Ne pas résumer le jeune à ses joints

Par Invité ,

 

Procureur du Roi à Nivelles, section Jeunesse, Eric Janssens commence toujours par rappeler la loi aux jeunes qui arrivent dans son bureau.

«Le cannabis est totalement interdit pour les mineurs.»

Mais il ne faut ni diaboliser ni dramatiser le problème.

 

Source : La Libre Belgique

ENTRETIEN

 

Comment la justice réagit-elle face aux mineurs qui consomment du cannabis? Substitut à la section Jeunesse du parquet de Nivelles, Eric Janssens reçoit régulièrement des jeunes fumeurs de joints dans son bureau. «Comme procureur du Roi, je dois appliquer strictement la loi. Dans le contexte légal actuel, les magistrats ont un repère clair: le cannabis est une substance totalement interdite pour les mineurs d'âge. En cas de transgression, je dois agir.»

 

Comment ?

 

Il faut d'abord redire la règle au jeune. On a tout un travail à faire par rapport à l'interdit légal. On doit lui rappeler qu'on est dans une société démocratique qui fonctionne sur des lois qui ne se négocient pas. A un moment donné, on a mis un interdit sur le cannabis. C'est comme ça. Il s'impose à tout le monde. Mais il est aussi très clair qu'on ne va pas aborder le jeune uniquement par son aspect de consommation. C'est en tenant compte de sa personnalité et de son milieu que le magistrat peut prendre des mesures éducatives adéquates. Mais on va lui dire très clairement: quand tu franchis ce feu rouge, tu te mets hors-la-loi et tu vas devoir rendre des comptes.

 

Un ado sur deux a déjà fumé un joint. Dans leur esprit, la loi est-elle vraiment claire ?

 

Non, bien sûr! On entretient une énorme confusion. Il est clair que les messages véhiculés au sein de l'opinion publique sont pour le moins embrouillés. Les médias et les politiques ont une énorme responsabilité à ce niveau-là.

 

Le «feu rouge» semble décalé par rapport à la réalité. Faut-il le maintenir ?

 

C'est au législateur à le dire. Moi, comme magistrat, j'applique la loi. Mais il ne faut pas se leurrer: dans la mentalité populaire, c'est permis. Pour un jeune, il faut beaucoup de courage et de personnalité pour refuser le premier joint, comme le premier verre ou la première cigarette. Cela fait partie des comportements adolescents tout à fait normaux. Est-ce parce que les jeunes flirtent avec cette limite qu'il faut la déplacer? Je ne pense pas, parce qu'ils risquent de faire leurs griffes sur autre chose, des réalités beaucoup plus dures.

 

Le cannabis se trouve partout, à portée de main...

 

C'est une réalité qu'on ne peut pas nier, mais il ne faut ni la diaboliser ni la banaliser. Il y a plusieurs façons de gérer le problème. La grosse majorité des cas peuvent être traités en partenariat avec les familles: l'approche des magistrats de la jeunesse doit d'abord être le soutien parental. Le premier réflexe, au parquet de Nivelles, c'est d'envoyer un courrier au garçon ou à la fille et à ses parents et de les rendre acteurs de leur histoire. On leur rappelle l'interdit, on leur demande d'entreprendre des démarches pour arrêter. De notre côté, on procède à des contrôles urinaires ou sanguins. L'optique, c'est de replacer cette consommation dans un contexte plus général d'éducation et de chercher le bon levier d'intervention.

 

Il y a chaque fois une réaction ?

 

Oui. Une activité liée à un stupéfiant (détention, consommation, vente) va nous mobiliser. On va demander des comptes et ne pas lâcher le morceau! Ici, à la section Jeunesse du parquet de Nivelles, on essaie d'avoir un droit de suite. Sans aucune volonté répressive ou d'intrusion dans la vie privée. Mais on veut des réponses. Plus de 90pc des dossiers sont traités uniquement à notre niveau et beaucoup sont classés, mais après un suivi où on a mis chacun devant ses responsabilités: le jeune lui-même, les parents, l'école, le quartier... On remobilise tous ces acteurs. On se tourne plus rarement vers des réponses plus judiciaires.

 

Quand?

 

Prendre soi-même du cannabis est une démarche. En fourguer à d'autres, c'est beaucoup plus grave. Pour la réaction judiciaire, c'est important de savoir quand le jeune passe ce seuil. En soi, fumer un joint est quasi anodin. Mais le cannabis peut prendre toute la place. Le critère d'une action plus décidée, c'est s'il devient le centre de gravité dans la vie du jeune. C'est d'ailleurs vrai pour toutes les formes d'assuétudes: les jeux vidéo, le jeu, Internet, un gourou...

 

Quel message adressez-vous aux politiques ?

 

Le même qu'aux médias: avant d'ouvrir le débat, il faut repréciser le cadre actuel d'interdiction totale pour les mineurs; qu'il y a quelques aménagements pour les majeurs mais que ça reste un stupéfiant. Comme ça, c'est clair. Ensuite on peut discuter... Mais lancer de manière tonitruante la fausse impression que les barrières tombent du jour au lendemain, c'est un mauvais message. Il faut expliquer que c'est long et compliqué de changer une loi. Il ne faut pas rêver: la Belgique fera difficilement cavalier seul dans des problématiques qui sont mondiales. Mais je n'ai aucun tabou. Pour moi, la problématique du cannabis devrait être englobée dans une politique beaucoup plus générale de la gestion des risques liés aux produits toxiques qui doit regrouper le tabac, l'alcool, le cannabis.

 

Et prévoir un sort particulier pour les produits qui ont une dangerosité extrême, comme l'Ecstasy. Les enjeux sont encore plus dramatiques parce qu'on ne sait pas ce qu'il y a dans ces drogues de synthèse. Et là je ne vois pas de message construit au niveau politique.

 


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voila enfin quelqu'un qui a tout compris ;-)

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