Les vacances fumeuses des Argentins


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Rappel du contexte en fin d'article

 

Ils débarquent en Uruguay avec l’illusion que tout est permis, mais la loi qui autorise la culture et la vente de marijuana n’est pas destinée aux touristes.

 

 

 

De Punta del Este (Uruguay)

 

On peut en sentir l’odeur à la terrasse des meilleurs restaurants comme en pleine rue. On la respire pendant la journée et à la tombée de la nuit. Et sa présence s’impose aussi lors des événements les plus glamour. Autrefois, au cours d’une soirée, on descendait sur la plage ou bien on cherchait un endroit tranquille pour allumer un joint. Aujourd’hui, il est loisible à chacun de le faire devant tout le monde. C’est l’été [austral] de la dépénalisation et les pharmacies reçoivent en permanence la visite d’Argentins qui veulent savoir s’ils peuvent déjà acheter du cannabis. On leur répond alors qu’il n’est pas encore en vente, et que de toute manière les étrangers n’y auront pas droit, à moins qu’ils ne soient résidents et enregistrés comme tels.

 

Il y a toujours eu un certain laxisme en ce qui concerne la consommation de marijuana sur les plages d’Uruguay. De surcroît, après l’adoption, le 10 décembre, de la loi qui réglemente le commerce et la culture du cannabis en Uruguay, ce qui domine chez les Argentins, c’est l’impression que tout est permis, la curiosité, le marchandage et l’envie d’observer les répercussions sur les habitudes sociales de Punta del Este. Pour beaucoup de consommateurs, même s’ils sont de ce côté de la flaque d’eau [le RÍo de la Plata], ce qui se dit à Buenos Aires a encore son importance.

 

Pas de consignes

Cette loi, qui a suscité le débat dans le monde entier, va entrer en vigueur dans le délai de cent vingt jours prévu pour sa ratification. Elle permet aux résidents intéressés, après s’être fait enregistrer comme consommateurs, d’acheter 40 grammes de marijuana par mois. Par ailleurs, ils auront la possibilité de cultiver pour leur consommation personnelle jusqu’à six plants par famille, dont ils pourront tirer une récolte de 480 grammes par an au maximum.

 

Bien que la loi ne soit pas encore ratifiée, de nombreux Argentins débarquent en Uruguay convaincus que ce pays est déjà devenu le paradis du cannabis. Et ils se comportent comme si c’était déjà le cas. “Cette saison, on a déjà fumé de la marijuana à la terrasse de La Huella”, commente Martín Pittaluga, conseiller municipal du Frente Amplio [parti de gauche au pouvoir] pour José Ignacio [station balnéaire à la mode] et fondateur de ce restaurant de bord de mer, l’un des meilleurs et des plus sélects d’Uruguay. “Quand les clients le font à l’extérieur, on ne peut rien dire. Aujourd’hui, c’est la même chose que de fumer un havane.”

 

Alors qu’est-ce qui se passe si un client s’approche de la caisse et se plaint que quelqu’un fume de la marijuana à la table d’à côté ? “Ça devient une question d’attention et d’éducation. Moi, je n’allumerais jamais un joint ou un havane à côté d’un gamin”, poursuit-il. Pittaluga est favorable à la loi. Dès son adoption, il s’est renseigné auprès du commissariat du quartier sur la conduite à tenir. On lui a répondu que pour l’instant la police n’avait pas reçu de consignes spécifiques.

 

Mais les premières frictions n’ont pas tardé. Il y a plusieurs jours, il y a eu une discussion entre un groupe de jeunes qui avait organisé une séance fumette pour fêter la nouvelle loi à côté d’une femme qui se reposait avec son enfant sur La Mansa [“la docile”, plage où la mer est calme]. Cette semaine, alors que deux agents surveillaient La Brava [“la plage aux vagues fortes”] de José Ignacio, La Nación leur a demandé ce qu’il en était de la consommation de marijuana sur la plage. “En réalité, on n’a jamais poursuivi la consommation personnelle, à moins qu’il y ait des soupçons d’achat ou de vente”, ont-ils expliqué. L’un d’entre eux a cité une enquête récente de l’institut Equipos, qui concluait que 66 % des Uruguayens étaient contre la loi et que seuls 24 % étaient pour. Les autres n’avaient pas d’opinion ou préféraient la garder pour eux.

 

Cannabis en pharmacie

 

Lucho et Nacho, respectivement 25 et 30 ans, sont de Buenos Aires. Ils ont entendu notre conversation avec les policiers et paraissent intéressés. “On a le droit, alors ?” ont-ils demandé. La réponse les a mis de très bonne humeur. “Alors je peux passer devant eux sans qu’ils me disent rien ?” a lancé l’un d’eux. Ils avaient du mal à le croire. “Avant, on devait fumer en douce, feinter. On ne fumait jamais devant tout le monde.” D’autres consommateurs préfèrent rester discrets.

 

“Pour moi, c’est une expérience, affirme Pittaluga. Je crois que l’Uruguay peut la tenter parce que c’est un pays petit et responsable. C’est avant tout une question de responsabilité.”

 

Le sous-secrétaire uruguayen au Tourisme, Antonio Carámbula Sagasti, a affirmé qu’il n’était pas prévu d’accueillir un tourisme lié au cannabis dans le pays. “La loi autorise l’achat uniquement aux résidents inscrits, ce qui exclut les visiteurs, explique-t-il. Le nouveau dispositif est né d’un constat d’échec des politiques répressives. C’est pourquoi l’Uruguay a cherché à augmenter les contrôles sur les substances qui entraînent une dépendance : lutte contre le tabac, loi qui contrôle la vente et la consommation d’alcool, et aujourd’hui réglementation de la consommation de marijuana.”

 

Depuis des décennies, on ne poursuit plus la consommation en Uruguay. La loi interdit uniquement l’achat et la vente, deux activités qui seront désormais dans l’orbite de l’Etat, avec pour objectif principal de combattre le trafic de drogue et maîtriser la consommation. L’Argentin Javier Azcurra, producteur d’événements à Punta del Este, raconte que cette année les blagues parlant d’“aller à la pharmacie” se sont mises à fleurir. En effet, la loi prévoit que ces officines seront seules autorisées à vendre de la marijuana aux résidents inscrits. Certains touristes entrent dans les pharmacies de Punta del Este pour demander : “Ça y est, c’est en vente ?” Dans celle du centre de Manantiales, cela arrive au moins deux ou trois fois par jour.

 

Fernando Massa

Publié le 5 janvier 2014 dans La Nación Buenos Aires

 

 

 

Contexte

 

— Un marché juteux

 

●●● Depuis l’annonce de la légalisation de la vente de cannabis en Uruguay, des laboratoires pharmaceutiques et des entreprises du monde entier s’intéressent à ce nouveau marché légal. Le gouvernement uruguayen a été approché par de nombreux laboratoires pharmaceutiques étrangers désireux de s’installer dans le pays afin de se lancer sur le marché du cannabis médical, souligne le quotidien uruguayen El País. “C’est un grand défi, car, même si ce n’était pas un des objectifs de la loi, l’Uruguay peut devenir un pôle biotechnologique. C’est un secteur concurrentiel en plein développement”, a déclaré le porte-parole du gouvernement au journal. Des entreprises canadiennes ont ainsi pris contact avec le gouvernement uruguayen pour importer du cannabis médical, annonce le quotidien El Observador. Des banques de semences, notamment hollandaises, pourraient aussi s’implanter en Uruguay pour alimenter le marché local. “Il y a une longue queue d’investisseurs étrangers disposés à investir sur ce marché”, affirme El País.

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