Histoire du cannabis

Par dawi ,
Histoire du cannabis

 

  1. Introduction
  2. Le chanvre et le cannabis dans l’histoire: Du Néolithique à l’époque moderne.

     

    2.1. Néolithique
     
    2.2. Antiquité Lointaine et Proche
     
    2.2.1. Chine
     
    2.2.2. Egypte
     
    2.2.3. Scythes
     
    2.2.4. Grecs
     
    2.2.5. Germanie
     
    2.2.6. Empire Romain
     
    2.2.7. Bible et Proche-Orient
     
    2.2.8. Gaulle
     
    2.2.9. Le Monde Musulman

     

    2.3. Moyen Age
     
    2.4. Renaissance et Lumières
     
    2.5. Epoque Moderne
     

     

  3. Le Cannabis au 20e siècle
  4. Prohibition du Cannabis (notamment aux USA)

     

    4.1. Origine et enjeu
     
    4.2. Autres théories à l’appui de la prohibition
     
    4.3. HARRY J. ANSLINGER et la prohibition aux USA
     
    4.3.1. Jeunesse
     
    4.3.2. Anslinger au pouvoir
     
    4.3.3. Belle constance dans l'argumentation
     
    4.3.4. Le Rapport La Guardia
     
    4.3.5. Fin de carrière, vieillesse
     
    4.3.6. Portrait

     

    4.4. Retour du cannabis et critiques de la prohibition
     
    4.5. Le mouvement Rastafari jamaïcain
     
    4.6. Le renouveau du cannabis thérapeutique et critique moderne de la prohibition
     

     

  5. Histoire de la prohibition en France et état des lieux (source : CIRC)

     

    5.1. Le Péril Jeune
     
    5.2. Les amateurs de cannabis se rebellent
     
    5.3. Quand les hippies deviennent des babas
     
    5.4. La Grande Désillusion
     
    5.5. Les Années de Plomb
     
    5.6. Etat des lieux aujourd’hui
     
    5.7.Une brève histoire de la prohibition
     
     

     

     

  6. Histoire du Cannabis au Canada

     

    6.1. 1609 : Le cannabis arrive au Canada
     
    6.2. 17e et 18e siècles : Le Cannabis dans le Nouveau Monde
     
    6.3. 1800-1900 : Commerce de Drogues et Guerre à la Drogue
     
    6.4. 1870-1907 : Or, Exploitation, Racisme
     
    6.5. 1907-1923 : Prohibition, Législation, Propagande
     
    6.6 1938-1961 : Études ignorées, Peines Augmentées
     
    6.7. 1961-1980 : Mouvement contre la Prohibition
     
    6.8. 1980-1992 : Douze ans de Guerre à la Drogue Américaine
     
    6.9. 1992-Présent
     
    6.10. Le Futur
     
     
  7. Histoire du Cannabis au Maroc
  8. Vidéos
  9. Conclusion
    Appendice A : La légende des Assassins

     

    A.1. Origine
     
    A.2. Étymologie de « assassin »
     
    A.3. Soyons lucide ?
     

     


    Appendice B : Le club des Haschischins

     

    B.1. Contexte de la création du club
     
    B.2. Historique
     
    B.3. Les séances Fantasias
     
    B.4. Le dawamesk
     
    B.5. Membres
     

     


    Sources

 



1. Introduction

 

Le chanvre est une des premières plantes domestiquées par l'homme, au néolithique, probablement en Asie. Il a ensuite accompagné migrations et conquêtes pour se répandre sur tous les continents.

 

Son histoire complexe s’étend depuis lors à travers le monde, que ses fibres servent à confectionner des vêtements en Chine 600 ans avant J.-C. ou en Europe au Moyen Âge, que la première Bible imprimée par Gutenberg le fut sur papier de chanvre, que les cordes tressées et les voiles tissées à partir de ses fibres équipent les vaisseaux qui sillonnent les océans, qu’on l’utilise extensivement dans la médecine du 19eme siècle, sans parler de ses aspects psychotropes, il est omniprésent dans l’histoire humaine.

 

Le combat mondial contre le cannabis et l’histoire de sa prohibition sont caractéristiques et seront dument expliqués dans ce texte. Différents états des lieux seront faits (France, Canada, Maroc) et quelques clins d’œil historiques viendront ponctuer ce dossier.

 

De plante universelle à plante violemment prohibée, voici l’histoire du cannabis.

 

Pour plus de commodité, vous pouvez naviguer entre les pages du guide.

 


2. Le chanvre et le cannabis dans l’histoire: Du Néolithique à l’époque moderne.

 

2.1. Néolithique
L'origine géographique du chanvre n'est pas certaine : plaines de l'Asie centrale dans le secteur du lac Baïkal pour certains, région moyenne du fleuve Jaune en Chine pour d'autres, ou encore contreforts indiens de l'Himalaya.
Les plus anciennes traces archéologiques de son utilisation par l'homme sont disputées, entre l'un des foyers de la révolution agricole néolithique en Chine daté de 8000 av. J.-C. qui ont ainsi livré de la céramique et certains pots décorés de fibres spiralées de chanvre1, et l’ancienne Mésopotamie (province de la Turquie actuelle) dans des débris de tissage. Il s'agirait donc d'une des premières plantes domestiquées par l'homme, probablement tout à la fois pour ses fibres solides, ses graines oléagineuses nourrissantes et les propriétés médicinales – et peut-être psychotropes – de sa résine
Il s’est par la suite répandu au fil des migrations des conquêtes vers l’Est (la Chine et le sub-continent indien) et vers l’ouest (le Moyen-Orient, la vallée du Nil puis les pays du Magrheb lors des conquêtes arabes).

 


2.2. Antiquité Lointaine et Proche

 

2.2.1. Chine
La plus ancienne tradition d'un usage médical du cannabis semble également chinoise : la plante fait partie des trois cent soixante-cinq remèdes d'origine végétale décrits dans le plus vieux traité de pharmacopée de l'humanité retrouvé à ce jour. Le Shen nung pen Ts'ao king (Traité des plantes médicinales de l'empereur Shen Nung), 2737 av. J.-C. ne donne pas d'indication thérapeutique précise, du moins dans sa version originelle : antalgique, anti-émétique, laxatif, etc. Il est amusant de noter que c'est à ce même empereur Shen Nung que la légende attribue la découverte d'une autre plante psychotrope dont l'usage est aujourd'hui répandu sur tous les continents, le thé. Dans une version ultérieure, on trouve comme recommandation l’utilisation du cannabis contre la malaria, la constipation, les douleurs rhumatismales, ou les règles douloureuses …

 

A l'époque des Han occidentaux, au IIIe siècle le grand chirurgien Hua Tuo réalise des opérations sous anesthésie en utilisant le chanvre indien. Le terme chinois pour anesthésie (麻醉 :má zuì) est d'ailleurs composé de l'idéogramme qui désigne le chanvre, suivi de celui qui signifie l'ivresse.

 

Il était d’usage chez les anciens chinois de graver la tige principale d’un plant de chanvre à l’image d’un serpent enroulé autour d’un bâton, ce qui ressemble au caducée, symbole traditionnel des médecins. Lors de rituels thérapeutiques, un parent du patient frappait sur le lit du malade avec ce bâton-serpent pour chasser les mauvais esprits.

 

 

 

 

 

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Má, l'idéogramme original chinois pour le chanvre, représente deux plantes dans un séchoir


2.2.2. Egypte
En Égypte antique, on trouve également une trace écrite de l'utilisation médicinale du chanvre. Ainsi le papyrus Ebers (rédigé 1500 ans av. J.-C.) mentionne l'utilisation d'huile de chènevis pour soigner les inflammations vaginales.

 

2.2.3. Scythes
Le cannabis était bien connu des Scythes, si l'on en croit l'historien grec Hérodote (450 av. J.-C.), qui décrit une séance de fumigation collective entraînant l'hilarité des participants lors de rites funéraires. L’ivresse observée résulte de l’inhalation des fumées produite par les graines et sommités fleuries du chanvre, jetées sur des charbons ardents. L'utilisation courante du cannabis par les Scythes a été confirmée avec la découverte en 1929 sur le site de Pazyryk d'un chaudron de bronze rempli de graines de chanvre carbonisées, ainsi que des vêtements de chanvre et des encensoirs métalliques.

 

Ces peuplades nomades, qui ne pratiquaient pas l'agriculture, ont très certainement joué un rôle dans la diffusion du chanvre, à travers leurs migrations dans les steppes eurasiennes et grâce à leurs conquêtes, ce peuple ayant parcouru des distances considérables.

 

Le chanvre est une plante rudérale (qui poussent spontanément dans les friches, les décombres le long des chemins, souvent à proximité des lieux habités par l'homme), qui colonise les habitats anthropisés (perturbés par l'homme). Elle est écologiquement adaptée aux milieux ouverts (donc ensoleillés), aux sols riches en azote (à cause des déjections des troupeaux), caractéristiques des abords de campements. Il semble donc très probable que le chanvre se soit répandu tout le long des migrations scythes.

 

2.2.4. Grecs
Au cours de leurs migrations vers l’ouest, les Scythes transportèrent le chanvre textile et le transmettent aux Thraces, habitants orientaux de la Grèce qui eux pratiquaient l’agriculture et en firent des vêtements.
Les Grecs utilisaient également le chanvre pour fabriquer voiles, cordages et tissus vestimentaires. En 460 av. J.C le philosophe Démocrite raconte que bu avec du vin et de la myrrhe, le chanvre produit des délires, des états visionnaires et des « rires irrépressibles ». Démocrite est du reste appelé le « philosophe rieur » par ses compagnons.

 

2.2.5. Germanie
Depuis l’Antiquité, les peuples germaniques cultivaient également le chanvre, au moins pour ses fibres — utilisées pour la fabrication de vêtements et de cordes pour les bateaux. Ainsi, à Eisenberg dans le Thuringe, des fouilles archéologiques ont mis au jour des semis de chanvre à côté de poteries datant de 5500 av. J.-C.

 

La découverte de la plus ancienne pipe du monde dans des tombeaux datant de l'âge de bronze (1500 av. J.-C.), à Bad Abbach (Bavière) tend à prouver que l'absorption de psychotropes sous forme de fumée inhalée en Europe est bien antérieure à la découverte du Nouveau Monde. Cela ne suffit pas pour autant à affirmer que le cannabis était fumé par les anciens Germains.

 

On sait en revanche que, avant la promulgation de la « loi de pureté » Reinheitsgebot, en 1516, influencée par les prescriptions de la moniale Hildegarde de Bingen - qui s'était entichée du houblon - nombreuses étaient les plantes aromatiques et psychotropes qui servaient à renforcer le goût et les effets des bières de l'Antiquité et du Moyen Âge, et à en améliorer la durée de conservation. Le cannabis a de fortes chances d'en avoir fait partie, aux côtés d'autres plantes « magiques » locales : achillée millefeuille, ivraie enivrante, myrte des marais, lédon des marais, marjolaine, trèfle d'eau, armoise, germandrée, genêt à balais, jusquiame, sauge des bois…

 

2.2.6. Empire Romain
Dans l'Empire romain, on retrouve la trace du chanvre dans plusieurs écrits, comme ceux de Pline l'Ancien. Celui-ci y consacre un paragraphe dans son Histoire naturelle (livre XIX traitant de la culture du lin et de l'horticulture) où il donne de précieux conseils en matière de choix variétal, date de semis, de récolte, etc.
Dioscoride, médecin et botaniste romain du 1er siècle, évoque pour sa part le chanvre « qui fait venir au-devant des yeux des fantômes et illusions plaisantes et agréables. », il évoque ses vertus analgésiques, aphrodisiaques et apéritives tandis que Galien met en garde contre cette plante : « Certains mangent les graines frites avec des sucreries. J’appelle sucrerie les nourritures servies au dessert pour inciter à boire. Les graines apportent une sensation de chaleur et si consommées en grandes quantités, affectent la tête en lui envoyant des vapeurs chaudes et toxiques ».

 

Au iie siècle, les Romains vont introduire la culture du chanvre en Gaule (avec celle du seigle, de la gesse et de la vesce). La fouille archéologique de la villa de Saint-Romain de Jalionas (Isère) met ainsi à jour plusieurs aires de rouissage du chanvre (macération des plantes textiles). Le plant de chanvre doit en effet subir une décomposition partielle afin que le ciment pectique et les fibres ligneuses se désolidarisent des fibres de cellulose. L'immersion des pieds dans l'eau permet d'accélérer ce processus. D'autres découvertes archéologiques, aussi bien dans la région de Marseille que dans le Sud-Ouest (site de Al Poux dans le Lot) laissent cependant supposer que le chanvre était cultivé et utilisé en Gaule bien avant la romanisation.

 

Le déclin de l’empire romain est associé à une mise en sommeil du savoir concernant le cannabis qui ne réapparait qu’avec l’épanouissement de la civilisation arabe.

 

2.2.7. Bible et Proche-Orient
Le cannabis serait mentionné dans la Bible, par exemple dans le livre de l'Exode, (30:22-31) l'Éternel ordonne à Moïse de fabriquer une huile sainte avec « cinq cents sicles de myrrhe, de celle qui coule d'elle-même; la moitié, soit deux cent cinquante sicles, de cinnamone aromatique, deux cent cinquante sicles de roseau aromatique ». Ce dernier ingrédient (kaneh bosm en hébreu) pourrait être le chanvre...

 

La preuve de l'usage médicinal du cannabis au Proche-Orient a été faite en 1993 quand une équipe d'archéologues ont découvert à Beit Shemesh, entre Jérusalem et Tel-Aviv un tombeau contenant le squelette d'une jeune fille de 14 ans environ. Des pièces romaines ont permis de dater cette tombe au ive siècle de notre ère. La région pelvienne contenait le squelette d'un fœtus à terme, de taille trop importante pour permettre une délivrance par les voies naturelles. Un résidu carbonisé trouvé sur l'abdomen de la jeune fille a révélé à l'analyse spectrographique contenir du delta-6-tétrahydrocannabinol, un composant stable du cannabis. Les auteurs de la découverte ont supposé que ces cendres provenaient de la combustion de cannabis dans un récipient, administré à la jeune fille comme inhalant pour faciliter l'accouchement.

 

2.2.8. Gaulle
C’est en Gaulle, plus précisément dans la vallée du Rhône, que l’on trouve la première preuve historique d’une culture de chanvre en Europe occidentale, en 270 av. J.C.

 

2.2.9. Le Monde Musulman
Le développement de l’usage du cannabis dans le monde musulman est marqué par le rôle de la religion. En effet, l’Islam interdit l’usage de boissons alcoolisées mais incorpore le chanvre, associé au prophète Elie, saint patron de l’eau. Le cannabis est ainsi rapidement reconnu comme pouvant provoquer des effets psychotropes du même ordre que l’alcool, sans que son usage ne constitue un péché. Il s’intègre donc dans la vie religieuse, sociale et culturelle du Moyen-Orient, comme en témoignent les Milles et une nuits du Calife Haroun al Rashid.

 


2.3. Moyen Age

 

Au Moyen Âge, l'empereur Charlemagne va fortement encourager la culture du chanvre. Il s'agit alors d'une denrée stratégique, gage de prospérité, en raison des nombreuses utilisations permises par sa fibre : vêtements, cordages, voiles.

 

À la même époque, les Arabes apprennent de prisonniers de guerre chinois le secret de la fabrication du papier, après la bataille d'Atlah. Celui-ci est obtenu à partir d'écorce de mûrier et de fibres de chanvre.
Une seconde vague de diffusion de la culture du chanvre accompagnera donc les invasions arabes, en Afrique du Nord, puis en Espagne, en France, en Sicile. Les Arabes ont en effet perfectionné la technique de fabrication du papier à partir de chanvre, papier qui sert de moyen de diffusion des manuscrits arabes, dont le Coran, mais également de nombreux textes de portée scientifique (mathématique, astronomie, médecine, etc.), littéraire ou philosophique. Ils installent leurs moulins à papier en Andalousie au début du XIe siècle. Les traités médicaux arabes et perses décrivent de manière détaillée l’action du chanvre et son potentiel thérapeutique.

 

À la même époque (1090) Hassan Ibn Sabah établit ses quartiers dans la forteresse d'Alamut, au Nord-Ouest de l'Iran actuel et met en place un ordre guerrier. Ici nait la Légende des Assassins (voir Appendice A).

 

L'abbesse allemande Hildegarde de Bingen (1098-1179) en cultive dans le jardin du couvent, aux côtés d'autres simples, sous le nom de "Cannabus". Elle préconise son usage pour combattre les nausées (antiémétique) et contre les douleurs à l'estomac.

 

Du XIe au XIIIe siècle, les croisés découvrent en Terre Sainte les préparations à base de résine de cannabis, sous forme de haschich. L’Inquisition voit dans le cannabis une herbe diabolique et ordonne son interdiction en Espagne au XIIe siècle, et en France au XIIIe siècle, en proclamant que l’ingestion de cannabis était hérétique et satanique. La connaissance des propriétés médicinales et psychoactives du cannabis a quasiment disparu et on ne le retrouve mentionné que comme ingrédient de philtres ou potions de sorcières et guérisseurs.

 

En terre d'Islam la première interdiction concernant le cannabis est édictée en 1378, l'émir Soudoun Sheikouni interdit la culture du cannabis en Égypte, à Joneima, et condamne ceux pris en train d'en consommer à avoir les dents arrachées.

 


2.4. Renaissance et Lumières

 

À la Renaissance, l'Église s'attaque à la sorcellerie en s'appuyant sur les tribunaux de l'Inquisition. Le pape Innocent VIII assimile en effet la sorcellerie à une hérésie. La bulle papale Summis Desiderantis Affectibus, en 1484, donne le chanvre pour un sacrement du sabbat de Satan. Cette décision va contribuer à marginaliser un savoir populaire ancestral en matière de plantes médicinales.

 

Mais la même année est imprimée la première édition illustrée de l'Herbarius pseudo-Apulée, dans lequel apparaît le chanvre. Paracelse décrit également la plante dans plusieurs de ses travaux. Et plusieurs célèbres herbiers allemands, dus à Otto Brunfels, Hieronymus Bock et Leonhart Fuchs contiennent des planches dédiées au chanvre.

 

François Rabelais, dans son Tiers Livre décrit sur le mode humoristique une plante merveilleuse qui ressemble à s'y méprendre au chanvre : le Pantagruélion qui permettait aux hommes « non seulement de se joindre par-delà mes mers, mais aussi de tenter l’escalade des cieux », faisant ainsi allusion et aux cordages en chanvre et aux propriétés psychotropes. Médecin, Rabelais en recommandait l’usage pour divers maux :plaies, brûlures, crampes, rhumatismes et douleurs spastiques.

 

En Inde, Bhavamishra décrit dans ses traités médicaux les propriétés et les préparations à base d'opium et de cannabis.

 

Du XIVe au XVIIIe siècle, le chanvre est essentiel pour le commerce maritime puisqu’il sert à fabriquer les voiles, gréements, cordages et vêtements. Durant cette période la production est de plusieurs milliers de tonnes par an et le chanvre est considéré comme une production agricole de premier ordre, source de nombreux conflits majeurs.

 

Pour l’anecdote, George Washington en cultivait en 1765 dans son domaine de Mount Vermont, comme en atteste son journal.

 


2.5. Epoque Moderne

 

Aux xviie et xviiie siècles, les puissances européennes se disputent la suprématie navale et le contrôle des points de passage stratégiques, alors que les échanges maritimes intercontinentaux sont en plein essor. Les navires sont alors propulsés par la seule force du vent. Le chanvre est utilisé pour fabriquer les cordages, les câbles, les échelles et les haubans, ainsi que les voiles.

 

« Un navire de taille moyenne utilise 60 à 80 tonnes de chanvre sous forme de cordages et 6 à 8 tonnes sous forme de voile, par an. », relève le professeur agrégé d'histoire Serge Allegret.

 

Le chanvre a donc pendant cette période la place d'un matériau stratégique, au même titre que le charbon quand apparaîtront les machines à vapeur ou le pétrole aujourd'hui.

 

En France, Colbert crée en 1666 la corderie royale associée à l'arsenal de Rochefort sur Mer, et réalise un important travail pour sécuriser l'approvisionnement en chanvre national. Les marines hollandaise et anglaise sont équipées de voiles tissées aux Pays-Bas à partir de chanvre d'excellente qualité produit en Livonie (actuels pays baltes). Grâce à la technique du tissage à un seul fil, les toiles obtenues sont plus performantes (solides, légères et souples).

 

Diderot et d'Alembert dans leur Encyclopédie détaillent la culture et le travail du chanvre, et mentionnent ses propriétés psychotropes : « Le Chanvre est cultivé, comme plante textile, dans un grand nombre de pays. Toutes ses parties exhalent une odeur forte, extrêmement désagréable, et les émanations qui se dégagent des chènevières causent des vertiges, des éblouissements, en un mot une sorte d'ivresse. [...] Enfin, les feuilles de la var. indica servent, en Orient, à la préparation du hachich. ».

 

Le chanvre aurait été présent aux Amériques avant la colonisation : Jacques Cartier rapporte en avoir vu, dans son journal de voyage. L'archéologue Bill Fitzgerald a découvert à Moriston en Ontario des pipes vieilles de 500 ans, contenant des traces de résines de cannabis. Toujours est-il que les colons européens entreprirent la culture du chanvre à grande échelle. George Washington, premier président des États-Unis d'Amérique, en cultivait sur sa plantation, comme en témoigne son journal. En 1794, il donne l'instruction suivante à ses hommes : « Make the most of the Indian hemp seed and sow it everywhere. » (Prenez le plus possible de graines de chanvre indien et semez-en partout).

 

Au Canada également, plusieurs mesures sont prises pour favoriser le développement de cette industrie : subventions, incitations fiscales, distribution de graines aux fermiers en 1801...

 

Victime d'une tentative d'assassinat par un Égyptien en état d'ivresse cannabique, au cours de la Campagne d'Égypte, Bonaparte édicte le 8 octobre 1800 un décret interdisant dans toute l'Égypte l'usage du hachisch.

 

Dans les Caraïbes anglophones, l'usage psychotrope du cannabis serait selon certains auteurs une conséquence de l'abolition de l'esclavage en 1833. Celui-ci aurait été importé avec la main-d’œuvre indienne destinée à remplacer les anciens esclaves noirs dans les plantations de canne à sucre. Main d'œuvre qui emmena dans ses bagages des graines de chanvre indien. Le nom donné aux indiens fut collie et, aujourd’hui encore, les rastas utilisent, entre autres, le terme coolie weed pour évoquer le cannabis.

 

Des gravures sur cuivre du xixe siècle montrent que les berges du Rhin étaient, à l’époque, couvertes de grands champs de chanvre.

 

 

 

 

 

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En 1844, Théophile Gautier et le docteur Jacques-Joseph Moreau fondent le club des Hashischins (voir Appendice B).

 

Au cours de la deuxième moitié du xixe siècle, le cannabis sous forme de teinture était un produit pharmaceutique courant.
Au xixe siècle, le cannabis était utilisé en Occident pour ses vertus médicinales, sous forme de teinture (extrait alcoolique). C'est le médecin irlandais William Brooke O'Shaughnessy qui le présenta comme médicament après un séjour de neuf ans aux Indes, en 1841. Après avoir observé ses collègues indiens prescrire avec succès, différents extrait de chanvre pour traiter toutes sortes de maladies, alors considérées comme incurables par la médecine occidentale, il remit un rapport à l’Académie des Sciences d’Angleterre concernant les applications médicales du cannabis, en affirmant que outre ses propriétés analgésiques puissantes, il constituait « le remède antispasmodique le plus précieux qui soit ».

 

Le cannabis fut ainsi prescrit à la reine Victoria pour soulager ses douleurs menstruelles. L'extrait alcoolique de cannabis était également commercialisé aux États-Unis. Dans la vieille Europe comme aux États-Unis, cette teinture était l'un des médicaments les plus vendus par les officines de pharmacie. De 1842 à 1900, plus d’une centaine d’articles médicaux sont publiés qui recommandent son utilisation dans le traitement de diverses maladies et malaises.

 

Autre anecdote surprenante, des cigarettiers lancent à la fin du xixe siècle sur le marché européens plusieurs marques de cigarettes au cannabis, en jouant sur l'image "orientale" de la plante : Arabische Nächte (Nuits Arabes) (9 % de cannabis), Harem (9 %), etc.

 

Mais, à la fin du xixe siècle, son succès commença à décliner, suite à l’apparition et au fort succès d’autres médicaments tels que l’aspirine et les opiacés. En effet, l’invention de la seringue hypodermique, dans les années 1850, révolutionne les pratiques médicales en permettant un soulagement rapide de la douleur par l’injection de médicaments solubles. Les dérivés du cannabis n’étant pas soluble dans l’eau, ils ne peuvent être injectés (et ne le sont toujours pas aujourd’hui). Ainsi, à partir de 1863, le cannabis est progressivement remplacé par la morphine.

 

 


3. Le Cannabis au 20e siècle

 

L'adolescent Ernst Jünger tombe par hasard en 1920 sur un vestige de l’époque médicinale révolue, sous la forme d'un vase de porcelaine portant la mention « Extr. Cannabis ». Il raconte son expérience malheureuse (que l'on qualifierait aujourd'hui de bad trip) dans son essai Approche, drogues et ivresse.

 

Les Mexicains cultivent également le cannabis et commencent l'exportation des sommités fleuries vers le Texas dès 1910. C'est d'ailleurs aux Mexicains que l'on doit l'usage du mot marijuana qui, à l'origine, désignait une cigarette de mauvaise qualité.

 

Aux États-Unis, durant les années 1920 et 1930, le cannabis envahit le marché noir, devenant très populaire. Face à ce succès grandissant, mais surtout dans un contexte d'échec de la politique de prohibition de l'alcool, le lobby puritain s'intéresse au cannabis et les autorités mettent en place des campagnes dites de sensibilisation avec des slogans tel que Marijuana is Devil sur fond de diable enflammé. C’est le début de la prohibition du cannabis aux USA (voir partie 4 ci-dessous).

 

L’accroissement dans le reste du monde de la production et du trafic de cannabis sont alors préoccupants et plusieurs gouvernements autres que celui des États-Unis s’inquiètent. Ainsi dès 1925, la convention internationale de Genève est acceptée par la plupart des pays du monde s’engageant à se battre contre le trafic de drogue. Parmi eux, la Turquie et l’Égypte veulent déjà inclure le cannabis dans la convention, avançant que sa consommation est à la base de la débilité humaine.

 

Concurrencé dans son usage textile par les fibres exotiques (jute, sisal, kenaf), et par les fibres synthétiques (nylon), concurrencé dans l'industrie papetière par le bois, le chanvre décline rapidement au cours de la première moitié du xxe siècle. En France, par exemple, 176 000 hectares sont emblavés en 1840 alors qu’en 1939, la superficie cultivée n'est plus que de 3 400 hectares. Au cours de la Seconde Guerre mondiale, le gouvernement américain relance la production de fibres de chanvre et réalise même un film de propagande intitulé Hemp for Victory (Le chanvre pour la Victoire). Lors du débarquement de Normandie, les Rangers commandés par le lieutenant-colonel James E. Rudder étaient équipés de grappins et de cordes de chanvre pour escalader les falaises de la pointe du Hoc. « Les cordes de chanvre alourdies par l'humidité se révélèrent inutilisables ».

 

Bien qu’il ait probablement été utilisé comme drogue occasionnelle durant son histoire, c'est aux États-Unis, parmi la scène jazzdes années 1950 qu’on le voit devenir populaire, avec la Beat generation. Suivra avec une forte augmentation de son utilisation pendant les années 1960. Harry Anslinger (voir partie 4.2. ci-dessous), instigateur du système fédéral de lutte contre la drogue fait surveiller et ficher de nombreux artistes susceptibles d'en consommer . En Europe de l'Ouest, l'explosion de la popularité du cannabis coïncide avec le mouvement hippie : la consommation de drogue devient alors synonyme de contestation de la société bourgeoise.

 

Dans les années 1960, l'INRA et la Fédération nationale des producteurs de chanvre (FNPC) démarrent un programme de sélection variétale pour mettre au point des cultivars monoïques et à faible teneur en THC. Ces travaux permettent de relancer la culture du chanvre agricole dans plusieurs pays européens, car ils lèvent l'obstacle technique de l'important dimorphisme sexuel de cette plante, ainsi que les objections en rapport avec l'usage psychotrope.

 

En 1964, un laboratoire israélien dirigé par le professeur Raphael Mechoulam isole le THC, responsable de la majeure partie des effets psychotropes du cannabis.

 

À partir de 1971, la CEE encourage financièrement la culture de chanvre par les agriculteurs pour la production de fibres, dans le cadre de l'organisation commune de marché (OCM) portant sur le lin et le chanvre.

 

En 1976, après plusieurs années de tolérance d'entreprise de vente au détail de cannabis, les autorités des Pays-Bas décrètent officiellement la décriminalisation de la vente pour usage personnel, encadrée par un système de patentes. L'un des objectifs de la politique néerlandaise est d'éviter que les consommateurs de cannabis n'entrent en contact, via les revendeurs de rue, avec d'autres produits illicites (opiacés, cocaïne, etc).

 

L'essor des préoccupations environnementales, depuis la fin du xxe siècle, tend à stimuler le développement de filières chanvre, dans des domaines aussi variés que le textile, l'habitat, l'alimentation, les bio-carburants... Entre 1996 et 1999, les superficies cultivées en chanvre dans l'UE ont plus que doublé, passant de 13,7 à 32,3 milliers d'hectares, principalement du fait de l'Espagne.

 

2005 marque un tournant majeur dans l'histoire du cannabis thérapeutique avec l'assouplissement de la législation de certains pays - notamment le Canada et le Royaume-Uni -, la prescription médicale de THC étant autorisée.

 

 


4. Prohibition du Cannabis (notamment aux USA)

 

4.1. Origine et enjeu

 

Les premières années du XXe siècle furent les années de « diabolisation » du cannabis.
Aux Etats-Unis, une vaste campagne prohibitionniste prend naissance sur fond de racisme. Au début des années 1910, l’herbe fumée se répand parmi les travailleurs saisonniers mexicains du Texas ou les musiciens jazz de la Nouvelle-Orléans afro américains. Les blancs attribuèrent au cannabis une influence insidieuse qui pousserait les noirs à penser qu’ils valent bien les blancs. Quant aux mexicains, sous l’influence du cannabis ils osaient regarder les Blanches. La presse à sensations mena une campagne de terreur pour mettre le cannabis hors la loi.

 

Le bon vieux cannabis connu par près de quatre générations d’américains est alors remplacé par le vocable marijuana la terrible « herbe tueuse ». Ce terme, d’origine mexicaine, fut systématiquement utilisé dans les articles et le terme de « chanvre » fut bientôt gommé du langage populaire. Une propagande calomnieuse encouragée par Harry J. Anslinger, directeur du bureau des stupéfiants de 1931 à 1962 (voir ci-dessous 4.2.). Il alimente la presse nationale en histoires sadiques et sanglantes, truffées de connotations racistes, démontrant l’extrême danger du cannabis.

 

La police des stupéfiants de la Nouvelle-Orléans impute aux consommateurs 60 % des crimes commis dans la ville. Il s'agit d'une véritable entreprise de propagande, qui trouvera des alliés dans le lobby de l'industrie du coton, dans celle de la chimie (dont les lobbys du nylon et du pétrole) et dans une partie de la presse, dont les patrons ont des intérêts forestiers important (entre autres le magnat de la presse William Randolph Hearst). Cette campagne appuiera son argumentaire sur le racisme ambiant, en combinant le dégoût des "nègres", de leur musique (le blues et le jazz) et les ravages fantasmés du cannabis (folie meurtrière, dégénérescence, etc.).

 

Le très sérieux New Orléans Médical and Surgical Journal écrit en 1931 : "L'avilissante et pernicieuse influence du haschisch et de l'opium ne l'est pas seulement pour les individus, mais pour les nations et les races aussi. La race dominante et les pays éclairés sont alcooliques, tandis que les races et les nations intoxiquées au chanvre et à l'opium pour certaines se sont détériorées moralement et physiquement".

 

Les journaux reprennent et répandent l'idée que violence et cannabis sont liés, à travers le pays et, en 1937, une loi instaure la taxation de la production, du commerce ainsi que l’usage industriel et médical, c'est le Marihuana Tax Act.
 

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Affiche diffusée par le Federal Bureau of Narcotics, à la fin desannées 1930, et pendant les années 1940, époque de diabolisation du produit (la marihuana est un narcotique puissant qui pousse au meurtre, et conduit à la folie et à la mort).


A titre d’exemple, les médecins Appelés comme experts n’apprirent que deux jours avant leur audition que « l’herbe tueuse du Mexique » était en fait le cannabis, utilisé depuis presque cent ans en thérapeutique. La prohibition du cannabis venait de remplacer celle de l’alcool (1919-1933).

 

En France, l’écho de cette mise en œuvre d’une politique prohibitionniste aboutit à une décision législative : le cannabis est supprimé de la pharmacopée française

 

Ci-dessous, un entretien avec Robert Delanne : Ancien résistant, acteur de théâtre, navigateur, boxeur, contrebandier, explorateur, écrivain, militant antiprohibitionniste, entre autre.

 

Quelle est l'origine de l'idéologie de la prohibition et quelle est son histoire, en remontant au lancement de cette politique; et au plan international ?

 

D'abord, je ne crois pas que la prohibition des drogues soit une idéologie : c'est un outil au service d'une idéologie, d'un pouvoir. Un peu d'histoire va nous aider à mieux comprendre.
Nous savons, les fouilles archéologiques l'ont prouvé, que depuis des millénaires (11 000 ans pour l'opium et pour le cannabis) l'homme a vécu en bonne intelligence avec les drogues. Pour l'essentiel, elles jouaient un rôle de cohésion sociale au cours de cérémonies religieuses, de rites sacrés, sous le contrôle des dominants de l'époque, ou de leurs représentants religieux, politiques ou militaires.
En outre, leurs nombreuses vertus médicinales en faisaient des produits très prisés qui se vendaient un bon prix, régulé par l'offre et la demande.

 

Cet équilibre millénaire entre les hommes et les drogues a été rompu au cours du XVIIème siècle, à la suite de ce que Colin Ronan, dans son Histoire mondiale des sciences, n'hésite pas à désigner comme la plus grande révolution scientifique de notre histoire. Jusque-là l'histoire se répétait un peu à l'identique. Une ou plusieurs civilisations émergeaient, dominaient un coin de la planète connu, puis déclinaient et disparaissaient, et une ou plusieurs autres civilisations prenaient le relais, ajoutant chaque fois un plus à la vie.

 

Soudain il se passe quelque chose de beaucoup plus fort. Entre le XVème et le XVIème siècle, une conjonction d'événements scientifiques, politiques et culturels accélère l'histoire : c'est ce qu'on a appelé la Renaissance.
Et, de toutes les sciences et techniques, celle qui bénéficia le plus de cette révolution fut la science de la navigation qui commença une évolution aux conséquences immenses.
En quelques décennies, le gouvernail d'étambot, de nouveaux gréements, la boussole, l'astrolabe (ancêtre du sextant), les lochs pour mesurer les distances parcourues, les premières lunettes, les premières cartes marines fiables - les portulans - et enfin les caravelles rendirent possible la navigation hauturière, et en à peine plus de trente ans (de 1492 à 1526) le monde antique explose : l'homme découvre sa planète, l'Antarctique et l'Arctique, sous l'impulsion de cinq nations gagnées par les idées nouvelles qui, après s'être débarrassées de leurs divers envahisseurs, font leurs unités et trouvent leurs frontières quasi définitives : l'Espagne et le Portugal, un temps dynastiquement liées, la France, les Pays-Bas, et en tout dernier l'Angleterre, en 1603.

 

L'Espagne et le Portugal installent d'importantes colonies dans les deux Amériques et le Portugal, seul, a dès 1498 le monopole du commerce des Indes jusqu'aux Moluques.

 

Un siècle plus tard, en 1595 à Amsterdam, naît la VOC, Verenigde Oost indische Compagnie, première compagnie des Indes orientales, qui va déposséder le Portugal de son monopole et déclencher, sans l'avoir prémédité, le processus qui allait faire de l'opium d'abord, puis de toutes les drogues, un élément majeur de l'économie mondiale.
La VOC est une grande première dans l'histoire : financée par actions cotées en bourse, avec la charte du 20 mars 1602, elle pouvait signer des traités, lever des armées, construire des forteresses, déclarer des guerres et signer des paix, exercer la justice, battre monnaie, lever des impôts. Tenue par ses actionnaires, elle n'avait qu'un seul but : le profit.
La VOC est l'ancêtre des grandes multinationales prédatrices d'aujourd'hui. Mais c'est aussi beaucoup plus que cela : la quasi-totalité de ses actionnaires étant des commerçants, la VOC est la première manifestation structurée d'une bourgeoisie marchande se libérant des privilèges féodaux.

 

Deux siècles avant la prise de la Bastille une nouvelle race de dominants était en train de naître : les capitalistes.
Outre les épices, les tissus, les parfums, la VOC expédie en Europe du tabac, du riz, du thé, du sucre, mais aussi du fer, de l'étain et de l'acier. Elle obtient le monopole sur l'opium récolté en Inde et finance ses envois vers l'Europe en important en Chine de telles quantités d'opium que l'empereur mandchou, voyant s'effondrer sa balance commerciale décrète, en 1729, l'interdiction de l'opium sur son territoire. Trop tard. En quelques décennies, les quantités d'opium importées, entre 300 et 400 tonnes par an, ont déjà répandu l'opiomanie dans la population chinoise. Pour satisfaire la demande, une contrebande s'organise. Les risques courus font monter les prix. Et pour la première fois dans l'histoire, le grand commerce européen découvre que l'opium est beaucoup plus qu'un médicament : il crée une dépendance et son commerce, dopé par la prohibition, peut être la source d'immenses profits.

 

Consacrée première puissance maritime mondiale par le traité d'Utrecht en 1713, l'Angleterre chasse peu à peu la VOC jusqu'aux Moluques, crée l'EIC (East Indian Company) qui prend le relais des hollandais et, en 1758, détient le commerce de l'opium indien.
De 1729 à 1836, l'empire de Chine édictera près de quarante décrets prohibitionnistes. En vain. Malgré une répression parfois féroce, la contrebande se fait sur une grande échelle, avec la complicité quasi générale de l'administration chinoise corrompue. Les prix explosent et le tonnage livré à la Chine passe de 240 tonnes avant la prohibition à 6500 tonnes en 1884. Deux guerres, dites guerres de l'opium, mettent la Chine à genoux, et en 1858 le traité de Tientsin légalise l'importation d'opium en Chine.

 

L'opium représentait alors plus de 41% des profits coloniaux de la couronne d'Angleterre. C'est ainsi que la Chine décida de développer la culture de son propre pavot dont la production atteignit, en 1896, 12 000 tonnes, éliminant ainsi pratiquement la totalité des importations anglaises. Et sa gracieuse majesté, Victoria Ier, perdant ainsi une importante source de profits, la Chambre des Communes déclare le commerce de l'opium immoral. Sans doute pour gêner les chinois dans la commercialisation de leur opium, alors que l'Angleterre continue à alimenter en opium l'Europe d'abord, les USA ensuite.

 

Un premier constat s'impose : les Anglais ont fait de l'opium une arme de conquête qui relève du commerce prédateur, tout en favorisant son extension en Europe et en Amérique. Deuxième constat : les prohibitions décrétées par la Chine, loin d'obtenir les résultats escomptés (rééquilibrage de la balance commerciale et protection de la population contre la drogue) ont, au contraire, dynamisé le trafic, mis la Chine à genoux et provoqué la toxicomanie de trente à quarante millions de chinois.

 

Entre-temps, l'Angleterre est devenue, dès le début du XIXème, la première puissance mondiale grâce à son empire colonial et à la révolution industrielle qu'elle fut la première à accomplir. Son industrie avance à pas de géant, mais dans les fabriques, les conditions de travail sont particulièrement dures et la Grande-Bretagne inaugure, dans les corons et dans les cités ouvrières, un mode de consommation des drogues qui gagnera bientôt toute l'Europe et les USA.

 

La chimie découvre la morphine en 1803, la cocaïne en 1860, et l'héroïne en 1874. Et, dès le début des années soixante, les médicaments opiacés sont en vente libre dans toutes les pharmacies européennes et les drugstores anglo-saxons.
L'opium et ses dérivés sont la panacée : tablettes de morphines, bonbons à la codéine, élixirs, philtres, baumes, etc. L'industrie pharmaceutique prospère sur fond d'exploitation des propriétés de l'opium, médicament et drogue.
Bref, l'opium est devenu un élément essentiel de l'économie mondiale à l'apogée de la période coloniale. Le XIXème siècle se termine.

 

L'Angleterre domine le monde. Le commerce de l'opium est entre ses mains. Les plus grands laboratoires pharmaceutiques sont en Europe. Ils fabriquent la morphine, l'héroïne et la cocaïne par centaines de tonnes qui alimentent aussi bien les besoins médicaux que le marché de la consommation clandestine. Les USA sont exclus de ce marché juteux.

 

Or, depuis leur indépendance, et malgré plusieurs guerres qui les ont laissés exsangues et divisés, ils se sont rapidement développés. De 1870 à 1906, leur PIB a quadruplé, et leur population a doublé. Ils ont conquis quelques colonies : Porto Rico, les Philippines, l'Ile de Guam, Hawaï, Cuba, et ils contrôlent Panama. Ils veulent entrer dans la cour des grands, toujours dominée par la Grande-Bretagne et son empire colonial qui a démontré l'importance politique et économique des drogues et en tire d'importants profits.
Sur l'insistance des USA se tient à Shanghai, en 1909, la première conférence internationale pour une prohibition générale de l'opium pour tout usage non médical.

 

Au nom de la morale ? Soyons sérieux ! Nous avons vu le rôle de la morale américaine dans la guerre du Nord libéral contre le Sud esclavagiste. Guerre qui visait moins à libérer les Noirs de l'esclavage qu'à récupérer une main d’œuvre bon marché pour l'industrie nordiste. Nous avons vu le rôle de la morale dans l'anéantissement du peuple indien. Pour préserver le peuple américain des drogues ? Peu plausible, les américains s'adonnant plus volontiers aux alcools forts.
Alors, pourquoi les Américains insistent-ils tellement pour une interdiction mondiale de l'opium alors qu'ils se contenteront d'une déclaration d'intention sans qu'aucun organisme de contrôle ne soit mis en place ? En fait, les USA, grâce à leurs bases coloniales dans le Pacifique, se sont assurés la maîtrise de cette zone jusque-là contrôlée par la Grande-Bretagne. Et la nouvelle croisade anti-opium va leur permettre de saper l'emprise commerciale anglaise en Asie, en arraisonnant légalement les navires anglais transportant l'opium.

 

La deuxième conférence, à La Haye, en 1912, toujours à leur demande, étend l'interdiction à la cocaïne et au cannabis. Seront ainsi retirés des pharmacies et des drugstores la quasi-totalité des gadgets opiacés et cocaïnés dont les industries pharmaceutiques européennes tirent d'immenses profits.

 

Enfin, toujours convoquée à la demande des USA, la conférence de Genève, en 1925, prévoit, avec l'interdiction de toutes les drogues pour un usage non médical, un contrôle sévère du comité central permanent de la Société des Nations. À partir de là, le commerce des drogues, qui était un commerce lucratif, considéré comme immoral mais légal, devient alors un délit passible de lourdes peines. Et les sanctions prévues dopent les prix, pénalisant ainsi les laboratoires européens. Et cette prohibition générale des drogues dynamise un trafic contrebandier international, multiplie les réseaux clandestins incontrôlables, sauf par les mafias américaines nées de la prohibition de l'alcool (de 1919 à 1931) qui, sous l'impulsion de Lucky Luciano, s'emparent du marché et utilisent les mêmes filières mises en place pour la contrebande des alcools.

 

Une conclusion s'impose : les prohibitions n'ont rien eu d'idéologique. Tous les discours au nom de la morale et de la protection des peuples n'ont servi qu'à couvrir des buts économiques, géopolitiques ou de conquête.

 

Aux yeux du peuple américain et aux yeux du monde, les USA veulent apparaître comme les chevaliers blancs de la guerre sainte contre la drogue. En réalité, ils cherchent à défendre leurs intérêts économiques y compris ceux qui sont liés aux trafics internationaux. Pouvez-vous nous donner des exemples de ce que vous appelez la duplicité américaine ? Dans quelles grandes opérations la CIA a-t-elle été impliquée ?

 

Pour comprendre le double jeu américain, il faut revisiter un peu l'histoire de l'après-guerre. Dès 1946, malgré les dévastations de la seconde guerre mondiale, l'URSS voit son influence étendue à plus du tiers de la planète. Ce qui réduit d'autant le marché capitaliste mondial. Plus de la moitié de l'Europe est passée au socialisme, et dans l'autre moitié les Partis communistes rassemblent des millions d'électeurs.
En Asie, l'indépendance de l'Inde, la naissance de la Chine communiste, ont suscité de nombreux mouvements d'indépendance soutenus par l'URSS, puis par la Chine.
En Amérique centrale et en Amérique du Sud, le Chili, la Bolivie, le Costa Rica, le Guatemala, ont des gouvernements de gauche. L'agitation sociale gagne la Colombie, le Mexique, Panama. De nombreux maquis anti-USA naissent un peu partout. Aux USA mêmes, la reconversion en économie de paix se fait mal. Le plan Marshall perd peu à peu son efficacité.

 

Le leadership américain est menacé et la grande priorité est maintenant la lutte contre le communisme. C'est le début de la Guerre Froide et, dans ce contexte, les drogues vont jouer un rôle capital.
Or, le fascisme et la guerre ont démantelé le grand trafic en Europe. La Chine, l'indépendance des Indes l'ont bouleversé en Asie.
Les USA, grâce à leur puissante CIA, s'inspirant des leçons de la couronne d'Angleterre, et avec la complicité des services secrets français en Indochine, vont se servir de l'opium pour leur stratégie anti-communiste dans tout l'Est asiatique.

 

Ils se font des alliés des populations qui vivent de l'opium, encouragent le trafic, et trouvent à bon compte les mercenaires dont ils ont besoin contre les communistes. Les principaux réseaux connus pour avoir bénéficié de la protection et de l'assistance logistique de la CIA sont les suivants :

  • En 1949, les troupes vaincues du Kuomintang (KMT) se réorganisent avec l'aide de la CIA sous le nom de « chinese independance force ». Le KMT fait passer sa production d'opium de 40 tonnes en 1949 à 340 tonnes en 1960.
  • En 1950, en Thaïlande, le chef de la police, le général Phao Sriyanonda, avec l'appui de la CIA, s'associe avec les triades chinoises de Bangkok pour expédier la drogue vers l'Europe et les USA.
  • En 1954, la CIA constitue à la frontière du Vietnam, avec l'aide des services secrets et de l'état-major français, sous la direction du général Salan, une armée de mercenaires qui comptera 35 000 hommes en 1965, et organise le transport de l'opium vers les raffineries. De là les compagnies charter de la CIA, Air America et Continental Air Service convoient la morphine base et l'héroïne du KMT.
  • En 1958, au Laos, la CIA « démissionne » le gouvernement de gauche et le remplace par le général Phoumi qui travaille pour le KMT.
  • Plus à l'ouest, plus récemment, pendant la guerre entre l'URSS et l'Afghanistan, de nombreux témoignages ont dénoncé les livraisons d'armes par les USA aux rebelles contre de la morphine base.


Plus tard encore, à trois reprises, les USA se sont surpassés :

  • En 1979, au grand dam des USA qui craignent un deuxième Cuba, les sandinistes ont pris le pouvoir au Nicaragua. Les anti-sandinistes (les contras) se réfugient au Costa Rica. Les USA décident de les aider dans leur combat contre les sandinistes. Le ravitaillement en armes des contras est dirigé depuis la Maison Blanche par le colonel North. Les avions américains livrent les armes, repartent à vide vers la Colombie, et reviennent chargés de cocaïne qu'ils débarquent au nord du Costa Rica, dans le ranch d'un américain, John Hull, qui travaille pour la CIA. La cocaïne est ensuite écoulée sur le marché américain et l'argent récolté servira à acheter les armes en Europe de l'Est par des trafiquants dirigés par une équipe israélo-américano-panaméenne. La CIA se surpassait. Entendez par "la" CIA le colonel North, son directeur Casey, et le vice-président Bush qui plus tard demandera au sénateur Kerry, par qui l'affaire est connue, de cesser de dévoiler des informations « préjudiciables à la bonne image des États-Unis » (sic).
  • Dans le même temps, le président Reagan accusait publiquement les sandinistes d'empoisonner la jeunesse américaine.
  • Il y eut aussi l'opération "fulminante", en Colombie, qui succéda de peu à la solennelle déclaration de guerre à la drogue de Bush père, en 1981, qui marquera non une simple aggravation de la prohibition mais un véritable changement qualitatif dans la méthode.


À partir de 1981, les USA auront tous les droits et les moyens de les imposer, dès l'instant qu'il s'agira de la juste lutte contre les drogues. Sous la menace de couper tous les crédits à la Colombie, les USA, avec l'aide de techniciens israéliens, lancent l'opération « fulminante » pour éradiquer la marijuana colombienne.
La flore et la faune sont détruites sur des milliers d'hectares, les troupeaux décimés, les paysans atteints de maladies mystérieuses... Les observateurs étrangers parlent d'un véritable désastre écologique. La presse française célèbre le succès des USA contre la drogue.

 

Mais... la vérité est dans les chiffres : avant "fulminante " la Colombie livrait 80% de la marijuana consommée par les 20 millions de fumeurs américains. Après "fulminante", les États-Unis deviennent les premiers producteurs mondiaux de marijuana (34,4% : chiffre donné par l'ONU), et récupèrent la totalité du marché américain.
Non seulement ils ont privé la Colombie de 8% de son PIB, mais ils ont détruit des milliers et des milliers d'hectares de cultures vivrières, mettant la Colombie à la merci d'une aide financière que les USA voudront bien lui accorder selon son degré de soumission.

 

Cependant, le summum de ce qu'on peut appeler la criminalisation de la politique anti-drogue des USA est atteint lors de leur agression contre le petit Panama.
Plus de 10 000 civils y ont été assassinés (selon Amnesty International), sous prétexte de capturer le général Noriega, qui avait cessé de plaire à la CIA après vingt ans de bons et loyaux services. À l'époque, Mitterrand avait même déclaré, sans rire : « L'état de guerre avait été déclaré contre les États-Unis » (sic).
Vingt-quatre mille marines, un porte-avion, des chasseurs bombardiers, des hélicoptères de combat sont mobilisés pour capturer un homme ne bénéficiant que d'une garde prétorienne. Énorme impact médiatique, magnifique victoire américaine contre le trafic de drogue. Mais...
Début 1989, une dépêche AFP explique qu' « un rapporteur au Congrès déclare : nous blanchissons aujourd'hui 30% de l'argent de la drogue ». À la même époque, Arias Calderon, chef du Parti Social démocrate panaméen, déclare : « Nous avons la dette du Tiers Monde la plus élevée rapportée au nombre d'habitants, la seule solution pour tenir est d'accroître le blanchiment ».
Fin 89, les USA attaquent le Panama. Et moins d'un an plus tard, le rapporteur des banques auprès du Sénat américain déclare : « Nous blanchissons actuellement 80% de l'argent de la drogue. » Et on apprenait quelques années plus tard que les nouveaux patrons des banques panaméennes, mis en place par Bush, sont ceux qui géraient les finances du cartel de Medellin.
Questions posées et entretien mené par Jean-Luc Guilhem et Gilles Alfons

 


4.2. Autres théories à l’appui de la prohibition

 

Une théorie aujourd'hui moribonde, la théorie de l'escalade, fit les beaux jours des prohibitionnistes. Elle est née à la suite d'un sondage publié aux Etats-Unis en 1975 affirmant que 26 % des fumeurs de marijuana sont de futurs adeptes de l'héroïne. D'après les nombreuses enquêtes effectuées depuis lors, seulement 5% franchissent le pas. Et les choses sont bien sûr beaucoup plus complexes que ce que racontent les lieux communs.

 

Une importante théorie développée par Gabriel Nahas, surnommé le "docteur Folamour du cannabis" par ses détracteurs, est celle de l'épidémie. Les pauvres, c'est-à-dire les immigrés entassés en bordure des villes, attrapent le virus, qu'ils transmettent à la jeunesse. Les adolescents, certains groupes socioculturels étant plus touchés que d'autres, cherchent à faire des adeptes et, comme ils s'adressent à un public réceptif, l'épidémie s'étend et bientôt gangrène une partie de la jeunesse.

 

A écouter Gabriel Nahas et consorts, les jeunes de 13 à 20 ans sont touchés par l'épidémie. Puis les jeunes vieillissent. Ils ont des enfants, bientôt des adolescents qui "tombent" à leur tour. Le scénario pessimiste nie toute volonté chez le consommateur... Est-ce la raison pour laquelle le professeur Nahas opère une distinction entre le cannabis utilisé par les intellectuels et le cannabis consommé par de pauvres types, incapables de "se satisfaire d'une occupation routinière et ennuyeuse". Aujourd'hui, les derniers arguments avancés mettent en cause plutôt l'ignorance, traitent de quelques risques sociaux, ou se contentent de parler des effets désastreux de la prohibition en désignant le produit comme seule et unique cause. C'est là qu'intervient la thèse de la drogue engendrant la délinquance, ce qui, pour le cannabis, se limite à la commercialisation clandestine.

 


4.3. HARRY J. ANSLINGER et la prohibition aux USA

 

 

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Harry Jacob Anslinger, né le 20 mai 1892, mort le 14 novembre 1975, était un politicien et journaliste des États-Unis, essentiellement connu comme le « McCarthy de la drogue ». Il fut dans un premier temps commissaire auxiliaire de la prohibition, avant d’être nommé premier commissaire du bureau fédéral du département du trésor aux narcotiques (FBN), le 12 août 1930. Il occupa ces fonctions durant 32 ans, record de durée en la matière. Il fut ensuite pendant deux ans représentant des États-Unis à la Commission des narcotiques des Nations unies.

 

L’héritage d’Anslinger en matière de lutte contre la marijuana, reposant sur des décennies de désinformation, est aujourd’hui remis en cause. Certains affirment que Harry J. Anslinger était seulement une marionnette au service d’un courant politique porteur.
Les responsabilités détenues par Harry J. Anslinger sont désormais en grande partie sous la juridiction du U.S. Office of National Drug Control Policy. Compte tenu de son rôle majeur dans l’évolution de la politique fédérale de la drogue aux États-Unis, on peut s’étonner qu’il n’apparaisse ni sur le site Web de la Drug Enforcement Administration, ni sur celui de l’Office of national drug control policy.
Anslinger est mort à l’âge de 83 ans d’un arrêt du cœur à Hollidaysburg en Pennsylvanie.

 

4.3.1. Jeunesse
Anslinger a relaté avoir été à l’âge de 12 ans témoin d’un événement qui devait changer le cours de sa vie : il aurait entendu les hurlements d’un morphinomane, à peine atténués par le retour d’un garçon de son âge, rentrant de la pharmacie pour réapprovisionner le toxicomane. Cet épisode lui fit prendre conscience de la puissance de la drogue et de la facilité pour les enfants à s’en procurer.

 

Anslinger commença à acquérir de la notoriété tôt dans sa carrière. Âgé de 23 ans, enquêteur pour le chemin de fer de Pennsylvanie, il réussit à prouver le caractère frauduleux de la réclamation d’un veuf dans un accident de chemin de fer. Cela épargna à sa compagnie le débours de 50 000 $ de l’époque (équivalent 921 126 $ de 2005) et lui valut sa promotion comme capitaine de la police du chemin de fer.
De 1917 à 1928, Anslinger collabora auprès de différentes organisations militaires et policières. Ses attributions l’amenèrent à beaucoup voyager, d’Allemagne au Venezuela en passant par leJapon. Sa mission était de mettre un terme au trafic international de stupéfiants, et il a largement influencé non seulement les politiques intérieure et extérieure des États-Unis en matière de drogue, mais aussi celles d’autres pays, en particulier là où ces questions n’avaient pas été débattues.

 

En 1929, Anslinger revint de sa tournée professionnelle internationale en tant que commissaire auxiliaire au bureau de la prohibition des États-Unis. À cette époque, la corruption et le scandale éclaboussaient les agences de prohibition et de narcotiques.
Fervent partisan de la prohibition de l'alcool, Anslinger demande que chaque achat d'une bouteille de bière fasse l'objet d'une demande préalable au ministère des Finances. Sa chance, il la trouva en la personne du nouveau ministre des Finances, Andrew Melton, l'oncle de sa femme, très lié à Du Pont de Nemours,l'inventeur du Nylon qui voulait éradiquer le chanvre trop concurrentiel au profit de ses fibres synthétiques.

 

Les bouleversements et les réorganisations qui suivirent furent l’occasion pour Anslinger, réputé honnête et incorruptible, de monter en grade et d’acquérir une stature politique. Il sera donc nommé à la tête du Bureau des narcotiques, lequel dépend du ministère des Finances.

 

4.3.2. Anslinger au pouvoir
En 1930, Anslinger fut nommé au FBN (bureau fédéral des narcotiques) nouvellement créé en tant que premier commissaire. Le FBN, tout comme le bureau de la prohibition, dépendait directement du département de trésor des États-Unis, et avait pour mission de faire appliquer les lois fédérales sur les stupéfiants. À ce moment-là le commerce de l’alcool et des drogues était considéré comme un manque à gagner car le caractère illégal des substances concernées les soustrayait à l’imposition. Anslinger a été nommé à ce poste par le secrétaire du Trésor, Andrew W. Mellon, et a reçu un budget de 100 000 $ (1 080 470 $ de 2005).

 

Durant les années 1920 naît un groupe de pression réunissant des parlementaires, les journalistes jaunes, et des citoyens intéressés par la question pour pousser Washington à adopter une législation fédérale contre la marijuana. Un article du Montana Standard paru le 27 janvier 1929 relate l’avancement des débats pour amender la loi sur les narcotiques :
« Il y avait de l’amusement au sein du Comité de santé de la Chambre [des représentants] durant la semaine où la proposition de loi sur la marijuana a été présentée. La marijuana est l’opium mexicain, une plante consommée par les Mexicains et cultivée pour la vente par les Indiens. « Quand un quelconque péon dans son champ de betteraves prend un peu de cette substance », a expliqué Dr. Fred Fulsher de Mineral County, « il pense qu’il vient d’être élu président du Mexique, et commence aussitôt à exécuter tous ses ennemis politiques » Tout le monde a ri et la proposition de loi a été approuvée. »

 

Les États du Sud souhaitaient également une loi fédérale contre la marijuana pour persécuter à bon compte les Mexicains qui saturaient le marché du travail avec leur main-d’œuvre à bas prix pendant la dépression. Anslinger a fini par donner suite à ces pressions croissantes. Bien qu’Anslinger fut effectivement un conservateur convaincu que la marijuana constituait une menace pour l’avenir de la civilisation américaine, son biographe affirme qu’il était surtout un bureaucrate astucieux, tirant parti de la répression contre la marijuana pour s’élever aux plus hautes responsabilités.

 

Le secrétaire Mellon, commanditaire et patron d’Anslinger pendant deux ans, était le principal appui financier de la compagnie pétrochimique Dupont de Nemours (à travers la Mellon Financial Corporation). Or la firme, fabricant de produits chimiques utilisés dans la production de pâte à papier à partir de la cellulose du bois et sur le point de breveter le nylon (1939), était justement menacée par la concurrence de la fibre de chanvre. La mécanisation de la récolte du chanvre venait en effet d’enregistrer des progrès spectaculaires avec la mise au point des premières moissonneuses-décortiqueuses-défibreuses, qui faisaient la une du populaire magazine Popular Mechannics, lequel titrait en février 1938 « Une récolte d’un milliard de dollars », prédisant un bel avenir industriel au chanvre.

 

Certains, comme Jack Herer, estiment que la campagne de presse sensationnelle contre la marijuana a été mise au point par Dupont et William Randolph Hearst (magnat de la presse écrite possédant des intérêts dans la papeterie) pour défendre leurs intérêts industriels face à la concurrence du chanvre.

 

En effet, Anslinger lui-même n’a pas considéré la marijuana comme une menace sérieuse pour la société américaine jusqu’en 1934, quatrième année de son mandat, où la campagne visant à alarmer le public des dangers du cannabis est brusquement devenue sa principale priorité.
Utilisant les mass media comme tribune (avec l’appui du puissant William Randolph Hearst), Anslinger a pu donner au mouvement en faveur de la prohibition de la marijuana un caractère national. Écrits pour l’American Magazine, les meilleurs exemples sont archivés dans son dossier de presse, le Gore File, véritable collection de coupures tirées de la presse à sensation, relatant des délits et crimes odieux, pour la plupart commis sans motifs, et imputés à la consommation de marijuana :
« Une famille entière a été assassinée par un jeune forcené en Floride. Quand les policiers sont arrivés sur les lieux, ils ont trouvé le jeune titubant dans une boucherie humaine. Il avait tué à la hache son père, sa mère, ses deux frères, et une sœur. Il semblait être dans un état second… Il n’a aucun souvenir d’avoir commis ce crime multiple. Les agents le tenaient jusqu’alors pour un jeune homme raisonnable et plutôt tranquille ; il est désormais dans un état de folie pitoyable. Ils ont cherché pourquoi. Le garçon a déclaré qu’il avait l’habitude de fumer quelque chose que ses jeunes amis appelaient des muggles, une appellation enfantine de la marijuana. »

 

Cette campagne de presse s’est également fortement appuyée sur les thèmes racistes populaires de l’époque :
« Des étudiants de couleurs à l’université du Minn. festoient avec les étudiantes (blanches), fument [de la marijuana] et attirent leur sympathie avec des histoires de persécution raciale. Résultat, grossesse au bout du compte »
« Deux Négros ont enlevé une fille de 14 ans et l’ont gardée pendant deux jours sous l’influence de la marijuana. Une fois rétablie, elle s’avère souffrir de la syphilis. »

 

Les mêmes faits divers sont publiés régulièrement, plusieurs années de suite, dans les mêmes journaux.
Les moyens cinématographiques sont également mis à contribution. Plusieurs films de propagande voient le jour en 1936, parmi lesquels le célèbre Reefer madness, de Louis J. Gasnier(initialement Tell your children), Wild Weed, de Sam Newfield, ou Assassin of youth, d’Elmer Clifton, auquel collabore Anslinger. Les mêmes ingrédients sont employés : messages simplistes et exagérations, mettant en scène le fort potentiel addictif de l’herbe (les protagonistes sont accrochés dès le premier joint), des hallucinations puissantes, le déclenchement du passage à l’acte (viol et meurtre)…

 

Cette campagne médiatique de diabolisation de la marijuana débouche en 1937 sur le vote du Marihuana Tax Act, une loi fédérale qui impose tous les acteurs de la filière chanvre, et dissuade, de fait, aussi bien l’usage industriel que l’usage thérapeutique.

 

Il aura fallu sept ans d'une campagne acharnée, une campagne empreinte de racisme, de xénophobie et fondée sur d'énormes mensonges, telle cette affirmation citée par Jean Basile et Georges Khal : " On peut cultiver assez de marijuana dans un bac à fleurs pour rendre toute la population des Etats-Unis complètement folle ".

 

Il aura fallu sept ans pour que le Bureau fédéral présente devant le Congrès le Marijuana Tax Act. Harry Anslinger ramena sur le tapis la légende du haschisch et des Assassins (voir appendice A), affirmant que la marijuana engendrait le crime et que, consommée régulièrement, elle conduirait à la dégénérescence, alors qu'aucun médecin, aucun chercheur, aucun représentant de la communauté noire, qui formait le gros des fumeurs, ne furent invités. Fort de ce premier succès, Harry Anslinger entame une campagne contre le jazz, qui, lui aussi, " provoque la déchéance des races ".

 

4.3.3. Belle constance dans l'argumentation
De 1948 à 1950, Anslinger changea son fusil d'épaule : au lieu de jouer sur la peur de la violence, il s'appuya sur celle qu'inspiraient les "rouges". C'était l'époque du maccartisme. L'opinion américaine découvrait avec horreur que la marijuana était une drogue plus dangereuse encore qu'elle ne l'avait imaginé.

 

En 1948, devant un Congrès d'un anticommunisme forcené, puis dans les colonnes des journaux, Anslinger prétendit que la marijuana mettait ceux qui en consommaient dans un état si paisible et si pacifiste qu'il ne restait plus aux communistes qu'à les cueillir. Bien entendu, les soldats américains étaient les premiers concernés... Qu'adviendrait-il de l'Amérique si, sous l'influence de la marijuana, les G.I. refusaient de se battre pour leur pays ?

 

La virevolte avait été plutôt subite. Manifestement, Anslinger n'était pas gêné par les contradictions. On notera avec intérêt, mais sans étonnement, qu'à partir de 1948 la presse offrit une tribune de premier ordre à Anslinger et à ses plus fervents supporters ( les congressistes des Etats du Sud et son meilleur ami, le sénateur Joseph McCarthy ).

 

En 1951, Anslinger devient président de l'US Drug Commission, il triomphe en 1961 en inscrivant le cannabis dans la Convention unique, qui réglemente au niveau mondial les drogues.

 

4.3.4. Le Rapport La Guardia
La seule voix autoritaire qui s'oppose à la campagne médiatique d'Anslinger contre le cannabis était celle du maire de New York Fiorello La Guardia, qui en 1938 a nommé une commission d'enquête, et en 1944 contestée avec dureté la campagne d'Anslinger avec le célèbre La Guardia Committee.

 

4.3.5. Fin de carrière, vieillesse
Plus tard dans sa carrière, Anslinger est mis sur la sellette pour insubordination, suite à son refus de renoncer à une tentative de blocage des publications du professeur Alfred Lindsmith de l’université de l’Indiana. Lindsmith a écrit, entre autres travaux, The Addict and the Law (le toxicomane et la loi), paru en 1961. Il s’agit d’un livre critiquant la guerre à la drogue et en particulier le rôle d’Anslinger. Cette polémique est parfois considérée comme ayant signé la fin de la carrière d’Anslinger comme commissaire aux narcotiques au bureau du département du trésor.

 

En fait, Anslinger fut étonné d’être reconduit dans ses fonctions par le président John F. Kennedy en février 1961, puisque la volonté du nouveau président était de renforcer le gouvernement avec de jeunes fonctionnaires. De toute façon, en 1962 Anslinger aurait 70 ans, l’âge obligatoire de la retraite dans sa position. Il a donné sa démission au président Kennedy le 20 mai 1962. Puisque Kennedy n’avait pas de successeur disponible, Anslinger est resté en poste avec un traitement de 18 500 $ (114 241 $ de 2005) encore quelques mois. Il a été remplacé par Henry Giordano. Puis il fut pendant deux ans le représentant des États-Unis à la Commission des narcotiques des Nations unies, après quoi il a pris sa retraite.

 

Il est ironique qu’en dépit de sa position violemment hostile aux traitements antidouleurs addictifs, il ait lui-même utilisé de la morphine à la fin de sa vie. Anslinger est décédé le 14 novembre 1975. Il avait 83 ans.

 

4.3.6. Portrait
Ci-dessous, un excellent portrait de Anslinger par le site Mauvaise Herbe :

 

Harry J. Anslinger est l’un des hommes qui a eu le plus d’influence sur la prohibition de la marijuana aux USA et dans le monde au 20e siècle. Portrait…

 

Peu connu hors des Etats-Unis, Harry J. Anslinger a pourtant eu un impact direct sur la vie de millions de consommateurs de marijuana à travers le monde, via les lois et traités internationaux sur le cannabis.
 

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Harry J. Anslinger.


L’homme que l’on nomme « le Mc Carthy de la drogue » est né en 1892 en Pennsylvanie. A l’âge de 12 ans, il a affirmé avoir été témoin d’un événement qui allait le marquer profondément : un héroïnomane en manque qui criait dans la rue, et que seule l’intervention d’un enfant qui était allé acheter de la morphine dans une pharmacie avait pu calmer. Cet événement l’aurait fait prendre conscience des dangers de la drogue et de la facilité pour les jeunes de s’en procurer…
Anslinger a commencé sa carrière au service du chemin de fer de Pennsylvanie. De 1917 à 1928, il travailla dans différentes organisations militaires et policières ayant pour mission de mettre un terme au trafic international de stupéfiants.

 

Il fut nommé Commissaire du Bureau Fédéral du Département du Trésor aux Narcotiques (FBN) en 1930, suite à une affaire de corruption généralisée dans le Bureau. Sa réputation d’incorruptible faisait de lui l’homme idéal pour incarner le changement dans cette administration.

 

Une Campagne De Lobbying Anti-Marijuana

 

A la tête d’un budget important, Harry Anslinger lance une grande campagne de lutte contre les drogues. Cette campagne vise plus particulièrement la marijuana qu’Anslinger accuse de tous les maux, comme le montre l’une de ses citations :
La marijuana est la drogue qui a causé le plus de violences dans l’histoire de l’humanité.
Cette véritable croisade contre la marijuana débute à l’époque où s’achève la prohibition de l’alcool aux Etats-Unis (en 1933). Elle va utiliser les mass-media de l’époque, principalement des journaux, livres et films.
 

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Saisie


A cette époque, l’usage de la marijuana était peu répandu dans la société américaine. Importée par les travailleurs mexicains des Etats du Sud, elle était principalement consommée par les Noirs et les Hispaniques, et était considérée (certainement à raison) comme la drogue des musiciens de jazz. Ceux-ci contribueront à la faire découvrir aux classes moyennes blanches.

 

Une campagne de lobbying avait débuté dans les années 1920, menée par un groupe de pression réunissant des parlementaires, journalistes, et des citoyens,et visant à pousser Washington à adopter une législation fédérale contre la marijuana.

 

Ainsi, c’est en 1926 que la presse relate la première histoire de dealer vendant de l’herbe aux enfants à la sortie des écoles. A cette époque également, la marijuana est liée par les médias à une vague de crimes dans le Sud du pays.

 

L’action d’Harry Anslinger s’inscrit dans ce mouvement de lobbying. L’homme ne recule pas devant les moyens pour arriver à ses fins : il transmet aux journaux de nombreuses histoires crapuleuses mêlant (au choix) des Noirs, de la marijuana, des actes de débauche et des viols. De nombreux films de propagande contre la marijuana sont réalisés, dont le célèbre Reefer Madness (1936), et d’autres auxquels participera Anslinger.

 

Ce mouvement de pression débouche en 1937 sur le vote au Congrès du Marijuana Tax Act, qui visait officiellement à taxer la marijuana. Dans les faits, cette loi transfère également au Bureau des Narcotiques d’Anslinger le contrôle de cette marchandise. Or, ce bureau ne délivre que très peu d’autorisations, ce qui aboutit de fait à la prohibition au niveau fédéral.

 

Après Les Usa, L’onu
 

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Saisie


Anslinger continuera sa carrière auprès de l’Organisation des Nations Unies, dès la fin des années 1930. Après la guerre, Harry va s’assurer que la nouvelle commission des stupéfiants de l’ONU soit sous le contrôle des représentants des forces de l’ordre et non des médecins. Ceci aura un fort effet sur les politiques anti-drogues de l’ONU, qui privilégieront pendant longtemps la réduction de l’offre mondiale de drogues au détriment de la réduction des risques.

 

C’est également lui qui va suggérer (et obtenir) le regroupement de l’ensemble des traités internationaux qui régissent le commerce de drogues en un seul. Ceci débouchera sur la Convention Unique sur les Stupéfiants de 1961, qui vise à limiter la production et le commerce de substances interdites en établissant une liste de ces substances, qualifiées de stupéfiants.

 

Une fois cette Convention adoptée, et à la demande de la délégation américaine, le cannabis fut ajouté à la liste des produits stupéfiants en 1961, et soumis au régime le plus rigoureux (comme l’héroïne). Cette convention est aujourd’hui signée par 183 pays, qui s’engagent notamment à ne pas prendre de décision allant à son encontre. Harry Anslinger, devenu représentant des Etats-Unis à la commission des stupéfiants de l’ONU, fera ratifier la Convention par les USA en 1967.

 

L’homme, Les Critiques…

 

Outre son action contre la marijuana, Anslinger s’est fait connaître grâce à ses méthodes : « la fin justifie les moyens ».

 

En effet, Harry n’hésitera pas à fournir aux médias des informations dans lesquels les effets de la marijuana et sa dangerosité sont largement exagérés. L’herbe sera par exemple accusée de démotiver les troupes, de rendre les soldats pacifistes, de provoquer la « dégénérescence des races » et de mener au lavage de cerveau communiste. Certaines de ses citations semblent trahir un racisme à fleur de peau :
Les joints font croire aux « bronzés » qu’ils sont aussi bons que les hommes blancs.
 


4.4. Retour du cannabis et critiques de la prohibition

 

Dans les années 1950, Henri Michaux fit l’expérience des voyages intérieurs et il apparut, en France comme à l’étranger comme l’un des premiers penseurs des drogues et du psychédélisme (terme qu’il utilise dès 1955).

 

Dès le début des années 1960, cet intérêt psychédélique se développa également aux Etats-Unis. A cette époque, la psilocybine et le LSD font l’objet de recherches expérimentales à Harvard comme à Cambridge.

 

Dans les années 1960 et 1970, la consommation de cannabis devient un phénomène de masse qui concerne presque exclusivement les adolescents et les jeunes adultes. Cependant l’utilisation du cannabis se distingue des autres drogues (héroïne, cocaïne, amphétamines..) par son association avec le mouvement culturel hippie.

 

La route vers l’orient, la musique pop, consacreront le cannabis comme « drogue douce ». La consommation est alors synonyme de fraternité et de liberté, mais surtout de lutte contre les valeurs établies et la société de consommation. En France, l’époque est marquée de manière symbolique par la publication en 1976 dans le journal Libération de « l’appel du 18 joint », signé par nombre de personnalités du monde de la culture et de la politique qui reconnurent avoir consommé du cannabis.

 


4.5. Le mouvement Rastafari jamaïcain

 

A la même époque, le mouvement rasta, né en Jamaïque, s’étend dans les îles anglophones des caraïbes puis dans le monde entier. Les rastafariens ou rastas se considèrent comme une tribu perdue d’Israël, vendue comme esclave. Ils prêchent le retour en Afrique comme étant la rédemption du peuple noir. Pour les Rastas, le cannabis est un sacrement et ils l’utilisent pour rendre grâce à Jah (dieu). Partout dans l’île, le thé de ganja est prescrit pour soigner les rhumatismes, l’insomnie et l’impuissance. De ce mouvement est née une musique propre aux rastas qui chantent l’amour, la paix, l’harmonie et la lutte contre l’oppresseur : le reggae.

 

Pendant les années 1980, ce mouvement revendique également la légalisation du cannabis.

 


4.6. Le renouveau du cannabis thérapeutique et critique moderne de la prohibition

 

C’est également dans les années 1970 que la valeur thérapeutique du cannabis fut redécouverte. Certains jeunes cancéreux l’utilisent pour soulager les violentes nausées causées par la chimiothérapie, d’autres découvrent son intérêt dans le traitement du glaucome, les douleurs chroniques et la sclérose en plaque.

 

Entre 1976 et 1991, malgré l’interdiction pesant sur l’expérimentation du cannabis naturel, dix états américains obtiennent la permission de mettre en place des programmes de recherche. Dans le sillage de l’épidémie de SIDA, les demandes de nouveaux patients affluent. En 1991, le gouvernement fédéral décide de fermer ces programmes à tout nouveau candidat en prétextant les difficultés à faire coexister ces expérimentations et la politique de lutte contre la drogue.

 

En France, la loi interdit tout usage, qu’il soit récréatif ou thérapeutique. Les rapports officiels sur l’intérêt de l’utilisation thérapeutique du cannabis se multiplient sans que les recommandations ne soient suivies d’effets législatifs. Tandis que nos voisins européens dépénalisent tour à tour l’usage de cannabis, les législateurs français continuent de refuser toute expérimentation.

 

Plus récemment encore, 300 économistes, dont trois lauréat du prix Nobel, ont signé une pétition pour encourager la légalisation du cannabis aux USA. Ci-dessous, un article sur le sujet :

 

Des centaines d’économistes estiment que la prohibition du cannabis est extrêmement coûteuse, tandis que sa légalisation rapporterait des milliards de dollars.

 

Plus de 300 économistes, dont trois lauréat du prix Nobel, ont récemment signé une pétition pour encourager le président, le congrès, les gouverneurs des Etats ainsi que leurs assemblées législatives à prendre sérieusement en considération la légalisation du cannabis aux USA. Cette pétition attire l’attention sur un article de Jeffrey Miron, un économiste d’Harvard, dont les conclusions mettent en lumière les économies conséquentes que pourrait réaliser le gouvernement si il se décidait à réguler et taxer le cannabis, au lieu de dépenser inutilement des milliards de dollars pour renforcer sa politique de prohibition.

 

Miron estime que la légalisation du cannabis économiserait 7,7 milliards de dollars par an consacrés par le gouvernement pour la répression, et générerait en plus 2,4 milliards de dollars annuellement pour le cas où la taxe serait équivalente aux produits de consommation courante, et près de 6 milliards de dollars si la cannabis était taxé comme le tabac ou l’alcool.

 

Les économistes signataires de cette pétition relèvent que les implications budgétaires de la prohibition du cannabis représentent un facteur parmi d’autres à prendre en considération, mais que l’essentiel de leurs recherches constituent désormais un pilier essentiel du débat national sur la décriminalisation.

 

Les avantages de la légalisation du cannabis (marijuana) s’étendent bien au-delà de l’opportunité de mordre dans le déficit des USA. La criminalisation du cannabis est un des nombreux aspects de la "guerre à la drogue" qui a lamentablement échouée. Même en tentant de l’associer aux plus dures, drogues "dangereuses" de cette croisade inepte, le fait est que le cannabis est en grande partie l’objet de cette bataille. Le gouvernement fédéral a même classé le cannabis au tableau 1 des substance (la catégorie des substances les plus sérieuses), en le plaçant dans une catégorie plus dangereuse que la cocaïne. Chaque année, plus de 800 000 personnes sont arrêtées pour possession et usage chaque année, et 46% de toutes les poursuites liées aux drogues le sont pour du cannabis. En dépit de son coût exorbitant et de la perte de temps pour les forces de l’ordre et la justice, toutes ces interpellations d’usagers du cannabis n’ont pas fait diminuer sa consommation.

 

La prohibition du cannabis n’a pas seulement entraîné une augmentation des arrestations, cela reflète aussi le fossé raciste grandissant de la guerre aux drogues. Même si les études indiquent que la consommation du cannabis est plus répandue chez les WASP, les blacks et les latinos constituent la plus grosse proportion des 800 000 personnes arrêtées chaque année. De ces constatations, on observe qu’il devient difficile pour eux de trouver ou conserver un emploi, de récupérer leurs droits de vote, voire tout simplement pour louer un appartement et se loger à bon prix. Ces faits dont les conséquences paraissent si difficiles à ébranler -aussi mauvaises soient-elles- et sont subies par une catégorie de la population usagère du cannabis qui rend cette politique anti-cannabis inéquitable, mal avisée et intolérable.

 

Notre politique à l’égard du cannabis a prouvé qu’elle était inefficace, discriminatoire et coûteuse. Nos tribunaux, nos cellules ainsi que nos prisons sont engorgés avec des simples délinquants n’ayant pas commis de violence. Mais malgré cela, le gouvernement persiste à maintenir la pénalisation du cannabis alors qu’elle est inutilement dépensière et raciste. Avons nous bien retenu la leçon de la prohibition de l’alcool en voyant aujourd’hui les mêmes conséquences se répéter pour le cannabis ? Face à ce rapport du Pr Miron, soutenu par des centaines d’économistes, espérons qu’il fera changer pas seulement la politique concernant le cannabis, mais changera nos politiques désastreuses.

 

Traduction express : FARId pour Cannabis Sans Frontières

 

Source: Hundreds of Economists : Marijuana Prohibition Costs Billions, Legalization Would Earn Billions. Posted by Ezekiel Edwards, Criminal Law Reform Project & Rebecca McCray, Criminal Law Reform Project at 4:29pm

 

Pour lire l’article original de l’American Civil Liberties Union

 

Fernando Henrique Cardoso. L'ancien secrétaire général de l'ONU Kofi Annan et les anciens présidents de Colombie César Gaviria et du Mexique Ernesto Zedillo font aussi partie de la Commission mondiale sur la politique des drogues, tout comme les écrivains mexicain Carlos Fuentes et péruvien Mario Vargas Llosa.

 

Le rapport recommande de "mettre fin à la criminalisation, la marginalisation et la stigmatisation des personnes consommant des drogues mais qui ne causent pas de dommage aux autres", en donnant la priorité à une approche "plus humaine" selon laquelle les personnes dépendantes sont considérées comme des patients et non comme des criminels. "Les initiatives de décriminalisation n'aboutissent pas à une augmentation significative de la consommation de drogues", rappelle le rapport, citant les exemple du Portugal, des Pays-Bas et d'une province australienne.

 

Le rapport préconise également "d'encourager l'expérimentation des gouvernements avec des modèles de régulation légale des drogues [en particulier le cannabis] afin de réduire le pouvoir de la criminalité organisée et protéger la santé et la sécurité de leurs citoyens".

 

Nouvelles Orientations

 

Le président colombien, Juan Manuel Santos, s'est dit jeudi ouvert à l'analyse d'une "nouvelle orientation" de la lutte contre la drogue. Juan Manuel Santos a souligné que, pour son pays, cette lutte était une question de "sécurité nationale, le narcotrafic restant la source de financement de la violence" en Colombie, où les guérillas et les bandes composées d'ex-paramilitaires vivent en partie de ce trafic. L'actrice Judi Dench, le milliardaire Richard Branson et le chanteur Sting sont parmi les signataires d'une lettre adressée jeudi au premier ministre britannique, David Cameron, appelant à la dépénalisation des drogues. La lettre, également signée par trois anciens chefs de la police, demande au premier ministre de réexaminer l'efficacité des actuelles lois antidrogue dans la lutte contre les abus et les addictions.

 

Les Etats-Unis comptent présenter cet été un programme global de lutte antidrogue à destination de l'Amérique latine, qui réunira les principaux plans d'aide actuellement en vigueur pour la région, a déclaré jeudi un haut responsable du gouvernement américain. "Nous espérons achever ce plan antidrogue cet été", a assuré devant une commission du Sénat Gil Kerlikowske, directeur de l'agence américaine chargée de la politique nationale antidrogue (Office of National DrugControl Policy). Ce plan rassemblera l'Initiative de Merida pour le Mexique et le Plan Colombie, mais aussi d'autres programmes destinés aux pays d'Amérique centrale et des Caraïbes.

 

Selon des données de l'ONU, la consommation d'opiacés à augmenté de 35,5 % entre 1998 et 2008, celle de cocaïne de 27 % et celle de cannabis de 8,5 %.

 

Source : Le Monde
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5. Histoire de la prohibition en France et état des lieux (source : CIRC)

 

5.1. Le Péril Jeune

 

Nous sommes à Woodstock en 1969, une bourgade de l’Amérique profonde. Qui mieux que Jimmy Hendrix interprétant au petit matin sa version de l’hymne américain incarne le mieux la révolte d’une partie de la jeunesse contre la guerre du Vietnam ? Une jeunesse qui découvre la marijuana, goûte au LSD et rêve de réconcilier l’individu avec la politique.

 

En Europe, c’est à l’île de Wight que la jeunesse contestataire, les adeptes du Flower Power, se donnent rendez-vous. Plus de 250 000 personnes se déplacent pour entendre Bob Dylan chanter Times, they are a changin’. Un an plus tard, près de 600 000 spectateurs se presseront pour écouter Jimi Hendrix, les Who, Miles Davis, Donovan, Joan Baez…

 

 

 

 

 

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1969, c’est aussi l’année où sort sur les écrans Easy Rider de Dennis Hopper. Ce film qui montre une Amérique intolérante et raciste en mettant sur une moto deux hippies, devient une référence pour ceux qui sont en rupture avec la société de consommation et veulent en finir avec le vieux monde. La scène où Dennis Hopper et Jack Nicholson prennent de l’acide dans un cimetière est dans toutes les mémoires.

 

La jeunesse radicale, celle qui voudrait donner un sens aux utopies esquissées en mai 1968, est divisée. D’un côté, il y a ceux qui croient à la révolution du peuple par le peuple, se déguisent en ouvrier pour l’enseigner et lancent un appel à l’insurrection par l’intermédiaire de la Cause du peuple dont Jean-Paul Sartre sera un éphémère responsable après l’arrestation de son rédacteur…Et de l’autre, ceux qui redoutent la discipline martiale des groupuscules gauchistes et doutent de leur efficacité sur le terrain de la guérilla. Ceux qui découvrent en tirant sur un joint d’Africaine ou d’Afghan de nouveaux continents et lisent Do It plutôt que Le Capital.

 

Cette fracture se concrétise en 1970 lors du festival de Biot-Valbonne, le grand festival de l’été. Les Mao débarquent drapeaux rouges en tête. Scandant « le pop au peuple », ils s’affrontent avec le service d’ordre et les apprentis hippies. Les premiers reprochent à la marijuana de démobiliser les troupes et les seconds affirment que « la subversion culturelle sape les valeurs bourgeoises bien plus efficacement que les meetings à la Mutu ».

 

Un groupe VLR (Vive La Révolution) et son journal Tout fait le joint entre les gauchistes et les marginaux. Mais le magazine qui deviendra le flambeau de la Contre culture, c’est évidemment Actuel. Jean-François Bizot, jeune homme de bonne famille revient stupéfié des Etats-Unis où il a découvert l’herbe, l’acide et la presse underground. Le numéro Un d’Actuel sort en octobre 1970. Son titre ? « Les communautés contre la famille. »
C’est l’année où les jeunes fuient en masse les villes pour tenter de vivre en autarcie à la campagne sous l’œil goguenard des autochtones. 1970, c’est aussi l’année de la création du MLF.
 

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Depuis les événements (comme on dit pudiquement) qui ont secoué le pays en 1968, les jeunes font peur. Quand ils n’apprennent pas à fabriquer des cocktails Molotov, ils apprennent à rouler des joints. Pour rassurer sa « majorité silencieuse », le gouvernement décide de les mater. Il enfante de la loi anti-casseur pour calmer les ardeurs gauchistes. Et pour calmer les drogués, il invente une loi « visant à transformer les dispositions juridiques en matière de trafic et d’usage de stupéfiants ».

 

La première loi, accompagnée de l’interdiction de la Gauche prolétarienne, a fait grand bruit tandis que la seconde est passée inaperçue. À l’époque, on confondait joyeusement toutes les drogues. Les passants s’écartaient lorsqu’ils croisaient des « chevelus », immédiatement soupçonnés d’être des drogués. La presse s’en donnait à cœur joie comme en témoignent ces extraits d’un article paru en 1970 dans le journal Ici Paris : « J’ai vu des garçons et des filles rongés par la crasse et les parasites se traîner dans la boue et la pourriture… Quand l’un d’eux a envie d’une femme, il la prend telle une bête, au milieu des autres… Des mégots de cigarettes au haschich ramassés à terre qu’ils se disputent comme des bêtes ».

 

Pierre Mazeaud, député UDR, lance le débat à l’Assemblée nationale. Il révèle à ses collègues que « des hippies s’adonnent dangereusement à la drogue et à l’anarchie sexuelle », que le drogué « s’il peut paraître inoffensif » devient lorsqu’il est en groupe « armé pour la contestation ».

 

La loi est finalement votée à l’unanimité parlementaire le 31 décembre 1970 à 23 heures. Particularité de cette loi, en mettant dans le même sac toutes les drogues, elle facilite le passage de l’une à l’autre et créé la classe des « toxicomanes ». Autre singularité, elle réconcilie les partis politiques dans un vaste mouvement de répression dirigé contre la jeunesse contestataire et rapidement le drogué « dans l’imaginaire de la peur sociale » remplace l’enragé.

 

En 1969, 836 personnes ont été interpellées à cause du cannabis, un chiffre qui depuis n’a cessé d’augmenter pour atteindre des sommets que les auteurs de cette loi n’imaginaient pas sans doute…

 


5.2. Les amateurs de cannabis se rebellent

 

En 1971, Jacques Chaban-Delmas envoie à la presse une « charte de l’information sur la drogue » où il conseille aux journalistes de « casser les associations valorisantes drogue-plaisir, drogue-révolte, drogue-communauté et les remplacer par les contraintes souffrance, asservissement, isolement ».

 

Le plaisir entre en politique. Les femmes luttent pour le droit à l’avortement et les homosexuels créent le Fhar(Front homosexuel d’armée révolutionnaire).
En déclarant qu’il trouve peu convaincants les propos du docteur Nahas (le docteur Folamour du cannabis), le professeur Olievenstein représente l’avant-garde.
En Italie, Marco Panella, le leader charismatique du Parti radical, est appréhendé pour avoir fumé lors d’une réunion pour la dépénalisation.

 

« Le drogué de 1972 est traité en France comme l’hérétique du Moyen-âge », note Actuel dans le numéro qu’il consacre aux drogues.

 

Les jeunes voyagent. Ils font la route, fument le Chillum en Afghanistan et moissonnent au Cachemire. Ils ramènent dans leur sac à dos des variétés de haschich étonnantes et détonantes. Les plus audacieux goûtent au LSD, pyramides roses et buvards. Dès l’automne venu, les mêmes s’en vont cueillir des psylos dans les prairies à vaches.

 

En 1975, Actuel se saborde. Tirant à 90 000 exemplaires, se passant d’un sac à dos à l’autre, il resserrait autour de ses petites annonces les liens entre les paumés, les clochards célestes, les zonards, les bâtisseurs d’utopies, les voyageurs…
Au même moment, les Sex Pistols donnaient leur premier concert à Londres.

 

Dans les années 70, un pays : la Hollande, et une ville : Amsterdam, séduisent les amateurs de cannabis. Bien avant la loi de 1976 qui réserve un régime de prohibition douce au cannabis, le Paradiso ou le Melkweg, des hauts lieux de la Contre-culture amsteldamoise, tolèrent un dealer maison. En 1975, à La-Haye, un jeune homme accusé d’avoir vendu du cannabis dans une maison de jeunes, explique au tribunal que son activité empêche ses clients de traîner dans la rue où leur seront immanquablement proposées ce qu’il est alors convenu d’appeler des drogues dures. Les journaux reprennent l’information, le grand public s’émeut, des pourparlers s’engagent entre les maires, les officiers de justice, les ministères concernés, et tenant compte des conclusions du rapport Bahn (1972), lequel considère le cannabis comme une drogue socialement acceptable, le gouvernement hollandais invente le concept du coffee-shop.

 

Concernant le cannabis, la France se distingue déjà de ses voisins européens par un discours musclé et une pratique répressive. Les fumeurs sont présentés soit comme de futures loques humaines, le haschich ouvrant grand la porte de l’héroïne, soit comme les victimes de dealers mal intentionnés. Quant à la presse, qu’elle soit de droite ou de gauche, elle participe activement à la désinformation autour d’une plante qui connaît un franc succès, incite à la paresse, un pêché vraiment capital dans une société capitaliste.

 

Devant tant de sottise accumulée, quelques jeunes journalistes travaillant à Libé et à feu Actuel décident de lancer l’Appel du 18 joint, un clin d’œil osé, mais bien dans l’esprit cannabique de l’Appel lancé de Londres par De Gaulle.

 

Un texte est rédigé. Il rappelle que chacun de nous utilise des drogues, que les rapports officiels relativisent les dangers du cannabis, que la France « continue d'entretenir la confusion entre drogues dures et drogues douces, gros trafiquants, petits intermédiaires et simples usagers », que les médias sont coupables de « mener des campagnes d'intoxication fondées sur des mensonges ineptes » et que la répression massive touche avant tout « la jeunesse ouvrière et les immigrés ».
Jugeant qu’il faut mettre fin à cette situation absurde, le texte demande « la dépénalisation totale du cannabis, de son usage, sa possession, sa culture (autoproduction) ou son introduction sur le territoire français en quantités de consommation courante ».

 

Pour donner plus de poids à l’Appel, ses instigateurs affirment « qu’ils ont déjà fumé et sont éventuellement disposés à réitérer sans pour autant se considérer comme des délinquants ».
Texte en main, ils démarchent des personnalités et des stars du show-biz, lesquelles se défilent les unes après les autres. Ce qu’ils ne pouvaient deviner, c’est que parmi les courageux signataires de « l’ Appel du 18 joint » 1976 se dissimulaient un futur ministre, Bernard Kouchner, et un le futur président de la ligue des Droits de l’homme, Henri Leclerc.

 

Le 18 juin, François Chatelet, philosophe enseignant à la faculté de Vincennes, repaire de gauchistes et laboratoire d’idées neuves, dépose un plant de cannabis au pied de la statue de Lamarck dans le jardin des Plantes avant de lire le texte de l’Appel. En fin de journée, plusieurs centaines de personnes se retrouvent aux Buttes Chaumont pour fumer des pétards et faire la fête au son des guitares.

 

Les médias n’ont pas relayé l’information et ceux qui sont à l’initiative de l’Appel n’ont jamais été invités à s’exprimer. Le seul qu’on entend, c’est le docteur Olievenstein qui s’avoue révulsé.

 

Suite à « ‘l’Appel du 18 joint », Libération a reçu 1 200 lettres et recueilli plus de 2 500 signatures.

 

L’année suivante, les journalistes de Libération s’empoignent sur la signification politique d’une journée commémorative. De toute façon, le 18 juin 1977 comme le jour précédent et le jour suivant, il pleut sur les Buttes Chaumont.

 

« L’appel du 18 joint » est le premier acte de rébellion des fumeurs contre un pouvoir autiste. Pour se faire entendre des politiques, ceux qui l’ont lancé ont choisi l’humour, une forme d’action qui perdurera comme nous le constaterons.
L’Appel n’a pas résisté longtemps aux embrouilles idéologiques, mais il a créé des liens, des connivences, des complicités. Il a ouvert la voie du militantisme cannabique, un sport qui se développe alors que le mouvement qui les a portés se meurt et que les hippies de tout poil se rasent.

 


5.3. Quand les hippies deviennent des babas

 

La France découvre que ses enfants se droguent. Les affaires se multiplient. Les ados cuisinés par les gendarmes craquent. Les filières, le plus souvent une bande de potes qui bientôt ne le seront plus du tout, sont démantelées.

 

C’est justement un procès qui va redonner au mouvement désordonné constitué dans la foulée de l’Appel du 18 joint, un nouvel élan. En mars 1977 à Lons-le-Saunier, sous préfecture du Jura 49 personnes plus ou moins insérées, s’entassent dans la salle du tribunal. Vingt-huit prévenus sont menottés, certains sont en prison depuis plus de six mois.
Avant ce procès retentissant, bien peu de gens connaissaient Lons-le-Saunier. Qu’on s’y drogue est un choc pour tous les parents qui pensaient que l’épidémie — comme disait le docteur Nahas, était circonscrite aux grandes métropoles.
Le procès débute au lendemain d’une forte progression de la gauche aux élections municipales. La presse s’en empare et commence un match de ping-pong entre le Figaro, symbole de la droite, et Libération dans le rôle du vilain petit canard.
Le premier en fait sa manchette « Hasch en stock » et promet de révéler à ses lecteurs « comment se déroule le trafic de stupéfiant ». Le second craint qu’avec tout ce battage, la justice ne soit pas objective.
Contre les 49 inculpés, le procureur requiert en tout 110 ans de prison.

 

La France des fumeurs s’émeut. Ils en ont marre qu’on les considère comme des toxicos, marre des gros mensonges véhiculés par la presse. Le 17 mai, à quelques jours de la sentence, lors d’une grande fête organisée par le Loustal, maison d’exp<b></b>ression libre autogérée sise à Montpellier, quelques individus distribuent des tracts où ils demandent le retrait du cannabis du tableau des stupéfiants et invitent les passants à débattre autour d’une table sur laquelle ils ont posé deux pieds de chanvre.
Ce jour-là, ils ajoutent 367 signatures à la pétition qui circule en faveur des inculpés de Lons-le-Saunier. A quelques jours du verdict, la pétition : « nous fumons du haschich et sommes solidaires des inculpés », recueillera 2000 signatures qui seront remises au procureur.

 

Finalement, le tribunal tenant compte « du contexte social des inculpés et de la situation politique actuelle » prononce des peines beaucoup plus douces que celles demandées par le procureur.
Vexé, le Parquet fera appel à l’encontre de 16 inculpés. Trois d’entre eux verront leurs peines aggravées.

 

Pour fêter l’année 1977, Libération s’inspirant d’une station de radio néerlandaise, dresse une fois par semaine un récapitulatif des prix des différentes variétés de cannabis disponibles sur le marché et distille quelques conseils pratiques.
Sept mois plus tard, marquant la fin des années hippies et le début des années punk, la bourse du hash est remplacée par White Flash, la chronique d’Alan Pacadis… « Merde, love and peace, c’est fini, si tant est que cela a été un jour ».

 

Ca flippe dans les chaumières. Valéry Giscard d’Estaing recommande la nomination d’un « Monsieur Drogue » (on en verra défiler une bonne douzaine en dix ans !) chargé de trouver des solutions concrètes pour en finir avec la toxicomanie.

 

En 1978 sort le premier rapport français sur la question des drogues. Il a été confié à Monique Pelletier et il balaie allégrement les idées reçues mettant à mal la plus tenace d’entre elles, la théorie de l’escalade.
L’acte de fumer n’est certes pas banal, mais il serait souhaitable, écrit notamment Monique Pelletier, « de fixer clairement en accord avec les spécialistes concernés un seuil quantitatif au-dessous duquel tout porteur serait, sauf preuve du contraire, assimilé à un usager et non à un trafiquant, et de recommander que, au-dessous de ce seuil, le détenteur ne soit plus déféré au parquet. »
Vingt-huit ans plus tard, l’usage en privé est toujours passible d’un an de prison et de 3750 euros d’amende.

 

Nous voilà en 1979 !

 

1979, c’est l’année où Sid Vicious meurt d’une overdose, l’année où Jacques Mesrine est abattu.
En octobre, le magazine La Gueule Ouverte décide de s’attaquer à « l’intolérable hypocrisie » du gouvernement et se lance dans la bataille pour la « dépénalisation de la culture et de la consommation du cannabis » avec un texte intitulé : « Pour le plaisir ».
En 1979, chaque fois qu’on découvre quelques grammes de hasch dans les poches d’un ado, les journaux en font leur gros titre.
Il en va ainsi d’une affaire qui éclate au collège de Liverdun, une petite ville de Meurthe et Moselle. Tandis quel’Est Républicain titre : « Drogue, scandale au collège de Liverdun », le Figaro en rajoute : « Drogue : les parents ont raison d’avoir peur » et Ici-Paris s’insurge : « Scandaleux ! La drogue au programme ».
Libération, le journal des gauchistes, s’oppose à l’Humanité, l’organe du parti communiste. Tandis que le premier se félicite de l’acquittement d’un planteur de cannabis par le tribunal de Toulouse, le second, quelques jours plus tard, titre : « Une scandaleuse provocation, l’apologie de la drogue aux portes du lycée ».

 

1979 sera une bonne année pour la brigade des stups qui saisit plus de six tonnes de beuh.

 

Nous sommes en 1980.

 

Entre Libé et l’Huma s’engage une partie de ping-pong… Et Libération de prévoir : « Les sorcières des années 80, ce seront les drogués ».
Le docteur Olievenstein se demande si la répression « n’est pas un prétexte pour faire faire un pas de plus à la fascisation du pays ».

 

La Gueule Ouverte est toujours le magazine des partisans de la dépénalisation… A sa tête, Jean-Luc Bennahmias !
Un peu partout en France, à Montpellier, à Rennes ou à Saint-Etienne, sont créés les CALUMED, les Comités d’action pour la libération de l’usage de marijuana et de ses dérivés.
Jean-Pierre Chevènement regrette que les cannabinophiles deviennent le « prétexte à un quadrillage policier de la jeunesse ».
Le PSU soutient le mouvement pour la dépénalisation.
Quelques représentants du CALUMED participent à la première conférence sur la légalisation du cannabis organisée à Amsterdam par la « International Cannabis Alliance for Reform », fusion d’une association britannique, du Norml américain et du parti radical italien.
Le premier mai, on fume des joints dans la manif parisienne, et à Montpellier une banderole en faveur de la dépénalisation du cannabis est déployée.
Le 10 et 11 mai se déroulent à Paris les « Assises pour la dépénalisation du cannabis ». Il n’y a pas foule. On écoute Jean Fabre, le représentant du Parti radical italien et un représentant de Legalize Cannabis Campaign. Les représentants des CALUMED en région, ils sont désormais une quinzaine, se plaignent. Ils n’ont pas été consultés et aucune réunion nationale de concertation n’a eu lieu.
Noah regrette déjà d’avoir déclaré dans Rock and Folk son penchant pour le chanvre qui se fume.
Riche en événements cannabiques, l’année 1980 se termine, après trois ans d’instruction, par un procès, celui du journal Libération accusé d’avoir présenté le cannabis sous un jour favorable en publiant des recettes, des fiches pratiques et des articles sur Thomas Szasz, auteur du fameux « La Persécution rituelle des drogués, boucs émissaires de notre temps ».

 


5.4. La Grande Désillusion

 

Les élections présidentielles approchent.

 

C’est au dernier moment, paraît-t-il, que le parti socialiste glisse dans son programme, au chapitre consacré à la famille, quelques lignes où il se prononce timidement pour une dépénalisation de l’usage.
Les membres du mouvement informel, mais bien réel qui avait atteint son apogée avec l’organisation des Assises pour la dépénalisation à Paris, accueillent avec soulagement l’arrivée du socialisme… Et le soir du 7 mai, alors que dans les beaux quartiers, les riches bouclent leurs valises pleines de billets, les joints tournent place de la Bastille. On allait enfin en finir avec la petite bourgeoisie et ses idées étriquées.

 

Le lendemain où le socialisme arrive en France, Bob Marley s’en va.

 

Christophe Gourmand, activiste montpelliérain, est convoqué devant le tribunal. Une association de parents d’élèves a porté plainte suite à la distribution par des mineurs d’un tract du Calumed à la sortie du Lycée Joffre, le plus huppé de la ville.
Les membres du collectif « Volem fumar al païs » se défilent et refusent de lui apporter un soutien concret. Dégoûté, Christophe prend ses distances. En quelque mois, le Calumed perd de sa superbe, s’étiole et meurt.

 

« DROGUES, LE BOOM MONDIAL », telle est la Une de Libé ces 30 et 31 janvier 1982.
Quelques semaines plus tôt, le même journal relatait l’arrivée « d’un mystérieux cancer chez les homosexuels américains ».

 

Un Monsieur Drogue, François Colcombet, ex-président du Syndicat de la magistrature, est nommé en 1982. Il est contre la dépénalisation. « Mieux vaut ne pas dépénaliser, quitte à ne pas réprimer, même si je suis peut-être un vieux pompon à cet égard », déclare-t-il. De toute façon, c’est impossible, la France a signé des accords internationaux… Une litanie dans la bouche des responsables de tout poil.

 

Le docteur Claude Olievenstein est le chouchou des médias. Le débat drogue douce drogue dure ? Ça ne l’intéresse pas. Et de nous expliquer que nous ne sommes pas tous égaux devant les drogues. Tout dépend « du produit, de la personnalité de l’usager et du moment socioculturel ». Il n’a pas vraiment tort. Et il découle de cette trilogie qu’il est possible d’avoir un usage dur d’une drogue douce, et inversement, un usage doux d’une drogue dure.

 

Juste après une allocution de François Mitterrand, la première chaîne propose un reportage « Hasch à la ferme » où deux cultivateurs portant des masques de Mickey nous font visiter leur potager.
Quelques mois plus tard, nos cultivateurs se dévoilent et fondent le collectif « Fumée douce ».

 

La répression bat son plein. Le hash devient rare et les ados découvrent le charme de la colle à rustines.

 

Fin 1981, les mystérieuses éditions Sinsemilla lancent un magazine : Viper. Dessinateurs en herbe ou confirmés, journalistes amateurs ou professionnels, ayant pour tout salaire les joints qu’ils partagent, les premiers numéros de Viper sont conçus dans la cuisine de Gérard Santi, son rédacteur en chef.
Au fil des ans, le magazine grandit et devient adulte. La revue Drogues financée par l’Etat, le reconnaît d’utilité publique. En 1984, Gérard Santi travaille dans un vrai bureau, ses collaborateurs sont plus exigeants que par le passé, nombreux sont ceux qui défilent et proposent des articles ou des dessins, même les publicitaires le courtisent.
Trop c’est trop ! Gérard Santi dit Stop. Il ne veut pas que Viper devienne un magazine comme les autres.

 

Le boom des drogues annoncé en 1982 se confirme en 1983 si l’on se réfère au rapport de l’Onu. Le Liban est montré du doigt…Son haschich rapporté dans les Rangers par les soldats de la Finul, fait le bonheur des drogués Français. Une France bien obligée de constater qu’on trouve de plus en plus d’héroïne. Quant au cannabis, il est devenu d’une totale banalité d’en fumer.
Le nombre d’interpellations d’usagers de cannabis double en un an passant de 6000 à 12000. Idem pour l’héroïne.

 

Le 17 juillet 1983 l’usage et la consommation des drogues pour usage personnel ne sont plus un délit en Espagne.

 

En 1984, les experts de l’Onu (la voix des Etats-Unis farouches partisans de la guerre à la drogue) adresseront des remontrances non seulement à la Hollande, mais aussi à l’Espagne… Dans l’élan, ils décerneront une médaille au Mexique pour ses efforts, le Mexique qui défend avec les Etats-Unis (quel paradoxe !) sa place de premier producteur mondial de marijuana.
Le docteur Olievenstein commentant la politique des drogues en France, nous prévient : « Nous paierons le prix de la politisation des problèmes de la drogue et d’une idéologie sécuritaire distillée à des fins électorales. Tout le monde en paiera le prix à gauche comme à droite ».
Le score du Front National, 11 % de voix lors des élections européennes, crée un choc et donne raison au docteur Olievenstein., En tête des préoccupations françaises avec le chômage, la Drogue est un argument électoral de poids. Elle symbolise l’insécurité. Les cités sont peuplées de dealers étrangers qui vendent de la mort à nos gosses. La stigmatisation des drogues comme des drogués a attisé un sentiment d’insécurité que tous les partis politiques ont utilisé avec pour seul objectif, ramasser des voix.

 

D’après l’Onu, mais c’est chaque fois la même ritournelle, l’année 1985 est pire que la précédente. L’occident est un réservoir inépuisable de consommateurs alimenté par des pays qui ne demandent qu’à produire des drogues, des marchandises idéales pour les fomenteurs de coups d’Etat.
Le saviez-vous ? Au pays de la guerre à la drogue, la marijuana est la deuxième production agricole après le maïs et les experts s’inquiètent de l’augmentation de la culture en intérieur.

 

En projet, une nouvelle loi qui permettra la comparution immédiate des usagers revendeurs. Les effectifs de l’Octris (Office central de répression du trafic illicite de stupéfiants) sont renforcés. La loi sur les « petits dealers » sera finalement votée le 20 novembre 1985. Une peine entre deux et six ans de prison est prévue.

 

C’est souvent lors de son service militaire que l’appelé est initié au plaisir de la fumette.

 

Un nouveau Monsieur Drogue, Jean-Claude Karsenty est nommé à la place de Franck Perriez, lequel avait succédé à François Colcombet. À quoi sert un « Monsieur Drogue » ? À répéter inlassablement qu’il n’y a plus d’usagers en prison, que nous avons signé les Conventions internationales et qu’il n’est donc pas possible de dépénaliser l’usage.
Ce n’est pas l’avis de Francis Caballero pour qui il suffirait d’ajouter un mot pour changer le sens à cette Convention.

 


5.5. Les Années de Plomb

 

Le 19 juin 1986, la moto conduite par Michel Colucci percute de plein fouet un camion.
« Les Frères Pétards » a failli ne jamais sortir. Le gouvernement oblige réalisateur et producteur à mettre un bandeau annonçant la nature du film. Comme dit Géné, célèbre journaliste à propos d’Albin Chalandon, Garde des Sceaux, « il n’a pas inventé le fil à couper le hash ».
Après la campagne de pub « La drogue, c’est de la merde », un échec retentissant, une nouvelle campagne : « La drogue, parlons en avant qu’elle ne lui parle » est lancée par le gouvernement.
Un soir de décembre, Malik Oussekine est tué par les voltigeurs de la police rue Monsieur-le-Prince.

 

Nous voilà en 1987. Le recours aux soins forcés préconisés par Albin Chalandon est abandonné. Pour compenser, de nouvelles mesures contre les trafiquants vont être prises.
En 1987 débute l’affaire Apap.
Lors de l’audience de rentrée du tribunal de Valence, Georges Apap prononce un discours où il s’en prend à la prohibition, un discours qui lui vaut les foudres du Garde des Sceaux qui le mute d’office à Bobigny.
Le 9 octobre, il est jugé par ses pairs qui lui reprochent de critiquer l’action du gouvernement alors que sa fonction exige de la défendre.
Finalement, jugeant entre autre que sa vision d’un monde où les drogues seraient légalisées est utopiste, Georges Apap sera relaxé.
Dans son rapport annuel, le professeur Olievenstein s’indigne : « Rarement les professionnels ont été traités par les mileux officiels avec une telle arrogance, un tel mépris et une telle agressivité ».
En décembre est créée la Coordination radicale antiprohibitionniste. Au même moment, sous l’impulsion de Milton Friedman, économiste américain et libertarien, naît la Drug Policy Foundation.

 

En 1988, The Economist lance un Appel : « Regulate it ! »
Howard Marks, citoyen britannique surnommé le Marco Polo de la drogue, est arrêté à Palma de Majorque… Des années plus tard, il publiera un récit de ses aventures dans un livre : « Mister Nice ».

 

Le temps passe vite, et nous voilà en 1989, année où est fondée la Ligue internationale antiprohibitionniste… Georges Apap est le seul Français à en faire partie.
C’est en 1989 que paraît un livre stupéfiant « Le Droit de la drogue »… Et un journaliste de Libération d’écrire : « Francis Caballero a pourtant commis là, avec l’onction quasi biblique de la maison Dalloz un véritable brûlot ».
Il faudra deux ans au Conseil économique et social pour pondre un rapport désolant. Un petit extrait ? A propos de la Drogue, cette sous-culture, Eveline Sullerot, la rapportrice, préconise d’en finir « ne serait-ce que pour arrêter à temps les rumeurs et les campagnes lancées par les trafiquants, la dernière étant celle qui laisse entendre que la légalisation des produits illicites arrêterait à la fois trafic et toxicomanie, alors qu’elle répandrait le mal dans des proportions irréparables ».
Michel Charasse, ministre en bretelles, déclare dans une interview au Point : « Les trafiquants de drogue doivent savoir que je suis leur pire ennemi. Ils pourrissent les gamins. Jusqu’à mon pays, l’Auvergne, où pourtant il ne pousse pas de cannabis ! En tant que maire, j’ai perquisitionné à l’école et fait ouvrir les cartables. Nous avons trouvé du cannabis qu’un jeune soldat du coin a ramené du Liban ».
En 1989, le mur de Berlin tombe.

 

Nous voici en 1990.
Georgina Dufoix prend la présidence de la DGLDT. Le professeur Nahas, le docteur Folamour du cannabis, est pressenti par la nouvelle madame Drogue qui déclare dans le magazine Match : « L’abus de drogue détériore les fonctions du cerveau cent fois plus rapidement que l’alcool et deux cent fois plus que le tabac ».
En Ariège, la répression bat son plein. Pour protester contre la chasse aux « Pélus », quelques courageux créent l’association ALI (Association pour les libertés individuelles) qui se voit interdire l’accès à une salle de la mairie de Saint Girons où ils comptaient organiser un débat sur le Droit du cannabis de l’antiquité à nos jours avec Francis Caballero en Guest Star. La raison invoquée par Roger Fouroux, le maire ? Il ne voudrait pas que ses concitoyens pensent qu’en mettant une salle communale à disposition « ils cautionnent les propositions de dépénalisation qui seront avancées à l’occasion de cette réunion ».
Libération sort un numéro spécial intitulé « Drogue, la guerre mondiale » qui démontre qu’elle est perdue.
« Manif pour la légalisation samedi 23 juin 1990 » peut-on lire sur des affiches artisanales. Ils ne sont qu’une dizaine, jeunes pour la plupart, et le jour dit, ils déploient une banderole sur laquelle est griffonné : « Légalisez le canabis » avec un seul « N ».
Rendez-vous est pris pour la semaine suivante. Le bouche à oreille a fonctionné, les journalistes et les CRS sont sur le coup. Les manifestants aux cris de « Libérez Marie-Jeanne Enfermez Jean-Marie » et « Des Coffee-shops à Paris » traversent le Pont Saint-Michel. Contrôles musclés et gardes à vue sont au programme.
Pendant les vacances estivales, les membres de « Défonce libre » et « Fume » (Fondation Unitaire des Marginaux Eclatés) complotent. Initiateurs de l’événement, ils sont rejoints par le futur président d’une association en cours de création, le MLC (Mouvement de Légalisation du Cannabis) de Francis Caballero.
Qu’importe la visite des Renseignements Généraux chez Carolien Tuijthof considérée comme l’instigatrice de la contestation, tous se retrouvent le 23 septembre.
Comme dans les années 70, les manifestants expriment leur différence en scandant : « Vous c’est le pastis ! Moi c’est le haschich ! ». Tous les samedis, jusqu’au 17 novembre, malgré la répression, les partisans de la légalisation du cannabis se retrouvent pour une manifestation improvisée.
En ce 17 novembre, rendez-vous est pris à Saint-Germain, mais à peine sortis du métro, voir dans les couloirs, les flics en civil se ruent sur tout ce qui ressemble à un contestataire. La place est quadrillée de CRS et la manifestation est dispersée avant même de se former.

 

Ce sera la dernière du genre, mais des liens se sont tissés, les protagonistes de cette aventure se retrouveront en mars 1991, après la publication de Fumée clandestine et créeront le CIRC.

 

… Mais c’est une autre histoire.

 


5.6. Etat des lieux aujourd’hui

 

Pour commencer, en France, la loi interdit « toute présentation sous un jour favorable » des substances stupéfiantes. Les organes de "communication" officiels de l'État français mènent la vie dure à la Marijuana, à travers des campagnes de propagande niant toutes les avancées scientifiques récentes et stigmatisant systématiquement les usagers. Un organisme public, la Mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie (MILDT) donne très largement (site Internet, brochures, etc.) des avis sur les drogues dures, plaçant le cannabis au milieu d'entre-elles, le comparant à des drogues telles que la cocaïne ou encore le LSD, loin des réalités scientifiques.

 

La spécificité de la loi française conduit à un discours officiel qui peut paraître assez déroutant pour la plupart des autres ressortissants européens, cependant, outre le débat, la loi française interdit strictement la production, la détention, la vente, l'achat et l’usage du Cannabis, avec sanctions à la clef.

 

Le trafic, c'est-à-dire la détention, le transport, l'offre, la cession ou l'acquisition de stupéfiant, est puni d'une peine de prison d'une durée maximale de dix ans ou d'une amende pouvant atteindre 75 000 euros (Art. 222-37 du Code pénal).
Le simple usage n'est normalement puni que d'une peine maximale d'un an d’emprisonnement ou d'une amende pouvant aller jusqu'à 3 750 euros (Art. 3421-1 du Code de la santé publique).

 

Cependant, il est à noter que le simple consommateur est souvent, et abusivement, assimilé à un trafiquant (10 grammes d'herbe suffisent à être considéré comme trafiquant), et donc se trouve passible des mêmes peines. En effet, consommer du cannabis implique nécessairement d'en détenir, et donc d'en acheter ou bien d'en produire, ce qui laisse toute liberté au juge d'incriminer l'usager sur le fondement du Code de la santé publique (usage) ou du Code pénal (détention/trafic/production).

 

Quant à la production, même pour usage personnel, celle-ci est passible d'une peine maximale de vingt ans de réclusion criminelle ou d'une amende pouvant aller jusqu'à 75 000 euros (Art. 222-35 du Code pénal).
L''opportunité des poursuites pénales appartenant au procureur et l'appréciation de la peine au juge, la peine est livrée au bon vouloir de deux magistrats, et varie énormément selon les départements.

 


5.7.Une brève histoire de la prohibition.

 

C'est la loi n°70-1320 du 31 décembre 1970, publiée au J.O. du 2 janvier 1971, qui est actuellement en vigueur en France. Elle classe toutes les drogues au même niveau (à l'exception de l'alcool et du tabac) et instaure une double série de mesures, sanitaires, d'une part, répressives, d'autre part. Elle est considérée comme une des plus répressives d'Europe.
Mais Rome ne s'est pas faite en un jour, et la prohibition non plus. Voici un aperçu du chemin législatif louvoyant qui mena à la loi de 1970 :

 

Le 11 octobre 1908, le décret portant règlement d'administration publique pour "la vente, l'achat et l'emploi d'opium ou de ses extraits" constitue le premier véritable acte interventionniste du régime républicain. Destiné à compléter et à préciser les différents textes d'application de la loi du 19 juillet 1845 relative au commerce des substances vénéneuses, il permet de poursuivre les individus soupçonnés de détention ou de préparation d'opiacés, de réprimer le fait d'en favoriser l'usage et la détention prohibée. Mais trop imprécis, ce texte n'apporta pas les résultats espérés.

 

De fait, alors que la France devient l'un des principaux pôles du commerce international en stupéfiants, le Parlement français adopte en 1916 à l'unanimité la grande loi sur les stupéfiants réprimant "l'importation, le commerce, la détention et l'usage de substances vénéneuses, et notamment la morphine, l'opium et la cocaïne".

 

La loi du 13 juillet 1922 et le décret-loi du 29 juillet 1939 relatif à la famille, vinrent renforcer l'arsenal législatif et réglementaire faisant de la législation française anti-drogue, une des plus draconiennes d'Europe.

 

Sous la pression du monde médical, la loi du 24 décembre 1953 va intégrer pour la première fois un volet sanitaire dans la législation anti-drogue, en considérant l'usager de drogue comme un malade et le trafiquant comme un délinquant professionnel qu'il faut réprimer extrêmement sévèrement. Un nouveau tournant sera pris en 1970 par le vote de la loi du 31 décembre qui constitue le socle de la politique française en matière de drogue.

 

Jusqu'à la fin des années soixante, l'opinion publique ne s'intéresse quasiment pas au sujet. C'est pourtant à cette période que des nouvelles tendances se dessinent quant à l'usage de drogues. Les révoltes de mai 68, mouvements de contestation culturelle érigés contre l'ordre établi, se voient associés à l'usage de drogue. Parallèlement, les français découvrent que le pays a servi de plaque tournante dans de vastes opérations de trafic (époque de la French Connection). Tout cela contribue à ce que l'usage de drogues soit perçu comme un danger social : Apparaît le "problème de la drogue" (sic).

 

Extrait du Rapport Henrion :

 

"Votée dans une période très marquée par les mouvements étudiants dont certaines drogues avaient été l'emblème, surtout aux États-Unis, la loi du 31 décembre 1970 était, dans l'esprit du législateur, une pièce maîtresse dans l'effort d'endiguement qu'appelait une vague de contestation portée par ce que certains ont appelé "la dissolution" des mœurs".

 

Le texte de loi était censé être le fruit d'un compromis entre le ministère de la justice, favorable à la répression de l'usage, et le ministère de la Santé, demandant une surveillance sanitaire systématique.
Cependant le texte adopté finalement, en laissant l'obligation de soins à l'appréciation du magistrat, ne poursuivra pas cet objectif de santé publique, misant sur le côté répressif ; et de fait un très petit nombre des usagers seront signalés à l'autorité sanitaire. A partir de 1985, la drogue devenant un véritable enjeu international, la loi subira plusieurs modifications législatives visant toutes à améliorer la répression contre le trafic de stupéfiants.

 

Extrait du site de la MILDT : Philosophie de la loi de 1970

 

La loi de 1970 considère l'usager de drogues comme un individu à la fois malade et délinquant. Délinquant puisqu'elle incrimine spécifiquement l'usage solitaire et prévoit une peine d'emprisonnement ferme. Malade puisqu'elle prévoit une exemption de poursuites pénales pour les toxicomanes usagers " simples " qui acceptent de se soumettre à une cure de désintoxication.

 

La loi de 1970 est une loi qui, en rupture avec les lois antérieures, vise les personnes plus que les produits. Elle confirme un principe de prohibition (elle interdit tout usage de stupéfiant, même privé) et d'abstinence, à laquelle les toxicomanes doivent être contraints, au besoin, par le biais de l'injonction thérapeutique. Son principe contribue à renforcer les attitudes discriminatoires entre des usagers dépendants de produits illicites et des usagers dépendants de drogues licites (alcool notamment). Surtout, la loi exige des médecins qu'ils agissent contre la volonté d'individus qui ne nuisent pourtant qu'à eux-mêmes.

 

De fait, la loi de 1970 est appliquée à des usagers de drogues, et, dans la majorité des cas, à des usagers de cannabis. Cette loi ne prévoit rien lorsque l'usage est associé au trafic. La circulaire du 17 septembre 1984 fut la première à distinguer usager-simple et usager-trafiquant, cette dernière catégorie étant reprise par la loi du 31 décembre 1987 pour l'écarter de l'alternative sanitaire.

Issu du Lexique de la MILDT

 

Depuis la loi de 2007 sur la récidive (dite « loi Dati »), des peines planchers sont applicables aux récidivistes. En pratique, l'achat de 2 grammes de cannabis pour sa consommation personnelle par une personne considérée par la loi comme récidiviste conduit ainsi à une peine plancher de quatre ans d'emprisonnement ferme.

 

 

 

 


6. Histoire du Cannabis au Canada

 

 

6.1. 1609 : Le cannabis arrive au Canada

 

Il y a une certaine controverse à savoir si le chanvre est natif des Amériques ou s'il a été introduit par des Européens immigrants au Nouveau Monde. Quoi que Jacques Cartier ait mentionné dans son journal qu'il a vu du chanvre qui poussait au Canada, la question est de savoir s'il voulait dire du cannabis ou simplement des plantes à longues tiges fibreuses.

 

Il est connu que le cannabis a été parmi les premières récoltes semées par les Européens en sol canadien. Elles étaient récoltées par Louis Hébert, un apothicaire parisien renommé qui avait été attiré au Canada par son bon ami et explorateur Samuel de Champlain. Hébert émigra en Nouvelle-France en 1609 avec son épouse et ses enfants, amenant sa vaste connaissance des herbes et médicaments avec lui dans le Nouveau Monde.

 

 

6.2. 17e et 18e siècles : Le Cannabis dans le Nouveau Monde

 

À la fin des années 1500, le chanvre était devenu une denrée rare en Europe. La Hollande avait obtenu un monopole sur l'importation de chanvre bon marché des Indes Orientales, et des blocus navals coupaient l'approvisionnement de chanvre russe qui pouvait être obtenu facilement à l'apogée de l'empire Romain.

 

Depuis que de grandes quantités de chanvre étaient nécessaires pour toutes les puissances navales européennes pour l'armement de leurs vaisseaux de guerre et flottes navale et marchande, les monarques Européens regardaient le Nouveau Monde comme une source alternative de cannabis. Ainsi, à l'aube du 17e siècle, l'Espagne semait du chanvre au Chili, la Nouvelle-Angleterre cultivait du chanvre pour l'Angleterre, et les Entrepôts Royaux Français promettaient d'acheter tout le chanvre que les fermiers canadiens pourraient faire pousser.

 

Durant cette période, des subventions étaient souvent offertes pour la culture du chanvre, plusieurs taxes pouvaient être payées en plans de chanvre, et des pénalités sévères étaient souvent imposées aux fermiers s'ils ne produisaient pas une quantité suffisante de cannabis. Plusieurs villes et régions modernes ont racines dans ces cultures, incluant Hampshire, Hempsteads et Hamptons.

 

La difficulté à cette période n'était pas de faire pousser le chanvre, mais plutôt de le préparer pour le marché. La machinerie sophistiquée pour le broyage du chanvre n'a pas été inventée avant les années 1920. Avant ce temps le chanvre nécessitait une moisson laborieuse, requérant un procédé appelé "rouissage" pour le préparer à être utilisé. Les longues fibres externes des plants de cannabis nécessitaient d'être séparées de leur pulpe interne, ce qui était accompli en trempant les plans dans l'eau jusqu'à ce que les filaments internes se décomposent suffisamment pour que les fibres soient facilement retirées.

 

 

6.3. 1800-1900 : Commerce de Drogues et Guerre à la Drogue

 

L'importance des plans de chanvre diminue quelque part dans le 19e siècle. Bien que les arbres n'aient remplacé le chanvre à titre de source principale de papier qu'à la fin des années 1800, l'avènement de l'énergie à vapeur réduit le besoin pour les toiles à voiles en chanvre pour la marine, et l'invention de la machine à égrener le coton permit aux fibres de coton d'être retirées avec beaucoup moins de travail que le chanvre.

 

Le 19e siècle vu aussi la naissance du premier commerce international de substances altérant l'esprit. Le commerce mondial de drogue prit de la vitesse pendant le 19e siècle. Le moteur de ce commerce était l'Angleterre, dont la suprématie navale lui permettait un commerce étendu pour le thé, l'alcool, le tabac et l'opium tout autour du monde.

 

L'opium était populaire chez les Chinois, mais banni par les souverains de Chine. En ces temps le gouvernement Chinois acceptait seulement l'or en paiement pour l'énorme quantité de thé que les Britanniques consommaient fanatiquement, et les dynasties de la Chine se succédaient dans le monopole mondial de la production de thé. Les paiements d'or à la Chine ont mis le trésor Britannique en faillite dans les années 1820, alors afin de rembourser cet or, l'opium était vendu aux consommateurs Chinois par l'entremise de divers intermédiaires Chinois (les "hongs"). Les Chinois perdirent leur monopole lorsque des plants de thé furent sortis clandestinement de la Chine dans les années 1850 et que des plantations de thé furent établies en Inde et au Ceylan (Sri Lanka).

 

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La propagation de l'usage de l'opium parmi la population chinoise sonna l'alarme parmi les dirigeants du gouvernement Chinois, qui décida finalement de bannir tout commerce d'opium avec les autres nations. Cette action ferma un immense marché pour les commerçants d'opium Britanniques, et en 1839, l'Angleterre déclara la guerre à la Chine pour maintenir son droit de vendre de l'opium aux Chinois. Lorsque les Britanniques gagnèrent la "Guerre de l'Opium" ils créèrent ce que les Chinois appelèrent le "Traité Inégal", qui établissait que la Chine avait à payer le coût total de la guerre et concédait aux Britanniques l'île marchande d'avant-poste Hong Kong jusqu'à l'année 1997.

 

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6.4. 1870-1907 : Or, Exploitation, Racisme

 

En 1871, de l'or était découvert le long de la rivière Fraser en Colombie-Britannique. Environ 2000 Chinois vinrent des mines épuisées de Californie pour travailler dans les nouvelles mines le long de la rivière Fraser. En 1881 la compagnie Onderdonk Construction se voyait accorder la permission par le gouvernement Canadien de transporter 17 000 travailleurs Chinois de la région chinoise du sud de Kwangtung pour travailler sur le chemin de fer en Colombie-Britannique. La compagnie Onderdonk Construction faisait la promotion d'un scénario "devenez riche rapidement" pour attirer les travailleurs, leur promettant un retour rapide à leur patrie, et plus riches que dans leurs rêves les plus fous.

 

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L'impitoyable exploitation de ces hommes qui allaient subséquemment faire face à de brutales troupes de travail est un des moments les plus sombres de l'histoire Canadienne. Plus de 4 000 travailleurs chinois périrent en construisant le grand chemin de fer national. Quand la voie ferrée fut complétée et que les mines d'or furent épuisées, Vancouver se retrouva avec des milliers de Chinois appauvris vivant dans des tentes et des bidonvilles. Ces hommes étaient disposés à faire n'importe quel travail disponible, souvent à un salaire autour de quatre dollars par mois. Exclue de la plupart des rapports sociaux, et méprisant l'alcool, la population Chinoise vivait dans le Chinatown une existence semblable à celle des ghettos. Comme l'Amérique du Nord était considérée essentiellement Britannique par les Chinois, ils ne voyaient pas de raison de ne pas amener au Canada l'opium qui leur était vendue par les Britanniques. L'usage d'opium devint un moyen commun pour la population Chinoise d'alléger la douleur de leur pauvre état.

 

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Les mouvements de travail organisés de la Colombie-Britannique avaient peur des baisses de salaires et d'un marché du travail inondé, et en vinrent rapidement à voir les Chinois "coolies" comme leurs ennemis. Ils firent pression sur le gouvernement pour restreindre l'immigration ultérieure et le gouvernement fédéral Canadien répondit en instituant une taxe par tête pour les immigrants Chinois de cinquante dollars, une taxe qui augmenta constamment pour atteindre cinq cent dollars par tête en 1904. La haine de la population Chinoise de Vancouver résultats en émeutes de travailleurs en 1907.

 

 

6.5. 1907-1923 : Prohibition, Législation, Propagande

 

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L'ancien député ministre du travail William Lyon MacKenzie King a été nommé pour enquêter et régler les réclamations pour dommages Chinoises. Pendant son enquête, MacKenzie King a découvert l'usage d'opium parmi la population Chinoise, et trouve une solution unique à la crise de travail. MacKenzie King a décidé que le seul moyen d'éliminer l'agitation civile était d'éliminer les Chinois. En sa qualité de citoyen civil, il soumet un rapport intitulé "La Nécessité de la Suppression du Trafic d'Opium au Canada". Ce rapport était largement fondé sur les histoires des journaux à sensation décrivant la déchéance de jeunes blanches causée par l'usage d'opium.

 

Le rapport de MacKenzie King mène à la création de l'Opium Narcotic Act de 1908, qui prohibe l'importation, la fabrication et la vente d'opiacés pour usage non médical. L'Opium Narcotic Act de 1908 a fourni les bases pour toutes les autres législations Canadiennes en rapport avec l'usage des drogues illicites à ce jour, en dépit du fait qu'elle ait été créée uniquement pour éliminer un élément indésirable de la communauté ouvrière, et ce sans aucune considération médicale, sociale ou aucune recherche scientifique pour soutenir sa nécessité ou sagesse. En fait, il est fort peu probable que MacKenzie King ait eu l'intention d'appliquer l'Acte à un quelconque segment de la population blanche.

 

Les difficultés à faire appliquer l'Acte et le développement de réseaux de contrebande illicites poussent l'établissement d'une commission royale d'enquête sur la contrebande de l'opium Chinois. Les recommandations de la commission résultent en l'Opium and Drug Act de 1911. Cet acte étend la liste des drogues prohibées, faisant de l'usage simple et de la possession des offenses, et élargissent les pouvoirs policiers de recherche et de saisie.

 

En 1920, un an avant que MacKenzie King ne devienne Premier Ministre du Canada, la section Opium et Drogues est établie par le département de la santé, et est mis en charge du renforcement de la législation des narcotiques. La Gendarmerie Royale du Canada travaille très étroitement avec la section Drogue, et leurs services sont récompensés par des lois plus indulgentes envers leur droit de rechercher et saisir la propriété des utilisateurs de drogue suspects.

 

Jusqu'aux années 1920, des extraits de cannabis sont utilisés dans des médicaments brevetés pour traiter une vingtaine de malaises différents; de son vivant, la reine Victoria elle-même était une avide avocate de la médecine cannabique, et nourrissait même les oiseaux chanteurs et oiseaux rares des sanctuaires royaux de graines de chanvre.

 

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Pendant cette période, 3 états des États-Unis rendaient le cannabis illégal, tous sans aucun support d'étude scientifique. Ces lois sont mises en place pour harceler et déporter les groupes minoritaires qui favorisent différentes drogues, contrairement à la population Européenne. Ces lois sans fondement et racistes trouve leur chemin jusqu'au Canada, assistées par le Maclean's Magazine, qui publie au début des années 1920 une série d'articles sur le trafic illégal de la drogue au Canada.

 

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Ces articles étaient écrits par Mme Emily Murphy sous le nom de plume de "Janey Canuck", et ont été plus tard compilés en un livre intitulé "The Black Candle". Mme Emily Murphy fut la première femme juge magistrate policière, et était aussi une leader du Irish Orange Order, un groupe religieux qui voulait (NDLT : et veut encore!..) une population blanche pure au Canada.

 

Les articles que Mme Emily Murphy a écrit sont très biaisés et sensationnalistes. Dans un chapitre, un chef de police du comté de Los Angeles est cité disant que :

 

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… les personnes faisant usage de ce narcotique fument les feuilles séchées de la plante, qui ont comme effets de les rendre complètement fous. Les dépendants perdent tout sens moral ou responsabilité. Les dépendants de cette drogue, lorsque sous son influence, sont immunisés à la douleur. Sous cette influence ils deviennent de délirants maniaques et sont capables de tuer ou d'infliger toute forme de violence aux autres personnes, en utilisant la plupart des méthodes sauvages de cruauté sans, comme cité plus haut, aucun sens moral ou responsabilité.

 

Lorsque "The Black Candle" est publié en 1922, son seul but est de provoquer l'opinion publique et faire pression sur le gouvernement pour créer des lois sur la drogue plus strictes. La GRC utilise ce livre pour renforcer son pouvoir en rendant le cannabis illégal sous le nom "marijuana" dans le Opium and Narcotic Drug Act de 1923.

 

 

6.6 1938-1961 : Études ignorées, Peines Augmentées

 

En 1938, le maire de New York, Fiorello La Guardia, mandate la Grande Association Médicale de New York d'étudier les effets et usages de la marijuana. Leur rapport est publié en 1944, et reste une des études les plus étendues sur la santé et les effets sociaux de la consommation de marijuana. Entre autre faits, le rapport La Guardia rapporte que :

 

Le comportement du fumeur est d'un caractère amical et sociable, et l'agressivité et la belligérance ne sont pas vues communément.

 

L'étude rapporte également qu'il n'y a pas de relation entre les crimes violents et la marijuana. Les recommandations de ce rapport ont été ignorées.

 

En 1954 une nouvelle offense est créée au Canada, soit la possession de biens en but de faire le trafic. La sentence pour ce crime a été doublée dès l'année suivante, augmentant la peine maximale d'emprisonnement à quatorze ans au lieu de sept.

 

À la fin des années 1950, une fédération des agences d'assistance sociale, supportée par l'Association Médicale de la Colombie-Britannique, fait pression auprès du gouvernement fédéral pour qu'il ait une vue plus réaliste de la nécessité des rudes lois anti-drogues au Canada. Ils poussent pour que les lois soient réécrites au moins pour faire une distinction entre les drogues dites "douces" et "dures". L'Association Médicale Nationale ne supporta pas cette recommandation, et elle fut ignorée.

 

La Convention Particulière sur les Drogues Narcotiques prend effet en 1961. Alors que cet acte élimine le transport comme un reste des jours anti-chinois, il augmente également la peine minimum pour culture à sept ans, et celle pour importation et exportation à 14 ans. Ceci fait des lois sur la marijuana la seconde sentence minimum dans les lois criminelles Canadiennes, surpassée seulement par celles des peines capitales et non capitales pour meurtre.

 

 

6.7. 1961-1980 : Mouvement contre la Prohibition

 

Les années soixante ont vu l'utilisation de la marijuana parmi la jeunesse canadienne s'étendre comme jamais auparavant. Le gouvernement Canadien semble aussi adoucir la prohibition de la marijuana. Le ministre de la santé et services sociaux est cité disant :

 

Les gouvernements, tant Canadiens qu'Américains, en utilisant la tactique de la peur, ont été coupables d'abus sans discernement, qui ont été efficaces seulement pour réduire notre propre crédibilité.

 

Au début des années 1970, les Associations Médicales Canadiennes et Américaines conviennent que la marijuana n'est pas un narcotique. La commission LeDain fut désignée au Canada pour entreprendre une complète et factuelle étude de la marijuana et ses effets. Les résultats de cette recherche furent présentés au gouvernement quatre ans et quatre millions de dollars plus tard.

 

Comme l'étude La Guardia de New York en 1944, la commission LeDain reconnaît que l'utilisation de marijuana n'est liée en aucune façon aux crimes violents. Elle conclue aussi que les lois prohibitionnistes servent seulement à créer une sous-culture avec peu de respect pour les lois et les forces de la loi, de même qu’à détourner les capacités des forces de lois, engorger le système judiciaire, et fournir une base de fonds au crime organisé. Les recommandations de la commission LeDain varient de la légalisation pure à de petites amendes pour l'usage de marijuana.

 

En 1971 il y eu un "smoke-in" au Gastown de Vancouver. L'événement était appelé "Grasstown" et attira quelques activistes, hippies et visiteurs curieux. Bien que tout ait bien débuté, avec des chansons et un joint de vingt pieds qui était passé à la ronde, le chef de police de l'époque ne pouvait tolérer cette flagrante violation de la loi, et l'événement fut pris d'assaut par la Police Montée suivie de l'escouade anti-émeute. Le résultat final fut que plusieurs blessures furent infligées aux participants, ainsi qu'à d'innocents passants et marchands locaux qui ne s'étaient pas identifiés assez rapidement.

 

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À la fin des années 1970 il sembla y avoir un consensus au parlement concernant le besoin de la légalisation de la marijuana. Plusieurs politiciens de ce temps, incluant Joe Clark, Pierre Trudeau et Jean Chrétien statuèrent publiquement qu'ils ordonneraient une forme de décriminalisation dès que possible. Malheureusement, l'élection de Ronald Reagan comme président des États-Unis en 1980 a ruiné les chances que cet événement se produise. Avec Nancy Reagan à sa tête, la Guerre à la Drogue commença sérieusement de nouveau.

 

 

6.8. 1980-1992 : Douze ans de Guerre à la Drogue Américaine

 

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Les douze années de l'administration Reagan/Bush ont vu le budget de la US Drug Enforcement Agency atteindre des sommets inégalés, la création de sentences mandataires minimum pour possession de drogue et l'introduction de troupes Américaines en Amérique du Sud et au Panama, où la guerre à la drogue était amenée en terre étrangère. Le gouvernement Canadien stoppa les plans de légalisation de la marijuana par déférence pour la position Américaine, ne voulant créer aucun conflit avec notre grand voisin du sud. Ce modèle a toujours cours à ce jour.

 

Cet essai n'est presque pas assez long pour tenir une comptabilité complète des atrocités du gouvernement Américain commises au nom de la "Guerre à Certaines Drogues". Des programmes comme l'épandage de Paraquat et d'autres poisons au dessus des plantations extérieures de cannabis de la Jamaïque et du Mexique résultent en la contamination des sources d'eau locales et en dommages biologiques aux enfants, ce qui continue encore à ce jour. Des programmes comme ceux engagés à travers l'Amérique du Sud, où les troupes Américaines brûlent des villages et assassinent des fermiers indigènes dans leurs efforts pour couper l'approvisionnement en drogue.

 

Il a été clairement démontré que l'administration Bush/Reagan a trafiqué de grosses quantités de cocaïne pour pouvoir contourner le besoin d'obtenir du financement du congrès. George Bush était aussi un directeur de Eli-Lilly, une compagnie pharmaceutique majeure, et demeura un actionnaire majeur tout au long de sa carrière politique. Les Etats-Unis surpassent toutes les autres nations du monde en ce qui concerne l'emprisonnement de sa propre population, un autre fait qui continue à ce jour. L'Afrique du Sud et l'ancienne Union Soviétique étaient lointaines deuxième et troisième à cette époque.

 

Toutes ces activités eurent du succès pour supprimer le commerce du cannabis, mais le résultat fut seulement une augmentation dans la popularité de la cocaïne, étant plus petite et plus facile à cacher et distribuer.

 

En 1988, tandis que les consommateurs de cannabis tournoyaient dans cette guerre américaine à certaines drogues, le parlement Canadien passa ce qui s'avérerait être la loi la plus sévère censurant le cannabis au monde. Préconiser la légalisation du cannabis, promouvoir la consommation de marijuana pour des raisons médicales, préconiser l'usage de chanvre pour ses fibres, montrer comment la marijuana est cultivée, publier des journaux, magazines ou des vidéos parlant positivement de la marijuana (ou de n'importe quelle "herbe, drogue ou substance" prohibée par le gouvernement) peut provoquer une poursuite criminelle avec des amendes de 100 000$ pour la première offense, et de 300 000$ pour une seconde offense, accompagnée de six mois à un an d'emprisonnement.

 

 

6.9. 1992-Présent

 

En avril 1992, NORML Canada (National Organization of Reform of Marijuana Laws) a été accusé sous la section 462.2 du code criminel pour avoir distribué des brochures pro légalisation à des étudiants d'une école secondaire en Ontario. Après avoir fait une descente dans la maison de Umberto Iorfida (ainsi que dans le bureau de NORML Canada), la police saisi de "l'information promouvant la légalisation et l'usage de cannabis" ainsi que des listes d'adresses de contribuants. On laissa tomber toutes les charges contre NORML Canada deux mois plus tard. Umberto a expédié un grief à la Court de Justice de l'Ontario demandant une solution constitutionnelle à la suppression de sa liberté d'expression.

 

En octobre 1994, la Court de Justice d'Ontario déclara qu'elle agréait avec la plainte d'Umberto à l'effet que la section 462.2 étouffait la dissidence et l'expression. La prohibition sur la littérature a été renversée. La couronne en a appelé de la décision, et les avocats Alan Young et Edward Morgan prévoient aller à la Court Suprême du Canada pour protéger la liberté de paroles. En avril 1993, les résidents de Vancouver tiennent le premier smoke-in dans cette ville depuis 1971. Plus de 3000 personnes se rassemblent à la Vancouver Art Gallery et marchent jusqu'à l'Hôtel de Ville pour protester contre la mauvaise foi de l'Acte Canadien du Contrôle Narcotique. Les organisations Grassroots s'étendent à toute l'Amérique du Nord, demandant que les lois sur la drogue soient changées.

 

Les gens deviennent conscients des coûts réels engagés par ce qu'ils appellent la guerre à la drogue. L'assèchement économique, les contestations sociales et l'oppression gouvernementale résultants de cette situation sont devenus apparents lorsque le gouvernement a pris des mesures extrêmes pour diminuer l'usage du cannabis, de mêmes que d'autres herbes et intoxicants. Le gouvernement conservateur a introduit en 1992 un projet de loi qui aurait doublé les pénalités pour possession de marijuana et élargi l'éventail des substances prohibées. Le projet de loi ne passa pas dû à la défaite des conservateurs en 1993.

 

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Le nouveau gouvernement libéral a présenté le projet de loi C-7 (maintenant passé), qui est similaire au projet des conservateurs. Il double les pénalités pour les premières offenses de possession de marijuana, définit n'importe quelle substance qui altère l'esprit comme une substance contrôlée sous cet acte, et augmente le pouvoir arbitraire de la police en matière de recherche et saisie, entre autre choses.

 

Le projet de loi C-7 a effectivement amené la guerre à la drogue Américaine au Canada, et subordonna les droits civils Canadiens aux conventions internationales conduites par les Américains. L'autre chose que le projet de loi C-7 était supposé faire était de légaliser la variété industrielle basse en THC de la plante. La ministre de la santé, Diane Marlow, a statué qu'elle allait délivrer des licences pour la production de culture de chanvre une fois que le projet de loi C-7 serait approuvé (250 licences émises en 1998 au Canada).

 

 

6.10. Le Futur

 

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Le mouvement pour mettre fin à la prohibition du cannabis a fait des gains significatifs ces derniers mois. Un grand nombre de magasins "de chanvre" ont ouvert leurs portes à travers le Canada, certains d'entre eux vendant des pipes et des bongs (en violation directe de la section 462.2 du Code Criminel), à côté de textiles de chanvre et de produits tirés d'huile de chanvre. Une grande quantité d'informations à propos des nombreux effets bénéfiques du cannabis a été produite et distribuée à un nombre grandissant de Canadiens. Le coroner en chef de la Colombie-Britannique a récemment examiné la situation entourant le grand nombre de morts reliées à la drogue dans sa province, et ses recommandations incluaient la légalisation du cannabis et la décriminalisation des " drogues dures ". Les membres du parlement des quatre partis majeurs ont parlé contre le système actuel de prohibition criminelle.

 

(Originellement trouvé sur le site web de HempBC sans auteur mentionné, janvier 1999.

Source : Hemp BC www.hempbc.com

Traduction : Évolution Québec)

 


7. Histoire du Cannabis au Maroc (d'après l'UNODC)

 

Les historiens s’accordent pour établir l’existence de cultures de cannabis dans la région de Kétama, dans le Rif central, au XVe siècle. Ces cultures remonteraient à l’arrivée des immigrants arabes dans la région, à partir du VIIe siècle.

A la fin du XIXe siècle, le voyageur français Moulieras qui visitait la région, signalait que le cannabis était produit, quoique à un niveau limité, dans la tribu des Beni Khaled. Le sultan Moulay Hassan (1873 – 1894) avait donné l’autorisation de cultiver le cannabis à cinq douars de Kétama et Beni Khaled dans le pays Senhaja. Le cannabis du nord du Maroc était produit pour l’autoconsommation, quoiqu’une part de la production fût aussi destinée à la vente dans d’autres régions du pays. Au XXesiècle, à partir de 1912, le royaume fut séparé en deux zones, l’une placée sous administration française, l’autre sous tutelle espagnole. Dans le cadre du protectorat espagnol sur le nord du pays, l’Espagne permit à certaines tribus de continuer à cultiver le cannabis.

 

Durant les cinq ans pendant lesquels Abdelkrim maintint dans le Rif un État indépendant (1921-1926), la production de cannabis diminua notablement sous l’influence de ce chef berbère qui considérait que la consommation de cannabis était contraire aux préceptes du Coran. Après la défaite du chef rebelle, les autorités espagnoles consentirent, pour amadouer les tribus de l’intérieur d’Al Hoceima, à la culture du cannabis autour du noyau initial de Kétama.

 

En 1906, la conférence d’Algerisas avait concédé le monopole des achats et ventes du tabac et du cannabis dans le pays à la Régie Marocaine des Kifs et Tabacs, une compagnie multinationale à capitaux français. Cette compagnie avait son siège à Tanger où étaient transformés le cannabis et le tabac, le kif (mélange de tabac et de cannabis) étant aussi fabriqué dans une usine de Casablanca. Ces préparations étaient destinées à être consommées de manière traditionnelle sur le marché intérieur. En 1926, les Français décidèrent de permettre la culture du cannabis dans une zone au Nord de Fès. Cette expérience, qui ne dura que trois ans, entrait dans le cadre de la politique du Général Lyautey visant à isoler l’expérience révolutionnaire d’Abdelkrim. Elle cherchait en effet à contenter les tribus qui, voisines des régions en rébellion, avaient récemment accepté la soumission à l’administration française.

 

La Régie contrôlait les terres allouées à la culture du tabac et du cannabis en signant des contrats avec les paysans. Ces contrats garantissaient les prix, les qualités, les méthodes de transformation, les quantités, etc. Mais le cannabis cultivé dans les régions montagneuses du Rif, se trouvant en zone espagnole, échappait au contrôle de la Régie.

La prohibition de la production de cannabis au Maroc sous protectorat français remonte au dahir du 22 décembre 1932. La France, qui avait interdit la production et le trafic sur son territoire métropolitain en 1916, décida de faire appliquer sa législation et ses engagements internationaux en la matière à ses colonies. Le dahir de 1932 interdit donc la culture du cannabis, à l’exception de celui cultivé, sous le contrôle de la Régie, dans le Haouz (plaine de la région de Marrakech) et le Gharb (plaine de la région de Kenitra). Finalement, le dahir du 24 avril 1954 étendit l’interdiction de la culture et de la consommation du cannabis à tout le Maroc sous protectorat français.

 

Après l’indépendance du Maroc, en 1956, cette prohibition fut étendue à tout le territoire national, zone ex-espagnole comprise. Cette décision fut très mal accueillie par les milliers de petits cultivateurs qui avaient jusqu’alors bénéficié de la tolérance espagnole à l’égard de la culture du cannabis. Le gouvernement marocain décida donc d’autoriser la culture dans un périmètre restreint, situé exclusivement autour du village d’Azilal, au pied du Mont Tiddighine (Province de Al Hoceima). En outre, il décida d’acheter toute la récolte aux paysans pour procéder à son incinération. Cette mesure dut cependant être abandonnée après trois ans, en raison des difficultés financières de la jeune administration marocaine.

 

En 1958, un certain nombre de facteurs, tels que l’extension à la zone nord du régime forestier du reste du pays, le fort taux de chômage de la région, ou encore la hausse des prix consécutive à l’unification des monnaies, provoquèrent ce que l’on appela la “révolte des montagnes”, matée par l’armée au printemps 1959. Ces évènements amenèrent le gouvernement marocain à tolérer la culture de cannabis comme faisant partie d’une économie informelle permettant aux habitants du Rif de survivre. C’est ainsi que malgré l’extension du dahir de 1954, la culture du cannabis fut tolérée chez certaines tribus du Rif. Les limites des superficies existantes furent cependant maintenues et on essaya d’éviter que le commerce de cannabis ne se fasse de façon trop voyante. Au cours des dix années suivantes, la situation dans les régions productrices ne changea pratiquement pas.

 

L’extension subséquente des superficies de culture, la transformation du cannabis en produits dérivés (surtout haschisch et huile), l’accroissement des quantités produites et la recherche de marchés extérieurs apparaissent comme le résultat de la rencontre de deux facteurs principaux. Le premier est le développement de la demande européenne de cannabis à partir des années soixante-dix, et le second les difficultés socio-économiques rencontrées par l’économie marocaine en général et la région Nord en particulier.

 

A la fin des années 70, la culture de cannabis occupait encore une surface probablement inférieure à 10 000 hectares. Mais la demande du marché européen commençait à faire sentir ses effets et les paysans se mirent à augmenter progressivement les surfaces cultivées. La transformation en haschisch, produit destiné au marché extérieur, commença à prendre une importance croissante, le cannabis (herbe) restant destiné au marché local et à l’autoconsommation.

 

Les années 60 furent caractérisées dans plusieurs régions du Maroc par un exode rural massif, conséquence de la ruine de l’agriculture de subsistance ou de la mécanisation dans certaines zones agricoles du pays. Ces années-là, des milliers de Rifains abandonnèrent le Nord du Maroc à destination de l’Europe, pour travailler dans les mines belges, le bâtiment aux Pays-Bas ou les usines automobiles françaises. Mais, à l’époque de la crise économique de la fin des années 70 et des programmes d’ajustement structurel du milieu des années 80, cet exutoire de l’émigration avait en grande partie disparu en raison des politiques d’émigration restrictives mises en place en Europe. Pour les paysans du Nord du Maroc, possédant peu de terres, ne recevant pas d’aides de l’ État, n’ayant pas accès au crédit et utilisant des techniques agricoles rudimentaires, la concurrence avec l’agriculture modernisée et les importations de produits alimentaires externes était un combat inégal. La culture du cannabis devint alors de plus en plus attrayante, d’autant plus que la demande de cannabis des marchés européens ne cessait d’augmenter. Les réseaux de commercialisation marocains se consolidèrent avec l’aide de trafiquants européens et prirent la place des fournisseurs de haschisch d’autres régions du monde (Liban, Afghanistan, qui étaient alors en guerre).

 

Cette époque fut marquée par une augmentation rapide des surfaces cultivées en cannabis. Du noyau initial du pays Senhaja (Kétama et environs), le cannabis s’étendit au pays Ghomara (Bni Smih, Bni R’zine, Bni Mansour, etc.) aux Jebalas (Bni Ahmed) et vers Al Hoceima à l’Est (Bni Boufrah, Bni Mesdouj).

 

Le début des années 2000 semble être marqué par une nouvelle expansion de la culture du cannabis qui gagne maintenant les terres fertiles situées en dehors des zones de culture traditionnelles. Cette extension du cannabis enferme peu à peu une région entière dans une situation dangereuse de monoculture. La monoculture du cannabis a ainsi fait perdre à la ville de Chefchaouen et ses environs leur autosuffisance agricole et alimentaire. Les terres possédées par nombre de familles dans les régions de Ghomaras et d’Akhmas, auparavant consacrées à de nombreuses variétés de plantations et d’élevages, sont aujourd’hui essentiellement utilisées pour la culture du cannabis.

 


8. Vidéos

 

La vraie histoire du cannabis (partie 1 & 2) :

 

https://www.youtube.com/watch?v=dk-3aLKspRU

https://www.youtube.com/watch?v=sdmk9Tfs6IA&feature=relmfu

 

 

Histoire de la prohibition (en huit parties) :

 

 


9. Conclusion

 

Nous voici à la fin de notre parcours, il reste deux appendices ci-dessous pour en apprendre encore un peu plus. Fort de cette histoire plurimillénaire, le cannabis a su résister à ses détracteurs depuis un siècle et revient partiellement sous la forme de chanvre textile sélectionné pour n’être pas psychotrope.

 

Difficile de prévoir ce qu’il adviendra dans le futur de la plante pour laquelle nous partageons une passion commune, espérons en tout cas plus de compréhension, plus de communication, plus de liberté individuelle.

 

Merci de votre lecture.

 


Appendice A : La Légende des Assassins

 

Cet ordre est doté d'un corps d'élite constitué d'hommes entièrement dévoués à sa cause et prêts à mourir pour elle. Marco Polo, mentionne « certain breuvaige à boire, par le moyen duquel ilz estoient incontinent troublez de leur esperit, & venoient à dormir profondement », pour le conditionnement des fedayins. Plusieurs auteurs du XIXe et du XXe siècle se sont inspirés de ce récit dans leurs œuvres, reprenant ou contestant l'hypothèse linguistique qui ferait dériver le terme assassin de l'arabe « haschischiyoun » ou « haschaschin » (mangeurs d'herbe), et signerait l'usage du chanvre indien par cette secte ismaëlienne.

 

A.1. Origine

À l'origine, ceux qu'on appelle les nizâriens ne sont que les adeptes de l'ismaélisme en Perse, c'est-à-dire une communauté chiite minoritaire dans une région sous la tutelle de vizirs sunnites. Sous la direction de leur chef charismatique Hassan-i Sabbâh, parfois surnommé « le Vieux de la Montagne », les ismaéliens prennent le contrôle du fort d'Alamût en 1090 et étendent leur influence en Iran ainsi qu'en Syrie.

Hasan ibn Sabbâh était à la fois un homme politique et religieux. Selon Christian Jambet, « il créa un réseau de forteresses, permettant de contrôler le territoire alentour.

 

Selon Isabelle Baudron, les relations entre les Templiers et les ismaéliens d'Alamût sont. L'auteur rapporte la visite duVieux de la Montagne, à Acre. Il est alors reçu par le roi Louis IX. Au-delà de cette rencontre, il y a un échange de cadeaux entre les deux souverains, rendu possible par un frère prêcheur breton qui parlait l'arabe. Plusieurs fois, les nizâriens ont rendu visite aux croisés à Acre et notamment aux Hospitaliers. Le Vieux de la Montagne avait demandé l'aide de Saint Louis contre les Mongols qui envahissaient la Perse (et qui finirent par prendre Alamût) (voir le récit haut en couleur de la rencontre entre les émissaires d'Alamût et Saint Louis).

 

A.2. Étymologie de « assassin »

Existe-t-il un lien étymologique entre les termes « haschisch » et « assassin » ? Sur ce sujet, les avis divergent. Dans le Trésor de la langue française informatisé, on peut lire la thèse qui a largement prévalu en Occident depuis les Croisades jusqu'à nos jours : le terme assassin provient de l'italien assassino, assessino, lui-même emprunté à l'arabe hashishiyyin, nom donné aux Ismaëliens de Syrie par leurs ennemis, et désignant les consommateurs de haschich.

 

Cette étymologie et la légende qui l'accompagne ont nourri l'imagination de nombreux auteurs, parmi lesquels on peut citer l'écrivain slovène Vladimir Bartol (Alamut), le scénariste et dessinateur de bandes dessinées italien Hugo Pratt (La Maison dorée de Samarkand). Depuis les attentats du 11 septembre 2001, enfin, certains voudraient établir des parallèles, sinon une filiation, entre les méthodes (présumées) de la secte des assassins et celles d'Al-Qâ`ida.

 

Cette grille de lecture est toutefois remise en cause à plusieurs niveaux :

  1. D'abord, lors du voyage de Marco Polo, Alamût n'est plus qu'une ruine, ce qui affaiblit considérablement la portée de son témoignage : contrairement à ce qu'il prétend, il n'a pas été le témoin oculaire direct des faits qu'il relate. Son témoignage ne mentionne d'ailleurs pas explicitement le haschisch dans le conditionnement des fedayins15, mais « certain breuvaige à boire, par le moyen duquel ilz eſtoient incontinent troublez de leur eſperit, & venoient à dormir profondement ».
     
  2. Ensuite, sur le plan pharmacologique, le haschisch ne paraît pas à première vue la substance tirée du règne végétal la plus indiquée pour conditionner des hommes à l'assassinat politique, ni à faciliter son exécution (timing, coordination psychomotrice indispensable pour l'approche de la cible). Rappelons qu'à cette époque la pharmacopée arabe fait appel de manière courante à l'opium et à des solanacées qui seront qualifiées au xixe siècle d'héroïques (jusquiame, belladone). Le psychiatre libanais Antoine Boustany analyse les rapports des haschischins du xiie siècle et des terroristes des Temps modernes avec la drogue : « À mon avis, accusation et rumeur sont dénuées de fondement et ne sont pas conformes à la réalité chez ce corps d'élite. Les présenter comme de vulgaires drogués ou des malades agissant sous l'effet de substances toxiques relève de l'aberration, d'une méconnaissance des faits et à la limite du dénigrement. [...] Mais dire qu'ils sont mus par une « drogue » sans seringue, divine ou idéologique, rend mieux compte de la réalité et paraît plus satisfaisant pour l'esprit. »
     
  3. L'orientaliste français Henry Corbin penche pour une construction mentale fantasmatique, et parle de « roman noir qui a obscurci longtemps le nom de l’Ismaélisme en absence de textes authentiques. Les responsables sont sans doute, en premier lieu, l’imagination des Croisés et celle de Marco Polo. Mais au xixe siècle encore, un homme de lettres et orientaliste autrichien, von Hammer-Purgstall, projetant… son obsession des « sociétés secrètes », les soupçonna de tous les crimes qu’en Europe les uns attribuèrent aux Francs-Maçons, les autres aux Jésuites; il en résulta cette Geschichte der Assassinen de 1818, qui passa longtemps pour sérieuse. À son tour, Silvestre de Sacy, dans son Exposé de la religion des Druzesde 1838, soutient avec passion son explication étymologique du mot « Assassins » par le Hashshâshîn (ceux qui font usage du hashîsh). […] Le plus étrange est que des Orientalistes se soient faits ainsi, en compagnie d'auteurs avides de sensationnel, les complices, jusqu'à nos jours, de cette rumeur anti-ismaélienne qui aurait pour origine le califat abbasside de Baghdad. Wladimir Ivanow et la Ismaili Society de Karachi (anciennement à Bombay), démentent cette étymologie ». Bernard Lewis, dans son livre traduit et préfacé en 1984 par Maxime Rodinson, fait cette même critique en excluant la possibilité que le mot « assassin » vienne de l'arabe Hashshâshîn mais il ne propose pas de solution alternative.
     
  4. Amin Maalouf donne, dans son roman Samarcande (mettant en scène, entre autres, Hassan ibn al-Sabbah), une étymologie différente. Le mot proviendrait de asâs, qui signifie « base », « fondement » : « D'après les textes qui nous sont parvenus d'Alamout, Hassan aimait appeler ses adeptes Assassiyoun, « ceux qui sont fidèles au Assas », au « Fondement » de la foi (Assas veut également dire « Gardien » en arabe), et c'est ce mot, mal compris des voyageurs étrangers, qui a semblé avoir des relents de haschich. »

 

Le mot Assassins apparaît en Europe au moment de la rencontre entre les Croisés et le monde musulman, au Moyen-Orient.

En 1175, un rapport d'un envoyé de l'empereur Frédéric Barberousse en Égypte et Syrie note : « Sachez, qu'aux confins de Damas, d'Antioche et d'Alep, il existe dans les montagnes une certaine race de Sarrasins qui, dans leur dialecte, s'appellent Heyssessini, et en romain, segnors de montana. Cette race d'hommes vit sans lois ; ils mangent de porc contre les lois des Sarrasins et disposent de toutes les femmes, sans distinction, y compris leurs mère et sœurs. Ils vivent dans les montagnes et sont presque inexpugnables car ils s'abritent dans des châteaux bien fortifiés.[...] Ils ont un maître qui frappe d'une immense terreur tous les princes sarrasins proches ou éloignés, ainsi que les seigneurs chrétiens voisins, car il a coutume de les tuer d'étonnante manière.[...] De leur prime jeunesse jusqu'à l'âge d'homme, on apprend à ces jeunes gens à obéir à tous les ordres et à toutes les paroles du seigneur de leur terre qui leur donnera alors les joies du paradis parce qu'il a pouvoir sur tous les dieux vivants. On leur apprend également qu'il n'y a pas de salut pour eux s'ils résistent à sa volonté. [...] Alors, comme il leur a été appris et sans émettre ni objection ni doute, ils se jettent à ses pieds et répondent avec ferveur qu'ils lui obéiront en toutes choses qu'il donnera. Le prince donne alors à chacun un poignard d'or et les envoie tuer quelque prince de son choix. »

Ce récit se faisait probablement l'écho de ceux des musulmans sunnites opposés à la secte, encore inconnue pour les chrétiens.

 

Quelques années plus tard, c'est l'évêque Guillaume de Tyr qui écrira sur eux : « Le lien de soumission et d'obéissance qui unit ces gens à leur chef est si fort qu'il n'y a pas de tâche si ardue, difficile ou dangereuse que l'un d'entre eux n'accepte d'entreprendre avec le plus grand zèle à peine leur chef l'a-t-il ordonné. S'il existe, par exemple, un prince que ce peuple hait ou dont il se défie, le chef donne un poignard à un ou plusieurs de ses affidés. Et quiconque a reçu l'ordre d'une mission l'exécute sur-le-champ, sans considérer les conséquences de son acte ou la possibilité d'y échapper. Empressé d'accomplir sa tâche, il peine et s'acharne aussi longtemps qu'il faut jusqu'à ce que la chance lui donne l'occasion d'exécuter les ordres de son chef. Nos gens comme les Sarrasins les appellents Assissini ; l'origine de ce nom nous est inconnue. »

 

En 1192, après les meurtres de princes et d'officiers musulmans, tombe sous leurs coups de poignard le premier chrétien, Conrad de Montferrat, roi du royaume latin de Jérusalem. Ce meurtre va marquer les esprits des croisés et faire passer le surnom donné à la secte dans le langage courant.

Il faudra les recherches historiographiques, à partir du XIXe siècle, pour sortir le Vieux de la Montagne et ses partisans des récits moyenâgeux et comprendre l'histoire de cette branche de la religion musulmane.

 

A.3. Soyons lucide ?

Ci-dessous, un peu d’histoire relatée sur Soyons Lucide, concernant ce vieux de la montagne et ses fidèles :

 

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Le Vieux de la Montagne (Chayr al-Jabal [peut se traduire « Vieux de la montagne » mais aussi le « Sage de la Montagne » ou encore le « Chef de la Montagne » selon le sens qu’on donne au mot « chayr »]) est l’appellation commune que les Templiers donnaient à leur ennemi juré, le grand-maître de la secte des Assassins, Hassan Sabbah (Sayyidna Hasan Bin Sabbah) (1034-1124). C’était un homme de grand savoir, grand savant, qui connaissait parfaitement les plantes et leurs vertus curatives, sédatives ou stimulantes. Il cultivait toutes sortes d’herbes et soignait ses fidèles quand ils étaient malades, sachant leur prescrire des potions pour leur rafraîchir le tempérament. Être sensé de raison et de savoir ou fou, aimable ou exécrable, préférant les mots vrais aux mots plaisants, aimant et méprisant les honneurs, ” le paradis et l’enfer sont en toi” ainsi dit le grand savant Omar Khayyam (1047-1122) à son propos.

 

Ses hommes étaient connus sous l’appellation péjorative de Haschischins ou Haschischioun, parce qu’ils auraient consommé beaucoup de haschisch avant de se lancer dans des commandos-suicide. Leur célébrité est telle qu’ils sont à l’origine du mot “assassins”. En réalité, aucune recherche sérieuse n’a permis d’attester le recours à des drogues afin de fanatiser les hommes. Selon les textes provenant d’Alamout, Hassan lui-même aimait appeler ses adeptes “Assassiyoun”, ceux qui sont fidèles au Assas, au ” fondement” de la foi. Le terme pourrait aussi simplement provenir du nom d’Hassan, (Hassanjins, les djins de Hassan)

 

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La secte est issue d’une branche de l’Islam chiite. Ses membres se déclarèrent partisans du neveu de Mahomet, lequel, étant descendant du Prophète par les femmes n’était pas reconnu par l’ensemble des musulmans. Selon les témoignages du voyageur vénitien Marco Polo (1323) et de nombreux historiens persans, les Haschischins vivaient dans la forteresse d’Alamut, à 1800 mètres d’altitude, dans le Mazenderan, au sud de la mer Caspienne, dans l’Iran actuel. Confinés dans leurs montagnes et ne disposant pas des moyens d’entreprendre des guerres conventionnelles, ils imaginèrent d’envoyer des commandos de six hommes (les fidawis) chargés de poignarder des chefs ennemis, le plus souvent tandis qu’ils se livraient à leurs dévotions dans des mosquées.

 

Ceux désignés pour commettre les meurtres étaient anesthésiés avec du haschisch, introduit dans leur nourriture sous forme de pâte mélée à de la confiture de rose. Le Vieux de la Montagne leur parlait longuement et les hommes s’endormaient car le haschisch est une drogue soporifique et non pas excitante. Assoupis, ils étaient transportés dans un jardin secret, au fond de la forteresse d’Alamut. A leur réveil, ils s’y retrouvaient environnés de jeunes esclaves, filles et garçons, empressés à réaliser tous leurs désirs sexuels. Ils étaient arrivés en guenilles. Ils se découvraient en robe de soie verte rehaussée de fils d’or et, tout autour, c’était le Paradis: vaisselle de vermeil, vins suaves à profusion, roses aux délicats parfums, haschisch à volonté. Drogue, sexe, alcool, luxe et volupté. Ils étaient convaincus d’être dans les jardins d’Allah, d’autant plus que ce lieu était une oasis particulièrement rare en une région aride et montagneuse.

 

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Ils étaient ensuite de nouveau anesthésiés à la pâte de haschisch, puis ramenés au point de départ dans leurs anciennes défroques. Le Vieux de la Montagne leur déclarait alors que, grâce à ses pouvoirs, ils avaient eu la chance de goûter furtivement au Paradis d’Allah. A eux d’y retourner définitivement en mourant en guerriers ! Le sourire aux lèvres, les fidawis partaient alors docilement assassiner vizirs et sultans. Arrêtés, ils marchaient au supplice, le visage extasié. II n’y avait que les prêtres haschischins de haut échelon (sixième degré) à connaître le secret des faux jardins d’Allah.

Aucune ville, aucune province, aucune route, ne sont épargnées. Devenu maître de la rue, Hassan impose sa loi, mais ayant une grande connaissance des inimitiés régnant dans les palais, les diwans et les cours, il devient aussi maître dans l’art d’amplifier les haines entre puissants, entre héritiers… Jouant leurs jeux pervers, il leur offre alors ses services selon ses propres desseins, pour faire exécuter, poignarder, assassiner dans l’ombre. Qu’il soit un brave homme croisé au coin d’une rue, un pauvre individu vêtu de guenilles, l’exécuteur va très vite, l’éclair d’une lame, en un seul mouvement, un poignard perce le corps. Puis il se laisse prendre, torturer, égorger ou jeter dans un feu… là est la grande puissance de l’Ordre. D’innombrables messagers de la mort, Assassins d’Alamout connaîtront un tel sort, ne cherchant jamais à fuir. Assassinats politiques de dirigeants chrétiens ou perses, musulmans shiites ou sunnites…

 

Prêt et formé à répondre à la torture, l’Assassin récitait alors une suite de noms appris par coeur, dénoncés comme faisant partie de la confrérie, mais ciblés en fait par Hassan parmi des ennemis de la Secte. Aussitôt on recherchait les soi-disant complices. De cette façon, les juges du pouvoir local exécutaient les volontés de Hassan sans même le savoir.

La secte s’occupa d’abord de ses propres intérêts en promouvant le message d’Hasan i-Sabbah. Puis les Vieux de la Montagne constatèrent que leurs sbires fanatisés pouvaient rapporter gros. Ils louèrent leurs services au plus offrant. Les assassins se précipitaient pour se porter volontaires quand leur chef demandait: “Lequel d’entre vous me débarrassera de tel ou tel ?”Ainsi périt, entre autres, la poêtesse Açma, fille de Marwan. qui avait osé médire de ses alliés médinois, lesquels firent aussitôt appel aux bras mercenaires des haschischins.

 

La forteresse d’Alamut fut conquise en 1253 par le grand khan mongol Hulagu, général du grand khan chinois Mongkha. Les assassins eurent beau réclamer l’appui des sultans qu’ils avaient aidés. ceux-ci se gardèrent bien d’intervenir, trop contents de se débarrasser de ces dangereux trublions. Les haschischins massacrés purent vérifier qu’ils n’avaient connu qu’un ersatz de Paradis. Un monde sacré artificiel, fabriqué par les hommes pour les illusionner.

Quand Djélaleddin envoya un ambassadeur à Hassan pour qu’il eût à lui rendre hommage, celui-ci dit à un de ses fidèles : “Tue-toi” ; à un autre “Jette-toi par la fenêtre”, et ils obéirent sans réplique. Ils sont soixante-dix mille, ajouta-t-il, également prêts à obéir à mon premier signe.

 

Henri de Champagne, passant sur le territoire des Ismaélites alla visiter leur souverain, qui l’accueillit avec honneur. Sur chacune des tours dont le château était couronné se tenaient deux blancs en sentinelle ; le Sire fit signe à deux d’entre eux, et ils tombèrent brisés au pied du comte épouvanté, à qui le Vieux de la Montagne disait froidement : “Pour peu que vous le désiriez, à un autre signe de moi vous allez les voir tous à terre”. Lorsque son hôte prit congé de lui, il lui entendit prononcer ces mots : “Si vous avez quelque ennemi, faites le moi savoir, et il ne vous tourmentera plus”.

Finissons par les mots d’Hassan :

 

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Il ne suffit pas de tuer nos ennemis, nous ne sommes pas des meurtriers mais des exécuteurs, nous devons agir en public, pour l’exemple. Nous tuons un homme, nous en terrorisons cent mille. Cependant, il ne suffit pas d’exécuter et de terroriser, il faut aussi savoir mourir, car si en tuant nous décourageons nos ennemis d’entreprendre quoi que ce soit contre nous, en mourant de la façon la plus courageuse, nous forçons l’admiration de la foule. Et de cette foule, des hommes sortiront pour se joindre à nous. Mourir, est plus important que tuer. Nous tuons pour nous défendre, nous mourrons pour convertir ; pour conquérir. Conquérir est un but, se défendre n’est qu’un moyen. Vous n’êtes pas faits pour ce monde, mais pour l’autre.

Hassan Sabbah 

 

 


Appendice B : Le club des Haschischins

 

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Hôtel de Lauzun ayant abrité le club et qui sert aujourd'hui à la ville de Paris pour des réceptions.

 

Le club des Hashischins est un groupement voué particulièrement à l’étude et à l’expérience de drogues (principalement le haschisch) fondé par le docteur Jacques-Joseph Moreau, créé en 1844 et actif jusqu’en 1849. Les séances mensuelles ont lieu chez le peintre Fernand Boissard à l'Hôtel de Lauzun (appelé aussi Hôtel de Pimodan) sur l’île Saint-Louis, une petite île située sur la Seine dans Paris, dans un appartement loué au peintre par le baron Jérôme Pichon. De nombreux scientifiques, hommes de lettres et artistes français de cette époque ont fait des passages dans le club des Hashischins lors de ces séances.

 

B.1. Contexte de la création du club

 

Plusieurs drogues comme le haschich et l’opium sont de plus en plus connues en Europe à partir du début du xixe siècle. À cette époque, la consommation de ces drogues devient particulièrement répandue dans les milieux scientifiques et littéraires à des fins scientifiques ou récréatives : il s'agit plus d'une curiosité esthétique ou pseudo-scientifique que d'un fumoir. En 1821 paraissent Les Confessions d’un mangeur d’opium anglais de Thomas de Quincey, traduites en français en 1828 par un auteur anonyme ADM, qui s’avère être Alfred de Musset. Plusieurs scientifiques s’intéressent alors à ce produit qu’est l’opium faisant son apparition en Europe. Pendant cette période, le docteur Moreau, spécialisé dans l’aliénation, étudie les effets du haschich en consommant régulièrement. Moreau étudie ce produit au gré de ses voyages entre 1837 et 1840 en Égypte, en Syrie, et en Asie Mineure. De retour en France, il continue à l’expérimenter sur lui-même et publie, en 1845, un ouvrage intitulé Du haschich et de l’aliénation mentale dans lequel il établit une équivalence entre rêve, délire et hallucination haschichines. Cet ouvrage est le premier réalisé par un scientifique au sujet d’une drogue.

Le docteur Moreau initie Théophile Gautier pendant cette même période à la consommation du haschich. Gautier raconte d’ailleurs ses premières expériences dans un feuilleton daté de juillet 1843 intitulé « Le Haschich », il y décrit les effets de cette drogue en trois phases : l’hyperesthésie des sensations, en particulier auditives, la dilatation du temps, et enfin l’apparition de figures grotesques1.

 

B.2. Historique

 

Le docteur Moreau crée le club des Hashischins en 1844. Théophile Gautier est un des premiers poètes à participer aux séances d’expérience des drogues, il écrira plus tard un ouvrage, se nommant Le Club des hachichins, consacré à cette organisation. Il est précédé de la publication d’un article sur ce sujet en février 1846 dans la Revue des Deux Mondes expliquant le contenu et le contexte des expériences menées au club des haschichins.

 

L’introduction du livre décrit la première visite de Théophile Gautier au club:

« Un soir de décembre, obéissant à une convocation mystérieuse, rédigée en termes énigmatiques compris des affiliés, inintelligibles pour d’autres, j’arrivai dans un quartier lointain, espèce d’oasis de solitude au milieu de Paris, que le fleuve, en l’entourant de ses deux bras, semble défendre contre les empiètements de la civilisation, car c’était dans une vieille maison de L’îLe Saint-Louis, l’hôtel Pimodan, bâti par Lauzun, que le club bizarre dont je faisais partie depuis peu tenait ses séances mensuelles, où j’allais assister pour la première fois. »

 

Théophile Gautier invite à ces séances des amis et fait peu à peu étendre le cercle du club des Hashischins. C’est notamment en ce lieu qu’il rencontre pour la première fois Charles Baudelaire, ce dernier étant venu un jour en simple observateur. Débute alors une grande amitié entre ces deux poètes, Théophile Gautier écrira d’ailleurs la préface des Fleurs du mal, le chef d’œuvre de Charles Baudelaire. Cependant Théophile Gautier ne participera pas souvent aux séances, disant que « Après une dizaine d’expériences, nous renonçâmes pour toujours à cette drogue enivrante, non qu’elle nous eût fait mal physiquement, mais le vrai littérateur n’a besoin que de ses rêves naturels, et il n’aime pas que sa pensée subisse l’influence d’un agent quelconque. »

 

Baudelaire revient de temps en temps dans l’hôtel Pimodan, il racontera plus tard certaines de ses expériences dans cet hôtel dans Les paradis artificiels, une étude sur les effets du haschich et de l’opium3. Il habite même pendant un certain temps de 1843 à 1845 l’appartement situé au-dessus de celui du club des Hashischins (le louant pour 350 francs, il y trouvera l'inspiration du poème Invitation au voyage4), cependant, tout comme Théophile Gautier, Charles Baudelaire ne restera pas très longtemps dans le club, il est lui aussi assez peu satisfait par les effets du « dawamesk ». Il décrira d’ailleurs d’une manière particulièrement précise les mauvais effets de cette drogue dans Les paradis artificiels.

D’autres personnalités viennent de temps à autres dans le club comme les peintres Honoré Daumier et Eugène Delacroix ou les écrivains Gérard de Nerval, Gustave Flaubert, Alexandre Dumas etHonoré de Balzac.

 

B.3. Les séances Fantasias

 

Les séances de consommations de dawamesk étaient surnommées par les membres du club les fantasias. Sous le contrôle bienveillant de l'aliéniste le docteur Moreau pour éviter toute tentative de défenestration, les membres organisaient régulièrement des expériences nouvelles afin d’étudier les effets du haschich sur le corps et l’esprit.

 

B.4. Le dawamesk

 

La drogue consommée par les membres du club est le plus souvent du dawamesk, une sorte de pâte ou confiture verdâtre faite à partir de résine de marijuana mélangée à un corps gras, à du miel et à des pistaches. L’ingestion du haschich était à l’époque très courante. Il faut préciser que les effets sont beaucoup plus intenses lorsque le haschich est consommé par ingestion que lorsqu’il est fumé.

 

B.5. Membres

 

  • Membres fondateurs
    • Théophile Gautier
    • Jacques-Joseph Moreau

     

    [*]Membres principaux

    • Eugène Delacroix
    • Charles Baudelaire
    • Gérard de Nerval
    • Alexandre Dumas

 


Sources :

 

https://fr.wikipedia.org/wiki/Chanvre - - Cet article est sous CC-BY-SA

https://www.asud.org/produits/article-113-cannabis-histoire.html

https://krapomystique.unblog.fr/2009/03/28/cannabis-histoire-de-la-prohibition-aux-usa-documentaire-planete-nova/

https://forum.doctissimo.fr/sante/cannabis/vraies-raisons-prohibition-sujet_145949_1.htm

https://www.lamainverte.org/index.php?section=histoire&submenu=prohib

https://fr.wikipedia.org/wiki/Histoire_du_chanvre - - Cet article est sous CC-BY-SA

 

: historique de la prohibition par Jack Herer.

https://cannabis.free.fr/analyses/origines_prohibition.html

https://www.chanvre-info.ch/info/fr/Histoire-du-chanvre-et-de-la.html

 

: La vraie histoire du cannabis 1.

 

: La vraie histoire du cannabis 2.

https://www.knabis.com/histoire-cannabis.php

https://www.cannaweed.com/topic/154388-des-centaines-d%E2%80%99economistes-estiment-la-prohibition-du-cannabis-extremement-couteuse-sa-legalisation-rapporterait-des-milliards/

https://psydoc-fr.broca.inserm.fr/toxicomanies/toxicomanie/produits/cannabis/historique.htm

https://www.mauvaise-herbe.fr/histoire/harry-anslinger/

https://www.soyons-lucides.fr/la-secte-des-assassins-et-le-vieux-de-la-montagne/

https://www.cannaweed.com/actualites/_/news/un-rapport-pointe-lechec-de-la-guerre-cont-r2673

Histoire au Maroc:

https://laniel.free.fr/INDEXES/GraphicsIndex/KIF_IN_MOROCCO/Histoire_CannabisMaroc.htm

Histoire au Canada:

https://www.evolutionquebec.com/site/cannabi/histcana.html

 

Auteur : dawi

Correcteur :

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