l’Observatoire européen des drogues et des toxicomanies. 

 

Capture d'écran du rapport de l'Observatoire européen des drogues et des toxicomanies. © Observatoire européen des drogues et des toxicomanies
Capture d'écran du rapport de l'Observatoire européen des drogues et des toxicomanies. © Observatoire européen des drogues et des toxicomanies

 

« Le Danemark a inscrit sa politique de prise en charge des usagers de drogues dans un modèle social, avec un accès prioritaire à l’hébergement et aux droits sociaux alors qu’en France, on s’est longtemps centré principalement sur le médical avec un accès facilité aux traitements de substitution, en délaissant les objectifs de réhabilitation sociale », explique la chargée de recherche à l’Inserm Marie Jauffret-Roustide.

Ce schéma tricolore atteint clairement ses limites avec le crack puisqu’il n’existe pas de produit de substitution pour cette drogue du pauvre très consommée dans le nord-est de Paris, et de plus en plus dans les autres grandes villes de l’Hexagone… La dépendance psychologique demande un suivi médicosocial particulier, de long terme.

Dans le milieu de la prise en charge de l’addiction, la position est unanime : pour mieux encadrer la consommation et favoriser le suivi des toxicomanes, il faut multiplier les salles de consommation à moindre risque, notamment dans les centres d’accueil et d’accompagnement à la réduction des risques pour usagers de drogues (Caarud) du fait de leur mission. 

La première solution d’hébergement en France adossée à la « salle de shoot » strasbourgeoise

Et pour assurer un meilleur suivi social et sanitaire, il est nécessaire de compléter le dispositif par une solution d’hébergement. Le « plan crack », signé en 2019, a permis de créer 400 places d’hébergement en tout dans la capitale avec un accompagnement médicosocial, notamment financées par l’agence régionale de santé, la mairie de Paris et la préfecture.

« Quand les usagers de drogues sont sans-abris, ils consomment davantage pour affronter la dureté de la vie à la rue. Une mise à l’abri peut enclencher une régulation de la consommation, voire un sevrage et, en tout cas, une présence moindre dans l’espace public », explique Marie Jauffret-Roustide, chercheuse au CNRS. Pendant la période du Covid-19, les usagers de drogues ont bénéficié de davantage de places à l’hôtel. 

« Ce n’est pas optimum, vous ne mettriez pas votre chien dans certaines chambres tellement elles sont glauques. C’est un pis-aller, nous allons vérifier que les usagers ne sont pas morts, ne laissent pas trop de seringues dans la chambre mais, malgré tout, cela a amélioré la situation de certains. Un vrai lieu d’hébergement permettrait d’avoir un collectif et un suivi plus approfondi », estime quant à elle Élisabeth Avril, directrice de Gaïa, l’association qui gère la salle de consommation à moindre risque parisienne.

Qu’ils soient hébergés ou non, les usagers de drogues consomment la nuit. Autant mettre à disposition des outils et du personnel pour les accompagner et éviter qu’ils en prennent seuls.

À Strasbourg, Ithaque a réussi à y accoler une solution d’hébergement. L’association s’est inspirée de l’exemple hollandais. « Il montre que ce qui fonctionne, ce sont des modèles combinés, avec un accompagnement de réduction des risques, médicosocial, et un hébergement », confirme Marie Jauffret-Roustide.

Depuis début juin, Ithaque loge les usagers les plus vulnérables sur les deux étages au-dessus de la « salle de shoot » : ils devraient être vingt en septembre. Cette solution d’hébergement accolée à un espace de consommation de drogues à moindre risque, la première en France, a officiellement été inaugurée le 1er juillet. 

L’ouverture de cet espace 24 heures sur 24 a été rendue possible à l’issue d’un parcours du combattant mené depuis 2017 pour adapter l’initiative à la loi et notamment à l’arrêté de 2016 réglementant l’expérimentation d’espaces de réduction des risques par usage supervisé des drogues.

« La détention du produit est seulement permise dans la salle de consommation à moindre risque. Les usagers déposent leur drogue avant de monter dans leur chambre mais peuvent descendre en consommer la nuit », explique Gauthier Waeckerlé.

L’assurance-maladie finance le projet via le fonds pour l’innovation du système de santé. L’expérimentation, une « nouvelle solution » qui offre « un suivi davantage adapté et un moment de répit », a d’ailleurs été louée par Olivier Véran, ministre de la santé, à l’occasion du colloque au Conseil de l’Europe du 1er juillet.

L’évaluation de l’initiative permettra de savoir si « cet adossement représente une solution à dupliquer », selon le ministre. En tout, la salle et la solution d’hébergement de Strasbourg représentent un budget de fonctionnement de 1,5 million d’euros par an.

« Les solutions de court terme comme l’hébergement à l’hôtel coûtent très cher. Là, nous sommes au plus près des pratiques, ce qui nous permet de travailler sur d’autres questions sociales, comme l’ouverture des droits sociaux et l’accompagnement vers une solution durable de logement mais aussi liées à la santé, notamment psychique », met en avant Gauthier Waeckerlé. 

« Héberger un usager de drogue revient à 120 euros par nuit dans la structure d’Ithaque. Une journée d’hospitalisation coûte entre 500 et 2000 euros par jour. Or le dispositif réduit le nombre de passages à l’hôpital, ce qui génère des économies », met aussi en avant Alexandre Feltz, addictologue et élu à la mairie de Strasbourg.

Le médecin rappelle aussi que si un usager de drogue est atteint d’hépatite C, le suivi de son traitement, qui dure deux mois pour atteindre la guérison, est facilité s’il est hébergé plutôt qu’à la rue. « Ce n’est pas parce que les usagers sont dépendants qu’ils n’ont pas le droit à la santé », clame-t-il.

« Il ne faut pas rêver, ce n’est pas parce que la salle ferme à 19 heures que la consommation s’arrête à cette heure. Qu’ils soient hébergés ou non, les usagers de drogues consomment la nuit. Autant mettre à disposition des outils et du personnel pour les accompagner et éviter qu’ils en prennent seuls », explique aussi Gauthier Waeckerlé.

« Il est important que la prise en charge se fasse sur le long terme quand des solutions d’hébergement sont proposées comme des appartements thérapeutiques, et même des chambres d’hôtel avec suivi médicosocial. Ces publics ont vécu tellement de situations difficiles qu’il leur faut du temps pour se reconstruire », assure par ailleurs la sociologue Marie Jauffret-Roustide.

Ithaque dirige parfois ses usagers vers le centre de soins, d’accompagnement et de prévention en addictologie (Csapa) de l’association de lutte contre la toxicomanie (ALT) strasbourgeoise. Il dispose d’un accueil de jour, mais aussi d’une quinzaine de places en centre thérapeutique résidentiel, autrefois appelé post-cure, destiné à accueillir les personnes après leur sevrage ou la mise en place d’un traitement de substitution, pour une durée maximale d’un an. 

ALT propose aussi quatre appartements thérapeutiques destinés aux familles dont un parent est usager de drogues. « Pour les aider à exercer au mieux leur rôle de parents, les personnes usagères de drogues, mais un minimum stabilisées pour que les consommations ne viennent pas perturber le suivi, sont accompagnées par des infirmières, assistantes sociales et psychologues pour une durée maximale de trois ans », explique Tahar Neggar, chef de service du pôle ambulatoire du centre d’accueil et de soins de l’ALT qui suit 700 usagers de drogues à l’année.

À Paris, quelques dizaines d’appartements thérapeutiques, en tout, sont proposées. Sur les neuf personnes prises en charge dans ce cadre par le Groupe SOS cette année, après 260 jours d’accompagnement en moyenne, aucune n’est retournée dans l’enfer du marché à ciel ouvert de la drogue des quartiers nord-est de la capitale.

 

À Marseille, l’omerta règne autour de la création d’une salle de « shoot » 

17 août 2021 Par Ismaël Bine
 

Alors que le projet de salle de consommation à moindre risque pour les usagers de drogues à Marseille devrait aboutir, l’omerta règne sur son lieu d’implantation. Les associations sont convaincues de son bienfait mais les élus et les ministres s’écharpent encore.

 

Le soleil est déjà haut dans le ciel de Marseille quand Logan*, 24 ans, débarque avec deux grands sacs de randonnée, l’un ventral, l’autre sur le dos, au Bus 31/32 – une association qui travaille à la réduction des risques liés aux usages de drogues (RDR) – mercredi 30 juin. Dépendant à la cocaïne, il vient chercher un kit d’injection, un sandwich et un peu de compagnie. « Je passe rapidement récupérer ça, après je vais faire la manche trois ou quatre heures pour pouvoir aller chercher ma dose dans les quartiers nord », raconte le jeune adulte, les joues creusées.

Il ira ensuite s’injecter une dose de « blanche » dans l’un de ses spots privilégiés. L’un est coincé entre deux bennes à ordures de chantier dans le quartier de Belsunce, là où il a ses habitudes. L’autre est perché à cinq kilomètres au nord dans le 13e arrondissement de la cité phocéenne près d’un grand ensemble des quartiers nord, une passerelle abandonnée surplombant l’autoroute à Frais-Vallon. La police y est facilement repérable, au cas où. Les consommateurs y vivent cachés des riverains.

Le petit pont du Nord marseillais est une scène de shoot – un lieu où se retrouvent les toxicomanes pour s’injecter les substances – bien connue des usagers de drogues. Des seringues usagées – appelées « pompes » par les travailleurs sociaux –, des fioles d’eau servant à préparer les injections, des bouteilles de collyre et des préservatifs jonchent le sol.

Ici, à chaque piqure la peur étreint les toxicomanes. L’angoisse d’être repéré par un voisin ou d’être agressé par les dealers du coin n’est jamais loin. « On aura peut-être bientôt une salle pour se shooter en sécurité, espère Logan au sourire édenté. Ça nous permettra peut-être de consommer tranquillement. »

 

Luc ramasse les seringues d’un spot de shoot à Frais-Vallon dans le 13e arrondissement de Marseille, le mercredi 30 juin 2021. © IB
Luc ramasse les seringues d’un spot de shoot à Frais-Vallon dans le 13e arrondissement de Marseille, le mercredi 30 juin 2021. © IB

 

Les ministères de la santé et de l’intérieur discutent actuellement des modalités pour poursuivre l’ouverture expérimentale de salles de consommation à moindre risque (SCMR). Deux sont opérationnelles depuis 2016, à Paris et à Strasbourg. Trois autres doivent voir le jour à Lille, à Bordeaux et à Marseille. 

D’après des études menées par l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT) et l’Institut national de la recherche médicale (Inserm), les usagers des SCMR sont moins susceptibles que les autres de déclarer des pratiques à risques d’infection par le VIH ou le VHC, ou d’abcès, d’avoir une overdose, d’aller aux urgences, de s’injecter dans l’espace public et de commettre des délits. Malgré cela, elles continuent de diviser élus locaux et ministres.

Le 15 juillet, le ministère de la santé a informé de la poursuite de l’activité des salles de consommation à moindre risque expérimentales au-delà de 2022, ce qui signifie que Matignon a enfin tranché en faveur d’Olivier Véran, qui avait mis en avant les résultats positifs des expérimentations menées à Paris et à Strasbourg. 

Une disposition devrait être inscrite dans le projet de loi de financement de la Sécurité sociale, qui sera soumis au vote de l’Assemblée nationale en septembre, pour prolonger l’existence de ces salles. La création de nouveaux lieux de consommation devrait être autorisée au cas par cas par le ministère, après consultation entre élus locaux, agences régionales de santé, préfectures et parquets. Matignon n’a pas répondu à nos sollicitations concernant les précisions du calendrier.

J’espère que la salle de consommation à moindre risque [marseillaise] sera prête avant la fin de l’année et opérationnelle début 2022.

Michèle Rubirola, première adjointe à la mairie de Marseille.

La première adjointe Michèle Rubirola nous accueille dans son bureau de l’hôtel de ville, un édifice du XVIIe siècle d’inspiration génoise. Derrière elle, la fenêtre s’ouvre sur le Vieux-Port. L’ancienne maire – elle a occupé le siège cinq mois jusqu’au 15 décembre 2020 – est optimiste : « J’espère que la salle de consommation à moindre risque sera prête avant la fin de l’année et opérationnelle début 2022, ambitionne la médecin de formation. On le fera car on a été élus sur le programme du Printemps marseillais qui mentionnait cette volonté. » 

« L’association porteuse est prête [Asud Mars Say Yeah – ndlr], reprend l’adjointe, esquissant un sourire. Et nous sommes en concertation avec les riverains qui habitent aux alentours des potentiels lieux d’accueil. » Un lieu avec une cour intérieure, central et discret, si possible. Un lieu gardé secret par tous les acteurs. L’idée : ne pas faire trop de bruit pour éviter la contre-attaque des élus d’opposition qui, malgré les invitations, ont boycotté les réunions préparatoires. 

Il est difficile d’estimer le nombre de toxicomanes à Marseille. « En 2012, l’état des lieux réalisé par notre groupe évaluait le nombre d’injecteurs entre 1 000 et 2 000, avance Béatrice Stambul, psychiatre et présidente d’Asud Mars Say Yeah, une des plus anciennes associations d’auto-support des usagers de drogues en France. Les évaluations sont faites à partir des statistiques des centres qui accueillent les usagers et par capture et recapture des chiffres de la police. Cela ne nous dit pas combien d’usagers sont inconnus des services. C’est une approximation plus qu’une évaluation. »

Il y a les consommateurs dits « festifs » et les vrais toxicomanes. Ceux qui sont accros. Ceux qui s’injectent la cocaïne au lieu de la snifer pour que les effets durent plus longtemps, environ deux ou trois heures avec un « flash » et une « montée » post-injection plus intense et plus longue.

 

Michèle Rubirola envisage de contacter directement Jean Castex, avec qui elle a “une bonne relation”, pour plaider l'ouverture de la salle marseillaise. Dans son bureau, le 29 juin 2021. © IB
Michèle Rubirola envisage de contacter directement Jean Castex, avec qui elle a “une bonne relation”, pour plaider l'ouverture de la salle marseillaise. Dans son bureau, le 29 juin 2021. © IB

 

Rares sont les élus ou les institutions publiques à vouloir répondre aux questions concernant la création de la salle. « C’est quand même un pan du programme choisi par les Marseillais et Marseillaises [celui du Printemps marseillais, une union de la gauche à Marseille – ndlr], rappelle Didier Jau, membre de la coalition de gauche et maire des 4e et 5e arrondissements de la ville, des zones qui pourraient potentiellement accueillir la salle. Mais il est vrai que c’est un projet délicat à mener. Notre but, c’est de construire une acceptabilité avec les habitants et les commerçants. Tout dépend donc du lieu. Mais il est certain que si l’endroit n’est pas jugé acceptable, je ne donnerai pas mon accord. » La confédération générale des comités d’intérêt de quartier de la commune est opposée au projet.

Contacté, Anthony Krehmeier, également membre de la coalition du gauche et maire des 2e et 3e arrondissements de Marseille, un autre lieu d’accueil potentiel, a refusé de s’exprimer sur le sujet et redirige vers la mairie centrale. Également joint, l’entourage de Martine Vassal – membre du parti Les Républicains, conseillère municipale, présidente du conseil départemental des Bouches-du-Rhône et de la métropole d’Aix-Marseille-Provence – répond que « la présidente ne souhaite pas s’exprimer sur ce sujet ».

Côté institutions, la communication est également verrouillée. L’agence régionale de santé (ARS) de Provence-Alpes-Côtes d’Azur ne souhaite pas répondre. La préfecture non plus. Pas plus à l’Intérieur. La Santé renvoie vers l’article du Monde. 

 

Les toxicomanes vont et viennent à leur guise ce matin-là. Les travailleurs sociaux du « Bus » – comme l’appellent les habitués – se sont garés devant le trottoir de la rue Jules-Ferry, dans le centre-ville marseillais, à quinze minutes de marche du Vieux-Port. Ici, on est convaincus des bienfaits d’une salle de consommation à moindre risque.

« Il n’y a presque que des avantages pour les toxicomanes, avance un infirmier du Bus. Ça permettrait de réduire les risques d’utilisation de seringues usagées et d’éviter que les maladies se transmettent, ça empêcherait aussi un peu les embrouilles entre toxicomanes. » La seule crainte des consommateurs, c’est qu’ils soient plus facilement repérables par les autorités et les habitants. Qu’ils soient dénoncés et qu’ils soient plus sujets aux contrôles policiers.

Ces associations, qui sont chaque jour au contact des consommateurs, ont le statut de centre d’accueil et d’accompagnement à la réduction des risques pour usagers de drogues (CAARUD) ou de centre de soin, d’accompagnement et de prévention en addictologie (CSAPA).

Ces équipes font de la pédagogie depuis des années. « On explique aux habitants qu’il vaut mieux une salle qui régule les passages, qui fournit du matériel stérile, qui aide les toxicomanes dans leurs démarches administratives et médicales plutôt qu’ils soient abandonnés », conclut l’infirmier. 

 

Le Bus accompagne aussi les consommateurs dans leurs traitements de substitution, notamment à base de méthadone, un médicament prescrit sous forme de gélules ou de sirop, pour aider les personnes dépendantes aux opiacés (comme l’héroïne) à se défaire de leur addiction. Mais aussi à trouver un travail, un appartement, une nouvelle vie.

C’est grâce à elles que certains s’en sortent. Comme Mika, ou presque. « Je ne consomme plus de drogues dures, je ne m’injecte plus rien, confie l’homme de 37 ans, les yeux de la couleur de l’eau des calanques et une coupe de Viking. J’ai aussi trouvé un petit studio proche du Vieux-Port avec l’aide des assos. » S’il est là aujourd’hui, c’est pour accompagner son cousin Ludo, accro aux opiacés. 

Mika prend encore de la méthadone et des anxiolytiques – des benzodiazépines – comme le Xanax. Et surtout « je bois deux litres de vodka par jour, lâche-t-il, dégoûté. Je sais que c’est pas bon mais je n’arrive pas encore à m’en défaire ». L’homme, une croix tatouée sur l’avant-bras, sort tout juste d’une cure de désintoxication pour combattre sa dépendance.

Au bout de quatre semaines de sevrage, il pensait être tiré d’affaire mais « à peine quelques jours après la sortie je suis retombé dedans », regrette-t-il. Il est conscient de sa dépendance, un premier pas vers la guérison. « L’alcool est peut-être la pire des addictions », tranche le médecin du Bus, posé sur l’un des bancs à l’intérieur du véhicule aménagé.

 

Mika, 37 ans, a trouvé un petit studio et cherche désormais du travail. À Marseille, le mercredi 30 juin 2021. © IB
Mika, 37 ans, a trouvé un petit studio et cherche désormais du travail. À Marseille, le mercredi 30 juin 2021. © IB

 

Dehors, des petits groupes de toxicomanes se sont formés. Logan s’est glissé parmi eux. Il parle ouvertement de son addiction. « Moi, c’est la cocaïne, avoue-t-il d’emblée. Et parfois, on se l’injecte n’importe où. Ce serait pas mal d’avoir une salle de shoot. » Le jeune ne dit pas cela par hasard.

Il raconte la fois où il s’est piqué dans les toilettes d’un McDo du centre. « J’ai cru que j’allais y passer », souffle-t-il. Ce jour-là, il s’injecte un gramme en seulement deux injections. D’habitude, il consomme cette quantité en cinq fois. « J’ai eu un grand flash blanc, ma tête s’est mise à bourdonner. Et pendant plusieurs minutes, je n’arrivais plus à bouger. » Tout ce temps-là, il est resté étendu sur le sol des toilettes. Seul.

À Marseille, la cocaïne est de très bonne qualité et relativement peu chère, selon les consommateurs et les associations. Entre 40 et 60 euros le gramme d’un produit pur à 70, 80, parfois 90 %. Une légende se murmure entre toxicomanes : un « meuj » (un gramme) aurait été testé par un laboratoire privé et aurait révélé une pureté de 97 %. « Perso, je n’y crois pas trop », se moque Logan.

Facile à acheter, la « blanche » de Marseille attire les consommateurs. C’est aussi pour cela que Logan est venu dans la cité phocéenne. Resté des années à Paris, il a pris la route à pied, direction la Bretagne puis le Sud, après avoir perdu ses deux parents et sa sœur. Deux d’une pathologie cardiaque héréditaire, l’autre dans un accident. « J’ai arrêté d’aller faire les examens pour savoir si j’avais moi aussi cette maladie quand j’avais 12 ans. Je vis, on verra bien. » 

À la fin de l'été, il projette de rejoindre le Portugal à pied et de s’y installer un petit moment. Il n’aura donc pas l’occasion d’assister à l’ouverture de la salle de consommation à moindre risque, si elle a lieu un jour.

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