La dangereuse prohibition du cannabis

La dangereuse prohibition du cannabis
Par mrpolo ,

CHRONIQUE - Loin de légaliser le cannabis, un récent rapport parlementaire préconise au contraire de continuer à le réprimer. Une attitude qui conduit à nourrir trafic et délinquance.

photo Drew Angerer/Getty Images/AFP
 

« Plaisante justice qu'une rivière borne ! Vérité au-deçà des Pyrénées, erreur au-delà. » Si l'on substitue l'Atlantique aux Pyrénées, la formule désabusée de Pascal donne une bonne idée de la situation actuelle s'agissant du cannabis. Alors que son usage récréatif est autorisé en Californie depuis le 1er janvier, portant ainsi à huit le nombre d'Etats américains ayant fait le choix d'une légalisation totale, notre pays est en train de prendre le chemin inverse, en développant son arsenal répressif. L'Amérique fume et la France s'étouffe.

Dépénalisation de fait

Le récent rapport parlementaire sur la « contraventionnalisation » du cannabis, loin de constituer une première étape vers la libéralisation, comme on a pu le lire, assume et empire la prohibition. Les rapporteurs constatent qu'il existe aujourd'hui une « dépénalisation de fait » : sur les 140.000 personnes interpellées chaque année pour avoir fumé un joint dans la rue, l'immense majorité écope d'un simple rappel à la loi.

Sans compter les innombrables cas qui, par nature, échappent aux statistiques officielles, où la police préfère fermer les yeux : qu'on me permette à ce sujet de partager un souvenir d'adolescence, où les agents ayant arrêté notre petite bande sur un trottoir parisien n'avaient trouvé comme tout élément suspect, après la fouille au corps, que mon carnet de vocabulaire d'allemand et nous avaient laissés partir en ricanant sur les bons élèves qui s'encanaillent.

Tolérance de bon sens

En proposant d'établir une amende de quelques centaines d'euros, les rapporteurs souhaitent mettre fin à cette tolérance de bon sens, fruit de décennies d'interactions entre des consommateurs qui ne font de mal à personne et des forces de l'ordre qui ont mieux à faire. L'hypothèse la plus brutale mais, hélas, la plus probable, portée par l'actuelle majorité parlementaire, consisterait à conserver le caractère délictuel (et donc la possibilité de la prison) ; une proposition plus progressiste est formulée par le jeune député (LR) Robin Reda, qui souhaite que la consommation de cannabis cesse d'être une infraction pénale.

 

Mais, dans les deux cas, les sanctions seraient en pratique renforcées et l'interdit moral réaffirmé. Comme toujours, les plus défavorisés seront les premiers à en pâtir : le bobo pourra continuer à fumer ses pétards à l'abri de son appartement lambrissé, tandis que les jeunes des quartiers se feront poursuivre dans les cages d'escalier.

Débat anachronique

Cet anachronique débat sur la contraventionnalisation repousse d'autant celui que nous devrions ouvrir sur la légalisation. On a épuisé depuis longtemps la litanie des arguments rationnels, que la plupart des responsables politiques admettent d'ailleurs en privé. Fondamentalement, je n'accepterai jamais l'idée de crime sans victime : je m'en tiens à l'excellente définition de notre déclaration des droits de l'homme, dont l'article 4 stipule que « la liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui ».

En ce sens, c'est la prohibition qui me semble criminelle, en nourrissant trafic et délinquance, tandis que la légalisation respecterait les choix personnels de citoyens adultes.

 

Mais sans même en appeler aux libertés individuelles, de simples considérations de santé publique devraient suffire à emporter la conviction : avec la légalisation vient la régulation, qui permet le contrôle du produit, la protection du consommateur et le déploiement de politiques de prévention (en particulier à l'égard des mineurs).

Sans compter les bienfaits de l'innovation dans un marché concurrentiel : les e-cigarettes au THC que j'ai pu tester au  Colorado procurent le même effet relaxant sans le véritable poison qu'est la nicotine souvent contenue dans le joint. Et quand je vois l'hystérie qui se propage aujourd'hui sur les réseaux sociaux, je ne peux m'empêcher de penser qu'un usage raisonné du cannabis serait un bienfait pour le débat public.

Hypocrisie vertueuse

Mais puisqu'un régime qui se revendique pourtant « libéral » semble incapable de prendre à bras-le-corps un tel sujet de société, je plaiderai aujourd'hui pour le statu quo. Face à de mauvaises lois, la société a développé une forme d'hypocrisie vertueuse.

Les cinq millions de consommateurs annuels de cannabis ne sont, à de regrettables exceptions près, pas inquiétés par la police et encore moins par la justice. Avant de les reconnaître, voire de les dédommager comme c'est aujourd'hui le cas en Californie (où les licences de vente au détail sont réservées en priorité aux victimes de la prohibition !), laissons-les vivre.

Par Gaspard Koenig / philosophe et president du Think Tank Generation Libre

 
Source: lesechos.fr

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