Etude: La brimade des stups

Etude: La brimade des stups
Par Invité ,

Pour la troisième année, «Libération» s’associe à la Global Drug Survey, enquête internationale sur les drogues auprès des usagers. Au cœur de l’édition 2016, la répression et ses effets.

 

 

Manifestation pour la légalisation du cannabis, à Paris le 9 mai. Photo Albert Facelly pour Libération

 

 

Et si, pour définir des politiques de prévention sur les drogues, on écoutait d’abord les usagers ? C’est l’idée de la Global Drug Survey (GDS), une grande enquête qui donne la parole aux consommateurs, de façon anonyme et confidentielle. Quelles drogues prenez-vous ? A quelle fréquence ? A quel prix ? Que faites-vous quand ça se passe mal ? Où l’achetez-vous ? Votre avis compte (1), il permettra de mieux connaître les usages, de renseigner les experts et les politiques et, finalement, d’inspirer des conseils de précaution dont vous serez les premiers bénéficiaires.

 

Libération est, pour la troisième année consécutive, le média français associé à ce projet qui couvre une vingtaine de pays. Cette année, 102 000 personnes ont participé à l’enquête, dont 8 696 en France (âge moyen : 29 ans). 94 % d’entre elles avaient déjà pris une drogue illégale, mais l’enquête s’intéresse aussi aux drogues légales : alcool, tabac, médicaments sur ordonnance… Alors participez !

Mieux connaître les usages

 

N’étant pas basée sur un échantillon déterminé, la GDS ne délivre pas de résultats représentatifs. Mais elle éclaire sur les pratiques, pas toujours bien connues. Car si l’usage de drogues est un phénomène massif, il évolue très vite, souvent sans que l’on puisse mesurer ces changements. Pour mieux le documenter, «il faut donner la parole à ceux qui les connaissent le mieux : les consommateurs», estime Adam Winstock, le psychiatre londonien à l’origine de la GDS.

 

Les politiques de prévention, selon lui, s’intéressent surtout «à une minorité d’usagers qui ont développé une dépendance», ignorant ceux qui «aiment boire et prendre des drogues» pour le plaisir. Or, la plupart des consommateurs «ne subissent pas de conséquences graves» de leur usage. Ils réduiraient mieux les risques si les messages officiels ne les enjoignaient pas à l’abstinence. Laquelle n’a guère de sens, sauf pour le tabac : «Ne pas en fumer est un excellent conseil de santé, car le risque d’addiction est plus grand que pour la majorité des drogues, et un usage même faible accroît les risques de maladie du poumon et de cancers, explique Winstock. Mais pour la plupart des autres drogues, le concept de tolérance zéro a une efficacité zéro.»

 

Prendre des drogues, c’est prendre des risques. Il convient donc de respecter des règles, estime le spécialiste des addictions : «Comme pour conduire une voiture, on peut appliquer certaines règles pour rester en sécurité.» Ces règles, la GDS en a déjà consigné dans un «code de bonne conduite», le High-Way Code (jeu de mots sur high, qui signifie «haut» mais aussi «défoncé»). Disponible - en anglais uniquement - sur son site, il est farci de conseils en fonction des produits (cannabis, alcool, LSD, kétamine, etc.).

 

La GDS offre d’autres services : pour savoir si l’alcool nous rend insupportable (Onetoomany.co, «un coup de trop»), mesurer sa consommation de drogues (Drugsmeter.com) et d’alcool (Drinksmeter.com). La GDS édicte aussi des règles de précaution pour les usagers de cannabis, basées sur les réponses de 40 000 d’entre eux (www.saferuselimits.co). Tout ceci est uniquement en anglais, mais pas de panique : pour des conseils en français, le site officiel dépendant du ministère de la Santé (Drogues-info-service.fr) est très bien fait.

Les thèmes de la GDS 2016

 

Pour affiner son travail, la GDS 2016 a besoin de vos avis sur différents thèmes. D’abord, l’évolution des prix des drogues. Elle veut aussi savoir si la pureté accrue de certains produits (cocaïne, MDMA), combinée à une minimisation de leur dangerosité, accroît le risque pris par les consommateurs. Autre objectif cette année : détecter les nouvelles substances sur le marché, ainsi que les techniques de consommation novatrices, comme la vaporisation (pour le tabac et les substances illégales). Les nouvelles zones de commercialisation (Internet officiel, darknet) seront aussi explorées.

 

La GDS 2015 a mis au jour quelques tendances : la consommation préoccupante d’alcool en France, le retour en grâce de l’ecstasy, l’attrait toujours fort pour la cocaïne malgré sa très mauvaise qualité, le risque des médicaments sur ordonnance, la vente de plus en plus répandue sur Internet, l’essor des NPS (nouveaux produits de synthèse), le danger du cannabis de synthèse.

L’impact de la répression

 

La GDS veut également mesurer l’effet dans le monde de la dépénalisation des usages, notamment sur le cannabis. Bonne idée. Sauf qu’en France, c’est l’inverse que l’on mesure, comme le démontre une enquête fouillée de l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT) d’octobre 2015.

 

«En deux décennies (1990-2010), les interpellations d’usagers ont été multipliées par sept pour le cannabis», explique la chercheuse de l’OFDT Ivana Obradovic. Contrairement au discours officiel prétendant que la justice cherche surtout à faire tomber des réseaux, les consommateurs sont les plus visés : «L’activité des forces de l’ordre est centrée sur la lutte contre la demande», note la chercheuse.

 

Depuis 1970, les interpellations d’usagers ont augmenté «trois fois plus vite» que celles d’usagers-revendeurs et de trafiquants. Et parmi les consommateurs, on cible ceux de cannabis : en 1985, ce produit représentait 40 % des interpellations. Aujourd’hui, 90 %.

 

Ivana Obradovic rappelle tout l’intérêt d’interpeller des consommateurs : ces infractions étant élucidées dès qu’elles sont constatées, elles permettent de faire remonter le taux d’élucidation, qui «peut ainsi atteindre, et même dépasser, 100 %». Car lorsqu’on interpelle un usager, on constate parfois d’autres infractions.

 

Alors n’hésitez pas si vous aussi vous avez été arrêté, participez à la GDS, qui en tirera les leçons. Notamment celle-ci : quel est l’effet de cette politique ? L’étude de l’OFDT laisse songeur. Même si, en 2013, 163 497 personnes ont été mises en cause pour usage de stups, plus 17 702 pour usage-revente, cela représente «moins de 4 %» des usagers de cannabis. Dont le nombre, en augmentation, atteint 4,6 millions de personnes en France, selon les estimations.

 

L’accroissement des interpellations n’a donc pas d’impact sur la consommation - une donnée vérifiée par de nombreuses études. Et ce, bien que cette hausse s’accompagne de sanctions accrues. Les classements sans suite sont de moins en moins fréquents, le taux de réponse pénale est passé de 79 à 97 % entre 2001 et 2013.

 

Dans les condamnations pour affaires de stups, la part de l’usage a triplé entre 2002 et 2013, passant de 22 à 59 %. En 2013, 33 645 personnes ont été condamnées pour usage (en majorité du cannabis) en infraction unique. Soit «6 % des condamnations délictuelles prononcées sur une année». En 2014, 102 000 affaires d’usage ont occupé les tribunaux.

Une contravention pour le premier usage ?

 

Le système actuel engorge la justice sans régler le problème. Certes, le gouvernement a mis en place, le 15 octobre, la «transaction pénale» qui permet, après accord du parquet, de proposer une amende pour usage simple. Cela ne signifie pas que la justice sera plus clémente, ou que l’on va vers la dépénalisation.

 

Car la gauche se montre bien plus répressive que ne le fut la droite, et refuse de corriger le tir, de peur de passer pour laxiste. L’opposition, elle, se veut plus pragmatique. En septembre, le Sénat - à majorité de droite - a adopté un amendement au code de la santé publique proposé par Les Républicains : il punirait «la première infraction» d’usage d’une simple contravention de troisième classe, «accompagnée des coordonnées des centres spécialisés de soins aux toxicomanes les plus proches». Cela remplacerait la sanction actuelle (maximum d’un an de prison). En 2003, Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur, avait déjà proposé pareille modification, avant de faire machine arrière.

 

Mais l’Assemblée nationale, à majorité de gauche, devant laquelle le projet de loi santé doit revenir en discussion, acceptera-t-elle cette modification ? Pas sûr. La ministre de la Santé, Marisol Touraine, s’y oppose, car ce «serait un mauvais signal à adresser». Si vous voulez que cela change, donnez votre avis dans l’enquête GDS.

 

(1) www.globaldrugsurvey.com/GDS2016

 

Michel Henry

 

Source: https://www.liberation.fr/france/2015/11/23/la-brimade-des-stups_1415590

 

Ps: N'hésitez pas à répondre au questionnaire.


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