Rencontres Cannabis : Epilogue

Par Invité ,

 

Le cannabis... Tout le monde en parle. Depuis des années. Mais, d’articles en reportages contradictoires, d’informations superficielles en faits divers sensationnalistes, où en est-on aujourd’hui ? Quel est l’état des lieux ? Comment les consommations de cannabis s’inscrivent-elles dans nos réalités ? Quels travailleurs sont-ils directement touchés dans leurs pratiques par ces consommations ? Des mesures sont-elles prises, ou s’imposent-elles dans ces différentes sphères ? Quelles pistes communes pouvons-nous dessiner pour une gestion plus cohérente de ces phénomènes ?

 

Source : Chanvre-Info

Un phénomène jeune

La consommation de cannabis s’est généralisée en moins de deux décennies pour plafonner à des seuils élevés. Pour des raisons diverses (confrontation aux limites, effets de groupes et de sous-culture, recherche de plaisir, curiosité, mal-être, ...) ce phénomène concerne surtout les plus jeunes d’entre nous... Et par extension les adultes responsables de leur éducation.

 

Un premier constat : le régime légal mis en place n’a pas empêché l’expansion et la banalisation à outrance de la consommation de cannabis chez les jeunes et moins jeunes. Il a par contre induit un tabou qui complique la gestion du phénomène et a entravé l’éclosion d’une pensée alternative. Parents et professeurs se sont longtemps retranchés derrière l’interdit légal, ne percevant pas l’évolution en cours, ne se donnant pas les outils pour la contrer ou l’accompagner. La majorité d’entre eux se retrouve désinformée, démunie face aux questions et aux fausses certitudes assénées par des adolescents ayant intégré le cannabis dans leur réalité.

 

Aujourd’hui l’usage de cannabis prend souvent valeur initiatique en marquant symboliquement l’entrée dans l’âge adulte. Un rite de passage hors de tout cadre : premières expériences précoces, entre pairs, clandestines et non normées culturellement. Ce fossé générationnel doit être comblé. Beaucoup ont parlé d’un manque de crédibilité et de cohérence dans le discours des adultes et de la meilleure connaissance générale du produit des plus jeunes. Les discours autoritaires ou inadaptés sont perçus, au mieux, comme non crédibles, au pire, comme une offre d’aide insultante. Ceci pointe l’échec d’une génération à anticiper, percevoir et trouver des réponses adaptées aux changements sociaux, culturels, etc., à l’origine de la situation actuelle.

 

Stigmatisation vs Banalisation

Les usagers subissent trop souvent une stigmatisation, doivent endosser l’image inquiétante et stéréotypée du "drogué". Ces étiquettes collées à la peau d’individus, en décalage avec leur propre expérience, peuvent avoir des conséquences désastreuses si la personne soumise à ces "violences invisibles" les intériorise. A l’inverse, l’usage du cannabis est souvent banalisé par les plus jeunes pour qui fumer un joint est totalement anodin et intégré dans les mœurs. Ces positions extrêmes entravent l’émergence de repères clairs qui permettraient une régulation et une gestion plus harmonieuse des consommations. Cette polarisation est avant tout néfaste pour la santé des nombreux fumeurs de joints. L’ouverture d’un dialogue dépassionné, basé sur des informations les plus objectives possible, s’avère indispensable.

 

Elargir le débat

Un préalable consiste à remettre en piste les personnes capables d’approcher et de sensibiliser les jeunes, les plus concernés : les parents et les professeurs. Aujourd’hui dépassés, ces acteurs-clé, au "front du quotidien" doivent retrouver leur rôle de premiers baliseurs. Et (re)-construire un dialogue tenant compte des facteurs déterminants les consommations de produits psychoactifs en général : parcours de vie, facteurs contextuels, personnalité, importance de bien se valoriser, de motiver ses choix de vie, de "multiplier ses dépendances", ses centres d’intérêts... La prévention doit être entendue comme un instrument d’émancipation visant la construction de la personne. Pour répondre à cet objectif d’autonomisation, ces programmes éviteront d’asséner un savoir ex cathedra.

 

Pour y parvenir, il faudra entre-temps déconstruire une série de craintes infondées : non, le cannabis n’est pas le chemin le plus court vers la dépendance aux drogues "dures", non, il n’induit pas mécaniquement la perte de toute motivation et ne mène pas tout droit à la délinquance ou au décrochage scolaire... A l’autre extrémité il faudra rappeler que le cannabis reste une drogue, que sa consommation régulière est loin d’être anodine, entraîne des risques pour la santé et que les effets d’une consommation à long terme ou croisées à d’autres produits restent largement inconnus.

 

Une prévention émancipatrice

Beaucoup d’intervenants ont souligné la nécessité de renforcer les programmes de prévention et de diffuser largement une information claire, indépendamment de la législation en vigueur, ou précisément pour réunir les conditions préalables à son changement. Les drogues constituent un sujet de débat public permanent. Chacun s’accorde à considérer ce "dossier" comme prioritaire mais simultanément les opérateurs en prévention et en promotion de la santé manquent cruellement de moyens pour répondre aux nombreuses sollicitations. La responsabilité du politique est de fournir les moyens de ses ambitions déclarées, et de faciliter la mise en place de campagnes globales d’information, répétées, sur le long terme. Les 4% actuels des dépenses publiques en matière de drogues dévolus aux politiques de prévention se situent bien en deçà des besoins réels et des priorités proclamées. La prévention doit être ciblée en fonction des publics et systématisée dans les lieux sensibles identifiés. Les partenariats à long terme entre secteur spécialisé et monde scolaire devraient couvrir l’ensemble du monde scolaire en s’adaptant aux particularités de chaque école. Il serait opportun d’étendre ces partenariats à d’autres secteurs de la santé et du social qui ont un rôle important à jouer dans cette diffusion de l’information et cette sensibilisation.

 

Les généralistes pourraient par exemple inclure systématiquement l’anamnèse des consommations de produits dans leurs consultations et intégrer ce savoir dans chaque dossier médical. N’est-il pas intéressant de savoir si un patient consomme du cannabis, ou des amphétamines ? N’est-il pas plus que temps d’inclure dans certaines formations supérieures et universitaires (médecine générale, pharmacien, psychologue) des cours sur les assuétudes et leurs multiples aspects ? Les pharmaciens et les généralistes, riches de cette formation, pourraient notamment s’impliquer dans les campagnes de prévention et de conseils, et de par leur proximité servir de point local d’information et d’orientation. Cette bonne connaissance généralisée permettrait, à l’instar de l’alcool ou du tabac, l’évaluation et la réduction des risques liés aux différents modes de consommation, et in fine la maîtrise de ces consommations et/ou l’abstinence.

 

Effets sanitaires et sociaux des consommations

Les effets de la consommation de cannabis sont divisibles en deux catégories. Les effets sur la santé physique et psychique en fonction des modes de consommations et des utilisateurs d’une part, les effets sur l’insertion sociale et le vécu subjectif des consommateurs en fonction de l’imagerie sociale et de la législation de l’autre.

 

Concernant les effets sur la santé physique et mentale, la distinction entre fumeurs occasionnels, réguliers et lourds s’impose. Un usage occasionnel chez un individu mature, sain d’esprit et de corps, n’entraîne pas de handicap de santé visible. Un usage intensif à long terme chez un jeune adolescent en difficulté prépsychotique sera délétère.

 

Entre ces deux extrêmes, une large palette de situations possibles, et quelques certitudes en vrac. L’hypothèse de l’escalade du cannabis vers les drogues plus dures ne se confirme nullement, pas plus que celle du syndrome amotivationnel. L’association entre cannabis et psychose existe : " une fois qu’un état psychotique est établi, il s’aggrave singulièrement du fait de la consommation de cannabis". Des crises d’angoisse peuvent survenir après consommation. Le cannabis bloque certaines fonctions cognitives. L’inhalation de la fumée, souvent ajoutée à celle du tabac, augmente les risques de complications pulmonaires et cardio-vasculaires (bronchites chroniques, cancers des voies respiratoires,...). Fumer est incompatible avec différentes activités : mémorisation, conduite de véhicule, allaitement... Ces aspects pris en compte et répétés, il faut constater que la grande majorité des consommateurs n’usent du produit que de manière occasionnelle et ludique, sans que cette consommation n’entraîne aucune complication conséquente.

 

L’existence d’une minorité de consommateurs problématiques est-elle suffisante pour motiver l’interdiction légale actuelle et exposer les nombreux fumeurs de joints occasionnels et réguliers à des conséquences sociales parfois graves : stigmatisation sociale, exclusion d’école, accès à des emplois refusés, procédure judiciaire,... ? Beaucoup, parmi lesquels le secteur spécialisé dans sa grande majorité, pensent que le régime actuel n’aide pas à résoudre ce phénomène complexe, voire qu’il crée et entretient ses aspects les plus problématiques. Notamment en compliquant et retardant l’aide aux personnes dépendantes, en les exposant à des risques de santé accrus et en alimentant les circuits criminels d’une manne financière inépuisable.

 

Prohibition, précarité et économie souterraine

La consommation de cannabis touche toutes les couches de la population, mais quelques profils socio-économiques pâtissent plus systématiquement du régime actuel. Sociologues et acteurs de terrain s’accordent à dire que l’impact de la prohibition pèse principalement sur les plus défavorisés. Deux raisons principales outre "le délit de sale gueule" : la visibilité de la consommation dans ces quartiers où chacun ne dispose pas d’une chambre ou d’un jardin pour consommer dans un lieu privé, et l’ascenseur social que peut représenter le deal pour des populations sans perspectives d’insertion socio-économiques. Les forces de l’ordre instrumentalisent la loi sur les stupéfiants comme un véritable outil de contrôle social, un moyen d’entrée et de surveillance de la population dans les quartiers difficiles. Un contrôle social réalisé au détriment d’enjeux de santé publique. Tant que son commerce n’aura pas été réglementé, l’approvisionnement en cannabis demeurera dépendant de l’économie souterraine. Le deal représente une alternative au travail par laquelle des jeunes défavorisés peuvent se rêver entrepreneurs et avoir accès à la consommation qu’on leur présente en modèle.

 

Pour un abandon du pénal

Le législateur a perçu l’impasse d’une interdiction décalée avec la réalité sociétale et ne reposant que sur le législatif et reconnaît l’importance de miser sur l’information et la responsabilisation des personnes pour modifier leurs comportements. Il n’a pas encore assumé ce juste choix. Pire, la législation changeante, virevoltante, a créé un environnement chaotique autour de la question.

 

La situation juridique en matière de cannabis est une agglomération de dispositions disparates accumulées au fil des législatures. La loi ne permet pas de structurer les comportements en fonction d’une peine annoncée. Les possibilités d’interprétation laissées aux forces de police restent trop larges. Elles interprètent à leur manière sur le terrain le "flou artistique" législatif. Quand la loi n’est pas claire, on laisse la porte ouverte à l’appréciation, donc aux faveurs, et à l’arbitraire. Du policier à l’acteur socio-sanitaire, les intervenants étaient unanimes : il faut mettre en place des dispositions claires et cohérentes qui soient les mêmes pour tous et par rapport auxquelles les citoyens puissent structurer leurs comportements.

 

Il faut même aller plus loin et attendre beaucoup moins de la police et de la justice : cette problématique, qui relève de la sphère privée, ne devrait pas concerner le système pénal. Les effets sanitaires d’un produit peuvent justifier des modes de prises en charge socio-sanitaires, mais en aucun cas une criminalisation de l’usage de celui-ci.

 

Une réglementation permettrait une meilleure appréhension du phénomène et partant, d’ébaucher des solutions adaptées pour sortir de la situation actuelle "partout, tout le temps". Evidemment, ce passage est indissociable d’une série de conditions : information, sensibilisation et prévention, interdiction totale de la publicité, contrôles de qualité, contrôle de l’ensemble de la filière par l’Etat depuis la production jusqu’à la vente, formation d’agents de prévention responsables pour les débits, interrogation plus large sur les facteurs de fragilisation sociale, etc.

 

Epilogue

Le débat "politico-socio-éthico-culturo-légal" à propos du cannabis est loin d’être clos, là n’était pas notre ambition. L’objectif des Rencontres est atteint : les propositions de la FEDITO ont pu être confrontées à une série de spécialistes et d’acteurs de terrain qui les ont enrichies et nuancées.

 

Ce débat a aussi favorisé la fin du long silence radio politique, politique qui rechigne à prendre le dossier à bras le corps et multiplie les essais d’équilibrisme ou les effets d’annonce. S’appuyant sur les conventions internationales et sur le cas particulier des mineurs, une majorité des partis refuse automatiquement toute avancée législative, voire taxe de "dangereux banalisateur" tout qui ose le débat. Pendant ce temps, le marché du cannabis fleurit et l’isolement des usagers augmente les risques encourus dans notre système de dérégulation complète.

 

Pour certains, notre rôle doit se cantonner à la prévention et aux soins, peu importe la législation. A l’inverse, nous pensons occuper une position d’observation privilégiée de la réalité sociale et nous ne pouvons, dès lors, nous départir d’une prise de position politique. Ne pas le faire pourrait être considéré comme de l’attentisme voire de l’hypocrisie. Cet engagement nous permet de penser un cadre qui permettrait de mieux soigner, de mieux prévenir, bref, de mieux répondre à nos missions. Ceci avec pour seule visée une moindre aliénation des individus. Soulever le débat ne signifie pas automatiquement banaliser le danger. Pour nous, il n’est plus possible aujourd’hui de rester neutre.

 

Ludovic Henrard, Directeur de la FEDITO.

 


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