Comment fonctionne le marché noir ?

Par Invité ,

 

Le procès d'un trafic de cannabis à Sevran illustre l'enracinement du "business" dans les quartiers.

 

De véritables PME du cannabis. Avec leurs livres de comptes. Leurs hiérarchies. Leurs partages des tâches entre employés. Leurs systèmes de rémunération et de surveillance.

 

Source : Le Monde

Et leurs "nourrices", des pères et mères de familles amenés à stocker de la drogue, de l'argent et des armes dans leurs appartements pour déjouer les surveillances policières. Depuis le 22 septembre, le tribunal correctionnel de Bobigny décrypte le fonctionnement d'un réseau de trafic de drogue à Sevran (Seine-Saint-Denis). Le procès lève une partie du voile sur le "business" dans les quartiers. Et permet de décrire, de l'intérieur, la méthode employée pour implanter un trafic, au vu des habitants, par un subtil mélange de partage des revenus et de menaces verbales et physiques.

 

L'enquête policière débute presque par hasard en avril 2006. L'office HLM souhaite alors libérer un appartement vide, squatté par des jeunes, au coeur de la cité Rougemont, considérée comme un des supermarchés de la drogue en Ile-de-France. La police découvre 3 kilos de résine de cannabis, des talkies-walkies et du matériel de conditionnement. Surtout, les enquêteurs mettent la main sur une liste de noms et de comptes.

 

Des "renseignements anonymes" et une dénonciation les conduisent, ensuite, vers une seconde cellule, organisée sur le même mode, dans le quartier voisin de la "cité Basse". Les perquisitions sont fructueuses. Plus de 200 kg de résine de cannabis, en blocs ou en plaquettes, dans des valises, des sacs plastique, des cartons, des sacs de sport. Un total de 185 000 euros au fond des placards ou dans des coffres-forts. Des talkies-walkies utilisés par les guetteurs. Des armes de guerre. Et des "feuillets A4", des carnets à souche ou des enveloppes sur lesquels les trafiquants indiquent consciencieusement les kilos prélevés et les sommes dues par chacun des membres du réseau. Lesquels sont désignés par leurs surnoms ("Voiz", "Lennox", "Bims", etc.)

 

Devant les policiers et le juge d'instruction, les "nourrices" parlent. Elles racontent que des jeunes, qui ont parfois été des copains de classe de leurs enfants, sont venus leur demander de garder un sac une nuit ou quelques jours. Certains acceptent "par amitié" ou parce qu'on leur propose une rémunération. Des billets donnés de la main à la main, quelques dizaines ou centaines d'euros, accompagnés, parfois, de "barrettes" de cannabis gratuites.

 

D'autres plient sous la menace, après avoir reçu la visite de jeunes cagoulés ou après des dégradations sur leurs véhicules. "Qu'est-ce que vous voulez que je vous dise. Que je leur tape dessus ? Ils étaient deux garçons et j'étais seule", explique ainsi devant le tribunal une des "nourrices", Rachel Tlemsani, en refusant de donner les noms de ses commanditaires.

 

Les "nourrices" voient leurs appartements colonisés. Des sacs arrivent tous les jours apportés par des livreurs. Des "coupeurs" de cannabis s'installent pour peser la marchandise et la conditionner dans des petits sacs plastique. D'autres viennent récupérer les doses préparées. "Ils ont pris mon appartement pour un hôtel, un restaurant et un dépotoir", explique Laetitia Ralu, mère célibataire de 29 ans, la seconde et dernière "nourrice" qui s'est présentée à la barre lors du procès.

 

Dans des courriers envoyés au tribunal, les huit autres "nourrices" poursuivies ont expliqué avoir trop peur d'éventuelles représailles. "Depuis cette affaire, j'ai eu un déménagement forcé", a écrit Martine Barbieux au procureur en disant avoir reçu des menaces de mort. "Si j'ai agi de la sorte, c'est que je n'avais pas le choix", assure-t-elle. "J'en suis arrivé à accepter ces intrusions en raison de menaces", écrit une autre "nourrice", Stéphane Cousin, en indiquant que la voiture de sa belle-mère a été incendiée.

 

Des menaces contestées à l'audience par les hommes suspectés d'être les organisateurs du trafic. "C'est dégueulasse que les nourrices disent qu'elles n'étaient pas rémunérées. Elles étaient contentes. Stéphane venait de s'acheter une Audi A3, sa copine une Scenic neuve. Bruno venait d'acheter une moto", explose Mourad Mirahi, suspecté d'être un des "lieutenants" du réseau.

 

De fait, dans l'appartement de certaines nourrices, les policiers ont retrouvé du mobilier peu compatible avec leurs revenus de chômeurs. Des écrans plasma, du matériel hi-fi en quantité, des ordinateurs, des GPS...

 

Car l'argent a coulé à flots. Les "livreurs" reconnaissent toucher 200 euros par opération. Les "coupeurs" de cannabis disent percevoir entre 100 et 200 euros par demi-journée. Ceux qui font le ménage et assurent la surveillance des stocks reçoivent entre 100 et 200 euros par semaine. Les guetteurs, souvent mineurs, quelques dizaines d'euros. Mais les perquisitions laissent supposer des rémunérations plus importantes en réalité. Au mariage de l'un des prévenus, RMiste, apparaissent une Ferrari, un Hummer, une limousine. A son domicile, les policiers trouvent 18 000 euros en liquide et des comptes bancaires avec près de 30 000 euros. Et lorsqu'un autre prévenu se présente au commissariat, pour son contrôle judiciaire, il conduit une Porsche Cayenne.

 

Dénonçant un trafic qui s'est "nourri du mal-être social", "comme un virus", pour "imposer sa loi et ses règles au détriment des habitants", le procureur de la République, Quentin Dandoy, a requis des peines de huit à dix ans de prison pour les organisateurs présumés du trafic.

 

Il a demandé "compréhension et mansuétude" pour les "nourrices" en demandant des peines de 12 à 16 mois de prison avec sursis. Le jugement a été mis en délibéré au 7 octobre.

 

Luc Bronner

 


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