Suisse : Derniers coups de boutoir avant la légalisation?

Suisse : Derniers coups de boutoir avant la légalisation?
Par mrpolo ,

Depuis que le cannabis légal est arrivé dans les rayons des kiosques suisses, le débat sur la réglementation du cannabis est reparti de plus belle. Plusieurs projets se dessinent.

 

 

 


L'engouement autour du cannabis légal a relancé le débat sur son


cousin à hauteur teneur en THC


JPDS

 

 

 


On pensait le débat sur la réglementation du cannabis enterré pour longtemps après le très net refus à 63,3 % de la population helvétique de dépénaliser la substance en 2008. Il aura fallu l’arrivée sur dans les rayons des kiosques du cannabis légal, contenant moins de 1% de THC, pour relancer un débat passionné (notre édition du 3 mars dernier). Plusieurs projets concrets se dessinent déjà pour encadrer, contrôler ou expérimenter l’usage du cannabis récréatif. Le vent aurait-il tourné, se chargeant au passage de l’odeur suave de la plante? Tour d’horizon.

 

1. L’initiative des Verts
Dernier projet en date: l’initiative parlementaire fédérale des Verts. Déposée jeudi, elle vise à créer une loi générale sur le chanvre, un texte qui régirait tous les aspects de l’usage de la plante. De la culture du chanvre à sa commercialisation, en passant par la prévention pour la jeunesse ou encore sa taxation. Le parti écologiste souligne «les échecs des politiques prohibitionnistes».

 

A la place, il propose de mettre en place «un dispositif cohérent qui aurait de nombreux avantages, comme le contrôle de la qualité et de la quantité (teneur en THC, origine etc.), la prévention et la protection des jeunes, la taxation de l’argent généré par le commerce (recettes annuelles estimées entre 300 et 600 millions de francs pour la Suisse) et la stimulation de l’agriculture bio». Difficile à l’heure actuelle de donner des tendances sur les chances de réussite du projet. L’UDC a d’ores et déjà signifié son opposition. En 2008, le PDC s’était mobilisé contre la dépénalisation, tout comme les libéraux. Les radicaux et la gauche y étaient favorables.

 

2. L’initiative «Legalize it!»
Une décennie après la dernière votation sur le sujet, le peuple devra-t-il se prononcer à nouveau sur la réglementation du cannabis? C’est en tout cas le souhait de l’association Legalize it, qui milite depuis vingt-cinq ans pour la légalisation du chanvre. Le texte de l’association propose d’ajouter un alinéa à l’article constitutionnel qui réglemente l’alcool pour y inscrire la légalisation de la consommation personnelle de cannabis. Une autre modification ajouterait le cannabis à la liste des marchandises soumises à un impôt spécial, à l’image de l’alcool et du tabac. Déposée fin avril, l’initiative doit encore être validée par la Chancellerie fédérale. En cas de feu vert, ses soutiens auront dix-huit mois pour récolter 100 000 signatures.

 

3. Les projets pilotes des villes
Particulièrement touchées par la consommation de cannabis, plusieurs villes suisses, comme Berne, Bâle, Genève, Lausanne ou encore Zurich, songent à des expériences permettant à des consommateurs de se procurer légalement de l’herbe pour leur usage personnel. La Ville de Berne devrait être la première à lancer l’expérience; elle a obtenu début mars l’aval de sa commission d’éthique et attend désormais une réponse de la Confédération pour déroger à la loi sur les stupéfiants.

 

En cas d’autorisation, la capitale se lancera dans une vaste étude pour évaluer l’impact de la réglementation basée sur un échantillon de 1000 personnes. Les «cobayes» pourront se fournir auprès de pharmacies agréées. En échange, ils devront se soumettre à des tests médicaux réguliers, répondre à des questionnaires ou encore ne pas conduire pendant les heures qui suivent la prise de cannabis.

 

Bâle, qui compte elle aussi un chantier bien avancé, se contenterait d’une expérience sur 150 personnes et seulement pour évaluer l’usage médical du chanvre. Pour les autres villes, les contours des projets ne sont pas encore bien dessinés, mais on parle plutôt d’essayer le modèle des «cannabis clubs», à savoir des associations de consommateurs soumises à autorisation.

 

En lien avec cet article: On se détend

 

Faut-il légaliser le cannabis? L’interrogation revient souvent dans les débats politiques. La vraie question serait plutôt: qu’est-ce qui justifie la pénalisation de la production, de la vente ou de la consommation? Autour du chanvre, c’est en général la crainte des risques qui prend le dessus. La plante déchaîne les peurs, parfois irrationnelles. Dans ce domaine, la désinformation ...

 

Face au retour du débat sur la légalisation du cannabis, les experts en addictions souhaitent rétablir des vérités scientifiques et militent pour un contrôle de la substance
«La prohibition ne fonctionne pas»

 

«La Bible de Gutenberg et les voiles de la Santa Maria étaient faites en chanvre», s’exclame le Dr. Claude Vaney, président du groupe d’experts pour l’Application médicale limitée de stupéfiants interdits. Un rappel du passé pour souligner la méconnaissance d’une plante qui accompagne pourtant l’humanité depuis des siècles.

 

Réunis la semaine dernière à Lausanne, des experts du Groupement romand d’études des addictions (Grea), l’une des principales associations de spécialistes dans le domaine, entendait mettre un terme à la «désinformation» et «redéfinir les priorités sur le cannabis et le CBD sur les bases de connaissances scientifiques fiables».
Médecins, neurologues ou encore psychologues, les experts présents n’avait nullement l’intention de dédiaboliser ces substances à bon compte. Le professeur Daniele Zullino, médecin-chef du Service d’addictologie des HUG, l’annonçait d’emblée: «Le cannabis n’est pas anodin, il peut poser des problèmes.» Avant de nuancer dans la foulée: «Mais pas systématiquement. En réalité, les consommateurs problématiques sont une minorité.»

 

Consommer du cannabis tous les jours reste mauvais pour la santé. Sous effets aigus, personne ne peut fonctionner normalement. «L’effet à court terme du cannabis fait apparaître temporairement des symptômes psychotiques, comme des modifications de la perception ou un relâchement des associations conceptuelles: c’est le high (l’impression de «planer», ndlr). Ce dernier disparaît rapidement avec l’élimination du THC. De plus, les capacités d’apprentissage peuvent être altérées temporairement lorsque l’on est intoxiqué, car une perturbation de la mémoire à court terme est l’un des effets de l’inhalation de THC les plus connus.»

 

Pas de causalité entre schizophrénie et cannabis

 

Une fois cet avertissement de rigueur lancé, le professeur Zullino s’attaque aux idées reçues sur le cannabis. En premier lieu, le lien, souvent établi dans les médias, entre la schizophrénie et la consommation de cannabis. «Il y a bien une corrélation entre les deux, mais la causalité n’a jamais pu être établie. On retrouve les mêmes corrélations avec la consommation de tabac ou d’alcool. En Australie, où il y a eu une augmentation abrupte de la consommation de cannabis ces trente dernières années, ainsi qu’une baisse de l’âge initial du premier contact, l’incidence de la schizophrénie n’a pas augmenté.»

 

Autre préconception répandue que les experts tentent de balayer: la fumette rendrait bête et détruirait le cerveau. Selon Daniele Zullino, «si les fumeurs de cannabis ont généralement un QI plus bas que les non-fumeurs, ce n’est pas à cause des effets du cannabis. Evidemment, une prise importante cause des troubles de la mémoire à court terme. Sur le long terme, cela peut produire des retards scolaires ou des déficits cognitifs, mais la structure du cerveau n’est pas altérée définitivement par le cannabis, au contraire de l’alcool par exemple qui détruit les cellules». Pour le spécialiste, c’est le temps perdu à ne pas stimuler son cerveau qui crée ces retards, une situation comparable à quelqu’un «qui resterait assis sur son canapé à longueur de journée pendant des années».

 

Pour une régulation

 

Face à ces faits scientifiques qui tendent à relativiser la dangerosité du cannabis, les experts espèrent pousser les politiques à ne pas faire de choix «irrationnels». Jean-Félix Savary, secrétaire général du Groupement romand d’études des addictions (Grea), milite pour une réglementation du cannabis. «Il s’agit de la substance la plus consommée au monde et sa prohibition est un cuisant échec. Il faut désormais envisager une réglementation de son marché en Suisse. Il n’y a plus de raisons d’avoir peur, d’autres pays ont franchi le pas et nous avons désormais le recul nécessaire pour savoir ce qui nous attend.»

 

Pour le Grea, les avantages d’une réglementation sont innombrables: réduction de la taille du marché illégal, rentrées fiscales conséquentes pour la collectivité, meilleur encadrement des problèmes liés à la consommation, protection de la jeunesse par une restriction d’âge, protection des consommateurs par le contrôle de la qualité des produits vendus, ou encore séparation des marchés des drogues qui ont tendance à fusionner. Presque incrédule, Jean-Félix Savary se demande pourquoi il y a encore tant de résistances: «Nous savons réguler, contrôler les autres substances, pourquoi n’y arriverions-nous pas avec le cannabis?» MMK
Economie: le CBD ou la loi de la jungle

 

Plus de 270 demandes d’autorisation auprès de la Confédération pour distribuer du CBD; déjà une petite dizaine de marques, pas toutes suisses; un marché quasi vierge estimé par l’Administration fédérale des douanes à 100 millions de francs par année: voilà les ingrédients d’une petite guerre économique que sont prêts à se livrer les nouveaux acteurs du cannabis légal. Mais dans ce marché complexe, encore sous le coup de «l’effet curiosité», il n’y aura pas de place pour tout le monde.

 

Vendu entre 14 et 16 francs le gramme, le cannabis légal est taxé à hauteur de 25% du prix de vente à laquelle s’ajoute une autre taxe de 38 francs par kilo. La poule aux œufs d’or offre donc des possibilités de marge limitées. Mais les entrepreneurs évaluent les possibilités du marché au-delà des estimations de l’Administration des douanes. «En Suisse romande, le volume de marchandises vendues, toutes marques confondues, tourne autour de 200 kilos. A l’échelle nationale, on doit atteindre 2,5 tonnes», évalue Alan Wicht, cofondateur de la marque Avalon, une des plus importantes du marché et la seule à avoir accepté de communiquer avec transparence.

 

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Effet de curiosité

 


Malgré ces chiffres importants, le jeune entrepreneur reste prudent. «Le marché est volatile et bénéficie encore d’un effet de curiosité. A mon avis, il risque de s’essouffler.» Le nombre d’acteurs l’inquiète également: «Tout le monde veut sa part du gâteau. Pour l’instant, c’est un peu la loi de la jungle. Notre stratégie est de mettre en avant la qualité de nos produits, tous bios et suisses, et d’installer notre marque dans la durée. Les amateurs helvétiques sont des connaisseurs, la qualité et le goût doivent être au rendez-vous.»

 

Martin*, patron d’une des entreprises pionnières dans la vente de cannabis légal et qui témoigne anonymement à cause de «mauvaises expériences avec la presse», abonde: «On assiste aujourd’hui à une foire d’empoigne où l’unique objectif d’hommes d’affaires plus ou moins scrupuleux est de faire de l’argent. Ça ne me préoccupe pas trop.» Adepte de la culture bio, il insiste sur les propriétés de la plante qui «donne l’une des meilleures huiles du monde» et préfère se distancier de l’image négative véhiculée par la course aux profits actuels.

 

Contrôle plutôt que légalisation

 

Etonnamment, les deux entrepreneurs ne sont pas favorables à une légalisation du cannabis à haute teneur en THC. Des deux côtés, l’argument est le même: ils préfèrent un contrôle à une légalisation complète, notamment pour prévenir la consommation problématique chez les jeunes, mais aussi limiter la teneur en THC et revenir à une culture plus naturelle.

 

Leurs réserves peuvent s’expliquer, par le fait que les produits à forte teneur en CBD ne sont pas substituables aux produits à haut taux de THC. Ils sont plutôt complémentaires. Pour Alan Wicht, «le consommateur type de CBD est plutôt trentenaire et dispose d’un emploi». Quant aux retours des clients, «ils mettent en avant le plaisir du goût, l’aspect rituel de pouvoir fumer un joint après le travail en semaine».

 

Pour les amateurs de cannabis à forte teneur en THC – illégal –, la seule possibilité reste le marché noir, sur lequel le CBD n’aurait eu qu’un impact marginal. Selon plusieurs sources qui connaissent bien le secteur, le prix de référence de 10 francs le gramme (qui peut descendre jusqu’à 6 francs le gramme selon la quantité achetée) n’a pas évolué depuis l’arrivée du cannabis légal. En revanche, toujours selon ces sources, la qualité aurait augmenté pour ne pas perdre le public qui en consomme avec parcimonie. MMK
THC, CBD, entre craintes et espoirs pour la médecine

 

Cent vingt molécules cannabinoïdes ont été identifiées parmi les composants du cannabis. Deux d’entre elles intéressent particulièrement les chercheurs: le tétrahydrocannabinol (THC) et le cannabidiol (CBD). Le THC est la principale substance psychotrope du cannabis. C’est elle qui est prisée par les usagers de cannabis récréatif. Sa concentration dans le cannabis vendu au marché noir peut varier largement, mais sa moyenne se situe autour de 12% en Suisse.

 

L’impossibilité de faire une overdose avec le THC permet de classer le cannabis dans la catégorie des drogues douces. Aucune dépendance physique ne se développe avec cette substance, même si des cas de dépendance psychique restent possibles. Au-delà de l’aspect psychotrope, le THC produit des effets anti-nauséeux, antidouleur et de stimulation de l’appétit.
Le CBD, quant à lui, n’a aucun effet intoxicant et n’est donc pas un stupéfiant. «Il peut même agir contre les effets du THC», explique le Dr. Claude Vaney, président du groupe d’experts pour l’Application mé-dicale limitée de stupéfiants interdits.

 

Le CBD a un effet analgésique, anticonvulsif, anxiolytique et neu-ro-protecteur. Ces propriétés, seulement récemment répertoriées, suscitent un grand espoir dans le traitement de mala-dies chroniques. On utilise déjà les vertus thérapeutiques de ces deux substances pour soulager les per-sonnes souffrant de sclérose en plaques ou pour atténuer les effets secondaires des traitements pour de graves affections telles que le SIDA. «Le potentiel thérapeutique du cannabis est très prometteur», estime Claude Vaney. Une réglementation permettrait de mener des études à plus grande échelle. MMK
Un festival célèbre le CBD

 

Dans un célèbre sketch, l’humoriste français Jamel Debbouze imaginait un monde où Jésus, au lieu de dire «buvez ce vin, c’est (sic) mon sang», se serait exclamé «fumez ce shit, c’est mes cheveux». Un monde où serait célébré le «petit goût fruité» du cannabis, plutôt que celui du beaujolais.

 

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Avant lui, Coluche avait déjà exploré le filon, avec le personnage de Gérard et ses critiques avinées sur le «hakik». Une manière de souligner, par l’humour, le poids de la culture et de relativiser la mauvaise image véhiculée par le cannabis.
Cette proximité entre culture du vin et du chanvre a inspiré deux Vaudois, à l’origine du «CBD festival» qui célébrera à Lausanne, les 15 et 16 septembre prochains, le cannabis légal, son goût, ses propriétés, les différentes manières de le consommer etc. Une sorte de fête des vendanges du cannabis.

 

«Nous profitons de l’engouement actuel pour le CBD pour promouvoir les artisans et produits locaux. L’idée est de montrer toute la palette de produits qui peuvent être faits avec le cannabis légal: huile, beurre, etc.», explique Adil Brunet, l’un des deux organisateurs. Les amateurs de fumette pourront s’en donner à cœur joie même si les responsables du festival «souhaitent mettre en avant d’autre modes de consommation que la combustion, comme l’extraction».

 

Au programme: des conférences, notamment sur les vertus thérapeutiques du chanvre, mais surtout de la musique et une palette d’artistes – locaux eux aussi. En point d’orgue, la «CBD cup», concours du meilleur cannabis légal de suisse. Loris Burnand, l’autre organisateur, explique que l’idée est de mettre en avant «le savoir-faire des agriculteurs locaux».
Cette opération, festive, cherche à rendre le cannabis à très faible teneur en THC plus respectable, en axant la communication sur le terroir, le savoir-faire, le bien-être et sur l’absence d’effets psychotropes. De quoi rendre prémonitoire le sketch de Jamel Debbouze. MMK

 

Mohamed Musadak

 

Source: Le Courrier.ch


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