La fibre de cannabis, voie d’avenir du Rif marocain

La fibre de cannabis, voie d’avenir du Rif marocain
Par mrpolo ,

Cultivé depuis des siècles dans le nord du Maroc, le cannabis n’est aujourd’hui produit (illégalement) que pour ses qualités psychoactives. Pourtant, explique l’autrice de cette tribune, la fibre de chanvre est un atout majeur pour le développement de cette région, en particulier pour ses usages dans la construction.

 

 

 

Monika Brümmer est une architecte allemande. Elle dirige Cannabric, une entreprise fondée en 1999 à Grenade (Espagne), qui développe des projets de bioconstruction et fabrique des matériaux avec des agrégats de chanvre adaptés à la région méditerranéenne. Elle a cofondé en 2017 la coopérative marocaine Adrar Nouh, qui utilise la tige du chanvre ancestral marocain dans des technologies innovantes et renoue avec ses utilisations traditionnelles de plante à fibres.

 

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Monika Brümmer (et des tiges de chanvre beldiya valorisées par l’association Adrar Nouh).
 

Le Haut-Rif central, au Maroc, a deux visages. C’est à la fois un lieu de production cannabis et une région rurale isolée, en marge du développement du reste du Maroc. Le chanvre y est cultivé depuis le haut Moyen-Âge. La plante a évolué au cours des siècles et a été adaptée au microclimat de la région, caractérisé par des brumes intenses venues de la Méditerranée. La variété beldiya a une morphologie éloignée de son origine indica du fait de son hybridation avec le cannabis sativa eurasien, cultivé dans l’Andalousie musulmane. Utilisée dans la pharmacopée traditionnelle depuis le VIIIe siècle et les découvertes scientifiques du califat abbasside, la plante a aussi été utilisée pour la production du papier.

 

Les ateliers de Fès du XIe siècle utilisaient ainsi des chiffons de chanvre. Le papier de chanvre, dont la technique de fabrication a été importée en Europe dans la seconde moitié du XIe siècle avec l’arrivée des Almoravides à Al-Andalus, a été exporté vers toute la région méditerranéenne et a donc contribué à la diffusion des savoirs. Des membres de la tribu berbère Sanhadja de Srayr se sont installés dans le Haut-Rif central au IXe siècle, dans ce qu’on appelle au Maroc la région « historique » de la culture du chanvre, où ils continuent à cultiver cette plante ancestrale à usage universel.

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Paysage du haut Rif central, avec quelques champs de chanvre.
 
 

Quand le « kif » était cultivé légalement et contrôlé dans cette région jusqu’à l’indépendance du pays, en 1956, ses propriétés psychotropes modestes n’étaient pas considérées comme un inconvénient. Mais l’adoption de lois internationales, avec la signature par le Maroc de la Convention unique des Nations unies sur les stupéfiants en 1961, a contribué à rendre illégale cette culture traditionnelle. L’essor d’une économie souterraine n’a eu que des effets indésirables sur le développement de la région et a provoqué une situation de désintégration politique et sociale.

 

Les tentatives du gouvernement du royaume marocain pour y remédier, depuis l’an 2000, n’ont pas donné de résultats satisfaisants, notamment parce qu’on n’a guère fait appel aux experts nationaux et internationaux qui connaissent de très près la région, la tribu rifaine Sanhadja de Srayr, son mode de vie et son patrimoine culturel. Or, le potentiel naturel de cette région du Rif est bien réel et son architecture rurale est une composante essentielle de son attractivité, notamment comme cadre des festivités berbères traditionnelles.

Et si le chanvre, qui a contribué à spécialiser et déliter l’économie locale après son interdiction, était une partie de la solution ?

La rénovation énergétique contribue à limiter la déforestation 

Partons de l’habitat. Le Haut-Rif central est marqué par un patrimoine vernaculaire associé à un mode de vie agropastoral qui inclut la sylviculture et, depuis des siècles, la culture du chanvre. La plupart des maisons présentent une architecture évolutive d’un ou deux étages, organisée autour d’un patio. En réponse à la topographie du terrain, les espaces habitables des bâtiments sont souvent organisés en terrasses, multifonctionnels et adaptés à la vie rurale quotidienne. On y retrouve des matériaux naturels locaux, comme l’ardoise et la pierre de quartz sableuse, ainsi que des mortiers et des bétons agglomérés d’argiles locaux. A cela s’ajoutent du bois issu des forêts de cèdres voisines et diverses matières végétales autochtones ou cultivées, comme la paille de seigle utilisée dans les toitures. Dans certains cas, des tiges de la variété locale de chanvre beldiya remplissent les interstices de la structure en bois.

 

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Des chènevottes destinées à la construction fabriquées par l’association Adrar Nouh.
 

Aujourd’hui, la variété beldiya est cultivée uniquement pour ses composés psychoactifs, ce qui en fait une pratique non durable. Pourtant, on pourrait employer la tige du chanvre, qui consiste en des fibres à usages multiples et d’un noyau boisé, pour la modernisation énergétique de l’architecture vernaculaire et la production de biomasse. Transformé en un matériau de construction multiporeux, le chanvre contribue à améliorer le confort de vie des bâtiments sans entrer en conflit avec les matériaux traditionnels. La rénovation énergétique contribue à limiter la déforestation (qui a pour conséquence la perte d’eau et l’érosion) en réduisant la forte consommation de bois, pour chauffer des logements peu isolés, aujourd’hui couverts de tôle, pendant les mois d’hiver froids et enneigés.

 

Bien que la région d’Al Hoceima, qui comprend le Haut-Rif central, représente aujourd’hui moins de 10 % de la production de cannabis marocain, la quantité de déchets locaux de cette activité reste largement suffisante pour couvrir les besoins d’un tel plan. Et cela même avec l’introduction de plantes plus productives en résine mais moins riches en fibres, un phénomène qui affecte un peu moins la région « historique », où les agriculteurs sont revenus à la variété beldiya comme seule variété adaptée aux conditions climatiques locales.

 

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La récolte de tiges de chanvre dans le haut Rif central.
 

Un modèle socioéconomique alternatif de développement pour les Berbères Sanhadja de Srayr peut donc être atteint grâce à l’utilisation du chanvre pour la rénovation de leurs habitats et la valorisation de leur patrimoine culturel — notamment leur architecture peu transformée et dispersée dans un paysage de rêve, parfaite pour développer un écotourisme fondé sur les soins et les produits locaux. De cette façon, leur dépendance à l’économie informelle peut être atténuée par de nouveaux emplois alternatifs. En considérant que le cannabis est l’une des plantes cultivées les plus polyvalentes, les perspectives de développement sont considérables.

 

Monika Brümmer

Source:reporterre.net


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