La réponse des médecins à Nicolas Sarkozy

Par Invité ,

Les spécialistes de la toxicomanie jugent utile de rappeler la nocivité d'un usage intensif du cannabis, mais estiment que la principale réponse à cette question doit être sanitaire plutôt que répressive.

 

« En France, depuis trente ans, tous les débats sur le cannabis ont toujours été faussés par avance parce qu'il y a toujours deux camps qui s'affrontent et n'arrivent pas à se parler. D'un côté, il y a un discours de dramatisation extrême, selon lequel toute consommation est quasiment la fin du monde. Et, en face, il y a souvent un angélisme tout aussi excessif », explique le docteur Marc Valleur, médecin-chef du centre de Marmottan à Paris, spécialisé dans la prise en charge de la toxicomanie. Un avis largement partagé par le docteur Xavier Laqueille, psychiatre et responsable de l'unité de toxicomanie de l'hôpital Sainte-Anne à Paris. D« Les débats sur le cannabis sont toujours piégés par avance. Dans ce pays, soit vous êtes pour, soit vous êtes contre, explique-t-il. Ce qui rend difficile un travail d'information qui soit le plus objectif possible. »

 

Ces deux médecins avouent donc ne pas être surpris par les réactions très passionnelles suscitées par les récentes déclarations du ministre de l'intérieur, Nicolas Sarkozy, sur la nécessité de « reconsidérer » la loi de 1970 sur les stupéfiants. Votée à l'époque pour faire face à l'augmentation de l'usage d'héroäne, cette loi avait instauré une obligation de soins (injonction thérapeutique) pour les consommateurs. Elle stipule aussi qu'un consommateur de stupéfiants encourt une peine d'un an de prison et de 3 750 Euro d'amende. Les poursuites engagées contre les simples usagers de drogues sont laissées à l'appréciation des procureurs.

 

Eviter une « catastrophe sanitaire » en France

 

En 1999, 91,6 % des usagers interpellés en France (80 037 personnes) n'ont pas été jugés par un tribunal. Parmi les 8,4 % des personnes poursuivies, 577 ont été condamnées à de la prison ferme pour le seul usage (peine moyenne : 2,1 mois). En juin 1999, une circulaire signée par Elisabeth Guigou a atténué le volet répressif de la loi de 1970. Dans cette circulaire, la ministre de la justice du gouvernement Jospin demandait en effet aux parquets d'éviter l'incarcération et de favoriser les alternatives aux poursuites avec une orientation sanitaire et sociale, quelle que soit la substance consommée.

 

Devant la commission du Sénat, Nicolas Sarkozy s'est prononcé pour une modification de la loi de 1970. « On doit gommer la disposition la plus critiquable : une peine d'emprisonnement à l'encontre des simples usagers », a-t-il expliqué, en préconisant la « création d'une échelle de sanctions adaptées ». Pour les consommateurs de cannabis, le ministre de l'intérieur a cité trois nouvelles sanctions possibles : la confiscation du scooter, l'obligation d'accomplir un travail d'intérêt général ou le recul de l'âge pour passer le permis de conduire. « Accepter que la moitié des jeunes de 16 ans se droguent régulièrement, c'est préparer une catastrophe sanitaire pour notre pays », a ajouté jeudi, devant des élus locaux, le ministre de l'intérieur.

 

Pour certains médecins, l'intervention de Nicolas Sarkozy a un mérite, celui de rappeler que le cannabis n'est pas un produit totalement inoffensif. « Fumer du cannabis, ce n'est pas quand même pas comme boire du jus d'orange », affirme le docteur Valleur. « Il faut rappeler qu'il s'agit d'une substance pyscho-active qui entraîne une certaine ivresse ainsi que des complications : des troubles anxieux, des problèmes de mémoire, des risques de décompensation, des perturbations cognitives et un temps de réaction allongée pour la conduite automobile », ajoute le docteur Laqueille.

 

Cependant, pour ces médecins, le véritable problème aujourd'hui, en matière de cannabis, concerne son usage très intensif chez certains jeunes. « Lorsqu'on dit que 50 % des jeunes en France fument du cannabis, ce n'est pas vrai. Ce pourcentage concerne des jeunes qui, à 19 ans, ont déjà expérimenté au moins une fois cette drogue. Le plus problématique, à mes yeux, concerne les 16 % de jeunes qui consomment du cannabis au moins dix fois dans le mois », explique le docteur Laqueille. « L'usage problématique du cannabis concerne des jeunes qui sont dans une extraordinaire détresse psychique et qui, souvent, rencontrent le cannabis avant le psychiatre. Pour ces jeunes, la réponse doit d'abord être sanitaire. Ce n'est pas en leur confisquant leur moto ou en leur faisant un travail d'intérêt général qu'on va les aider en quoi que ce soit », estime quant à elle le docteur Béatrice Stambul, psychiatre et spécialiste des questions de toxicomanie à Médecins du monde.

 

Source : La Croix - mardi 29 avril 2003 - Pierre BIENVAULT

 

 


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