Cannabis : une question de culture(s)

Par Invité ,

La carte de l’Europe élargie est recouverte par une plante verte à cinq feuilles... Le cannabis est la drogue la plus consommée par les Européens. Deux tiers des garçons français de 19 ans l’ont expérimentée (un sur trois en consomme régulièrement), se plaçant en tête des fumeurs de joints européens. La loi française est pourtant l’une des plus répressives d’Europe, tandis que certains pays ont récemment modifié la législation sur cette substance. Peut-il y avoir une réponse unique au phénomène du cannabis ?

 

Le point avec Danilo Ballotta, chef de projet de l’information sur les politiques de drogues à l’Observatoire européen des drogues et des toxicomanies (Lisbonne).

 

Source : CIRC ParisEntretien avec Danilo Ballotta

Un peu d’histoire sur l’observatoire

Mémo sur le cannabis : consommation et répression

 

NVB : Les pays européens n’abordent pas le cannabis de la même manière. En quoi les législations diffèrent ?

 

DB : Il n’est pas évident de faire des distinctions, ou des comparaisons sur les législations, parce qu’elles concernent souvent toutes les drogues en général, et le cannabis en fait partie. Ce qu’on peut dire, c’est qu’ il y a des pays qui considèrent le simple usage du cannabis (ainsi que d’autres stupéfiants) comme une infraction pénale - la France, la Finlande, la Grèce, la Suède -, et d’autres comme une infraction mais seulement sanctionnée par des amendes. C’est le cas du Portugal, de la Belgique, du Royaume-Uni et du Luxembourg qui ont légiféré spécifiquement sur le cannabis ces derniers temps. Globalement, les Quinze, qui associent de plus en plus les services sociaux et médicaux dans leurs systèmes de justice pénale, tendent plutôt vers le principe que soigner est mieux que punir, quand il s’agit des toxicomanes ou des simples usagers de stupéfiants.

 

Au contraire, comme le rappelle notre dernier Rapport annuel sur le phénomène des drogues, dans les dix nouveaux pays, les législations ont été modifiées vers des mesures à caractère pénal pour la possession et/ou l’usage. De toute façon, l’impact des lois, qu’elles soit répressives ou non, n’a pas été vraiment étudié de sorte qu’on puisse affirmer scientifiquement leur efficacité. La recherche dans ce domaine devrait être encouragée.

 

Une harmonisation des lois au niveau européen est-elle envisageable un jour ?

 

Déjà on ne sait pas si une éventuelle harmonisation aurait un impact bénéfique dans la lutte contre les drogues. Le regard sur l’usage n’est simplement technique. Il y a la composante éthique et culturelle fondamentale et les mœurs, qui échappent au microscope, à l’analyse biologique et qui sont propres aux différentes cultures et pays.

 

Les consommations varient aussi en fonction du type de vie, de développement social. Au Royaume-Uni et dans les pays scandinaves, plutôt dans les pays riches, on a une grande consommation d’amphétamines et de drogues de synthèse dites récréatives, ainsi que d’alcool. En Italie, en Espagne, en Grèce et au Portugal, des pays disons moins aisés, c’est encore la consommation ‘traditionnelle’ d’héroïne par injections qui représente un grand problème. En Europe centrale (mais aussi dans les autres pays), on observe une consommation récréative du cannabis. Clairement, ces classifications sont génériques et approximatives, mais donnent une idée. Il faut voir que chaque pays a sa particularité.

 

Les Pays-Bas et leurs coffee shops font rager leurs voisins la France, la Belgique et l’Allemagne. Parviendront-ils à se mettre d’accord ?

 

Les Pays-Bas ont une politique de séparation du marché entre les drogues avec des substances avec risques inacceptables (en langage courant drogues dures) et les autres drogues (couramment mais incorrectement appelées drogues douces). Cette approche vient d’une conviction politique, mais aussi des études réalisées dans les années 70 (Comités Hulsman et Baan), qui conseillaient d’avoir un regard différencié par rapport au cannabis. Les Pays-Bas ont mis en place une politique tenant compte des conclusions de ces recherches. Dans beaucoup d’autres pays, des études aux résultats comparables, notamment des enquêtes parlementaires, au Royaume-Uni (1968) et même au Canada (1972), et aux Etats-Unis (1944 et 1972), n’ont pas eu le même écho qu’aux Pays-Bas.

 

Cette politique a tout de même provoqué de vifs débats, Schengen a été longuement bloqué par la France en raison du problème du ‘tourisme de la drogue’. En dépit de la pression, les Pays-Bas ne sont pas revenus sur leur législation, mais ils ont apporté des modifications, ils ont fermé des coffee shops et sorti des directives les concernant. Ils pensent à interdire l’accès aux non-résidents néerlandais. La majorité des clients sont étrangers et ont un comportement que les Néerlandais n’auraient pas eux-mêmes. Mais il faut considérer que les pays de l’Union sont souverains dans ce domaine. On ne peut donc pas imposer à un pays une loi venant d’un autre.

 

Comment les politiques des drogues sont-elle perçues en dehors des frontières européennes ?

 

Passer des infractions pénales aux amendes administratives, ça fait partie de la flexibilité des conventions internationales. L’Espagne, l’Italie, le Portugal et la Belgique ne violent pas les traités. Mais les organismes des Nations Unies se sont parfois exprimés, notamment dans le rapport de l’Organisation internationale du contrôle des stupéfiants (OICS) contre les messages que ce type de changement de loi font passer. A ce sujet, il y a eu des échanges très forts avec le Royaume-Uni quand il a proposé de reclasser le cannabis de la classe B (drogues type amphétamines et barbituriques) pour le mettre dans la classe C (généralement de faibles amphétamines, des stéroïdes et certains antidépresseurs), n’obligeant plus les policiers à arrêter pour simple détention pour usage personnel. Certains pays ont aussi exprimé leur préoccupation envers ce type d’approche, parce que, selon eux, ça va contre l’esprit et le but général des conventions - la première date de 1961 -, c’est-à-dire la prohibition totale de tout usage de stupéfiant qui ne soit pas à des fins médicales ou scientifiques.

 

L’Observatoire européen des drogues et des toxicomanies

 

Cet organisme est né en 1993, sur une proposition de François Mitterrand quatre ans plus tôt. C’est qu’il a fallu attendre le Traité de Maastricht pour que les drogues deviennent une compétence de l’Union européenne. L’Observatoire est l’une des douze agences de l’Union, destinées à traiter de domaines spécifiques (la drogue, mais aussi l’environnement ou la sécurité alimentaire) de manière délocalisée dans chaque Etat membre. Ainsi les Quinze possède un centre chargé de récolter des données nationales, sur le phénomène des drogues en l’occurrence. Ces relais envoient leurs informations à l’Observatoire européen des drogues et de la toxicomanie, à Lisbonne. Il les regroupe et les analyse pour aider les politiques notamment à mieux cerner ces phénomènes. Ses études ont par exemple guidé l’Union européenne à adopter son plan anti-drogue (2000-2004).

 

Mémo

Le cannabis est la drogue la plus consommée dans les pays de l’Union européenne. Selon des études coordonnées par l’Observatoire européen des drogues et de la toxicomanie, les plus gros fumeurs de joints sont espagnols, français et britanniques. Le Portugal, la Finlande et la Suède sont les moins concernés.

Les jeunes de 15-24 ans sont les consommateurs de cannabis les plus nombreux. L’Observatoire européen remarque que la consommation est plus expérimentale que durable.

Près de trois quarts des saisies mondiales de résine de cannabis sont réalisées sur le territoire de l’Union européenne. La France arrive deuxième avec 62 tonnes saisies en 2001, derrière l’Espagne et ses 518 tonnes.

 

Par Nathalie Van Batten


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