Drogues au volant : Matignon tousse

Par Invité ,

 

Le gouvernement gêné par une étude relativisant le danger du cannabis par rapport à l'alcool.

 

C'est un pétard mouillé qui contrarie le gouvernement et sa majorité. Les conclusions de la première enquête épidémiologique sur le lien entre usage de drogues et accidents de la route, dont Libération a eu connaissance, provoquent depuis quelques semaines le plus grand embarras en haut lieu. La dangerosité du cannabis au volant, si elle est bien réelle, est bien moins importante que celle de l'alcool.

 

Source : Libération

Selon nos informations, cette étude, baptisée SAM (sécurité routière et accident mortels), confirme d'abord le rôle écrasant de l'alcool dans les accidents de la route. En revanche, le risque d'être responsable d'un accident mortel sous l'emprise du seul cannabis est faible, mais pas nul. Ce risque n'est en tout cas pas plus élevé que celui engendré par un conducteur avec un taux d'alcoolémie entre 0,2 et 0,5 gramme par litre de sang.

 

L'ennui c'est que la loi, adoptée le 3 janvier 2003 par des députés de droite en pleine croisade antijoint, tolère un risque d'accident mortel multiplié par 2 avec une alcoolémie allant jusqu'à 0,5 gramme mais qu'avec le cannabis (et un risque qui se trouve multiplié entre 1,8 et 2,2 fois), la tolérance est nulle : fumer un pétard au volant est puni de deux ans de prison.

 

 

L'embarras du ministre des Transports

 

Lors de la présentation de ces conclusions, le 1er juillet 2005 au dernier comité interministériel de la sécurité routière (CISR), Dominique Perben, le nouveau ministre des Transports, n'a pas caché son embarras.«Il voulaiten faire un cheval de bataille contre le cannabis, raconte un proche du dossier. Or l'enquête montre que le gouvernement a mis la charrue avant les boeufs : ils auraient dû attendre les résultats avant de légiférer.» Ni Nicolas Sarkozy ni Dominique Perben ni Xavier Bertrand (c'est la direction générale de la Santé qui a déboursé les 533 571 euros de l'enquête), ne

sont désormais candidats pour porter politiquement cette patate chaude. Et le Premier ministre lui-même devrait se mordre la langue : le 24 janvier, Dominique de Villepin, alors ministre de l'Intérieur, affirmait que «17 % des accidents mortels (étaient) liés à l'usage des stupéfiants». «Ces chiffres sont faux, note un expert. Ils sont ceux du lobby des toxicologues intéressés par le marché des tests de dépistage. Ministres et députés ont raconté tellement de conneries depuis deux ans qu'ils sont bien ennuyés.» A l'Assemblée nationale, lors du vote de la loi Dell'Agnola, la droite avait dénoncé le laxisme d'une «gauche hallucinogène qui a fait croire que seul l'alcool est dangereux». «La drogue au volant est responsable de plus de morts que les excès de vitesse», avait-on entendu.

 

 

Une première mondiale

 

Des déclarations aujourd'hui contredites par cette enquête, malgré les pressions que les auteurs ont subies depuis cinq mois pour que leurs conclusions collent avec la ligne gouvernementale. Pilotés par l'équipe de Bernard Laumon de l'Inrets (Institut national de recherche sur les transports et leur sécurité) et coordonnée par l'Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT), ces travaux ont été lancés en octobre 2001 dans le cadre de la loi Gayssot. Pour ne pas légiférer sans avoir d'abord déterminé des seuils de risque réel liés à une consommation de cannabis, le gouvernement Jospin avait autorisé les chercheurs à faire des tests de dépistage de stupéfiants sur les personnes impliquées dans les accidents mortels - les médicaments, pourtant souvent responsables d'endormissement au volant, avaient été écartés de l'étude à la suite du lobbying intense des laboratoires. Des prélèvements urinaires ont été effectués. Lorsqu'ils se révélaient positifs à la présence de drogue, ils

étaient doublés d'une prise de sang. Les procès verbaux ont tous été décortiqués pour déterminer les responsabilités de chacun. Et l'ensemble de ces données a été croisé et comparé avec un groupe témoin d'accidentés sans drogue dans le sang. Une énorme machinerie.

 

Après plus de trois ans de travail, un échantillon de 10 000 accidents a été réuni. Qui, en raison de problèmes de fiabilité, a finalement été ramené à 8 000, chiffre considérable qui fait de cette étude une première mondiale. Résultat : si l'on rapporte les seuils de risque obtenus au total

annuel de tués sur la route, à plus de 0,5 gramme, l'alcool serait responsable de 2 000 morts, la vitesse de 2 000 autres et le cannabis de 220. Ce n'est pas rien, 220, mais c'est grosso modo le chiffre de tués attribué à ceux qui conduisent avec entre 0,2 et 0,5 gramme d'alcool dans le sang. Sauf que les moins de 25 ans sont urreprésentés.

 

Epidémiologistes et accidentologues ont aussi réussi à mettre en évidence, pour la première fois, une relation effet-dose : au volant, le cannabis fait chuter la vigilance et est fortement déconseillé car plus on fume, plus le risque d'avoir un accident mortel augmente. Moins rapidement toutefois qu'avec l'alcool et dans des proportions bien moindres.

 

 

Un plan pour amortir l'impact politique

 

Au gouvernement, on se prépare à insister lourdement sur ces deux arguments. Les députés antijoint auront beau jeu de brandir le principe de précaution et de rappeler que, de toute façon, le cannabis est une drogue illicite et interdite et que l'alcool, lui, est en vente libre. N'empêche, au regard du risque réel, il y a deux poids deux mesures.

 

Au gouvernement, la gêne est palpable face à des résultats qui rendent incohérent l'arsenal répressif en vigueur. Le plan de communication adopté après moult atermoiements en témoigne : pour amortir l'impact politique de cette étude, il a été décidé d'en confier l'explication aux seuls auteurs.

Afin d'asseoir sa crédibilité, il avait été décidé au printemps de la soumettre au comité de lecture du British Medical Journal, l'une des plus prestigieuses revues scientifiques. «Nous l'avons acceptée, mais la publication n'est pas prévue avant plusieurs semaines», indique-t-on au BMJ. Difficile dans ces conditions de contrôler la date de publication de l'étude. Mais aussi de mettre en doute la solidité de ses résultats.

 


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