« Faut-il dépénaliser le cannabis ? » : l’imprécateur, le soigneur, le « new dealer »


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« Faut-il dépénaliser le cannabis ? » : l’imprécateur, le soigneur, le « new dealer »

 

Jean-Pierre Couteron | Président de la Fédération Addiction

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« Faut-il dépénaliser le cannabis ? »

Le livre « Faut-il dépénaliser le cannabis ? » tente d’évaluer l’intérêt de « dépénaliser le cannabis » [l’un des auteurs, Laurent Appel, est blogueur sur Rue89, ndlr]. L’objectif de la collection est d’organiser un débat cadré par un médiateur.

Les éléments d’introduction d’Ivana Obradovic, chargée d’étude à l’OFDT et chercheuse au Curapp, rappellent des faits utiles :

  • l’origine de la loi et son fonctionnement binaire enfermant l’usage entre maladie ou délit ;
  • les résultats décevants de la politique dite de « guerre à la drogue » amorcée par les USA en 1971 ;
  • les alternatives possibles comme dépénaliser, décriminaliser, contraventionnaliser, légaliser.

Elle précise la situation française :

  • l’usage n’a cessé d’augmenter ;
  • la pénalisation s’est accentuée, le nombre d’interpellations pour usage de drogue (dont 90%, concernent le cannabis) a été multiplié par 6 entre 1990 et 2000 (actuellement 120 000 procédures) ;
  • la sanction a évolué, si le rappel à loi reste majoritaire (environ 6000 incarcérations annuelles pour usage), elle devient de plus en plus sanitaire ou pécuniaire, notamment avec les amendes et les stages payants.

Trois pistes sont ouvertes pour évaluer la pénalisation :

  • l’absence de lien univoque entre niveau d’usage et état de la législation ;
  • un impact négatif sur le marché, le cannabis est moins cher et plus dosé, l’autoculture s’est accentuée comme la production locale « industrielle », les achats se déplacent sur Internet ;
  • un coût de 523,5 millions d’euros par an pour la répression du cannabis et de 36,5 millions pour la prévention et la prise en charge.

Jean Costentin, sauveur de l’humanité !

Après cette introduction, ce neurospsychopharmacologue, trois fois docteur (en médecine/pharmacie/es-sciences), magnifie d’abord sa personne et la mission d’alerte qu’il s’attribue. Délaissant toutes références aux études scientifiques, limitant sa bibliographie à deux livres de la fin du XIXe siècle (l’aliéniste Moreau de Tours et le poète Baudelaire), ses propres travaux sur le cannabis restant introuvables hors de ces livres, il multiplie les comparaisons outrancières dans une posture politicienne, fidèle à ses engagements au Ceru, ce think tank de l’UMP où il retrouve Bernard Debré et des membres de l’UNI.

Il moque ses contradicteurs, « la carpe et le lapin », dénigre les « conseillers occultes », « ces sœurs Anne qui ne voient rien venir », les « pseudos préventeurs ». Il est le seul capable de sauver l’humanité.

Affirmer n’est pas prouver

Seule la question de la dangerosité du cannabis l’intéresse : prenant l’exemple du tabac, non interdit quand il en aurait été temps, il exhorte à ne pas répéter la même erreur avec le cannabis qui est un danger absolu. La notion d’usage épisodique (un joint de temps en temps) serait une invention et la théorie de l’escalade une vérité (tout consommateur de substance passe à une autre plus dangereuse).

Les risques sont partout, rajeunissement des usagers, désorganisation psychique, risque schizophrénique, baisse des apprentissages. Les formules se succèdent, sur la permanence de l’effet (un joint=une semaine), sur le pouvoir addictif (aussi fort que le tabac), sur le goût de la transgression.

Tsunami, inondation, incendie, il faut faire peur, viser un effet médiatique, produire des images qui « marquent », même si elles prouvent tout et son contraire. La souris de laboratoire qui « oublie » où se trouve son île-refuge après injection de THC pur (pratique inconnue chez les usagers de cannabis) est la même qui se retrouve aussi dépendante de biscuits Oreo que de cocaïne !

 

La prison, rien que la prison, toute la prison

Dès lors, il ne prend pas part au débat, et procède par les mêmes « dérapages inopinés du saphir de [sa] pensée, à partir d’un sillon de son disque dur psychique », selon une de ses formules.

Interdire la vente aux mineurs ? Ça ne marche pas avec l’alcool et le tabac ! Augmenter les prix, regardez le marché noir des cigarettes ! La légalisation : les dealers ne se transformeront pas en vendeurs de fraises Tagada !

Il arrive à sa conclusion : contre le cannabis, il faut Costentin et la loi, ses amendes (présentées en francs !) et ses peines de prison suffiront.

Rigaud et Appel : un constat partagé

La contradiction est apportée par Alain Rigaud, président de l’ANPAA et de la FFA, responsable d’un pôle d’addictologie hospitalier en Santé mentale et Laurent Appel, journaliste, responsable du plaidoyer pour l’association Asud. Reprenant les mêmes interrogations sur les effets, avec une évaluation différente et dont ils donnent sources et références, ils renvoient le cannabis à sa réalité de substance psychoactive présentant des dangers qu’il convient d’éviter.

La principale différence concerne un usage épisodique qui ferait du cannabis un concurrent potentiel de l’usage d’alcool pratiqué par 30 millions de nos concitoyens : ils le jugent possible, « 70 à 80% des consommations ne posent pas problèmes », soulignant même un rôle « occultant du cannabis… qui masque la dangerosité de l’alcool ».

Cela conduit au deuxième axe de leur raisonnement, sur les effets de la prohibition. Les risques de produits frelatés ; les gangs qui s’affrontent pour en contrôler les territoires, mais aussi son attrait « économique » pour des jeunes exclus et des familles en rupture, et les effets d’autodéfense et autres intégrismes qui en découlent les amènent à conclure que « le principal dommage social du cannabis devient la violence liée à sa prohibition et à son marché clandestin ».

Cela s’ajoute à l’échec de la pénalisation pour contenir l’inflation de l’usage et donc des risques sanitaires tout en compliquant la prévention, l’accès au soin, la réduction des risques.

Deux alternatives : sanitaire ou sociétale

Après ce constat écrit en commun jusqu’à la page 96, leurs routes divergent. Privilégiant les risques sanitaires, Alain Rigaud défend une dépénalisation de « l’usage simple » qui préserverait un interdit social et ne serait une infraction que dans des cas spécifiques (conduite, utilisation d’engins dangereux).

Elle permettrait une réduction des risques sanitaires en éduquant au bon usage (abandon du joint au profit de la vaporisation par exemple) et serait accompagnée d’une prévention relancée. L’usage simple d’alcool ou de cannabis serait sanctionné de la même façon par un entretien d’évaluation addictologique, aux frais de l’usager sans qu’il soit précisé dans quelles circonstances « l’interpellation » serait possible et ses modalités de répétitions. En cas d’usage problématique, une injonction de suivi addictologique serait prononcée. Mais rien n’est dit concernant les dommages sociaux et le trafic.

Laurent Appel formule une triple critique à l’égard de la solution imaginée par Alain Rigaud :

  • d’abord, la crainte que dépénaliser n’aboutisse à médicaliser. Si l’on reconnait l’usage récréatif de millions d’usagers, pourquoi leur imposer de se faire diagnostiquer ?
  • Ensuite le risque d’inégalité, la contravention sera plus facile à acquitter pour les uns et les contrôles au faciès plus souvent réservés aux autres.
  • Enfin, la contravention associée à une transaction douanière expérimentée sur certains lieux sera complexe à étendre dans une époque budgétaire contrainte.

Sortir des excès du marché et de la violence du trafic

Il défend une autre solution, centrée sur les dommages sociaux, la production et le commerce. Il propose un marché règlementé, renouvelant ce qu’avait pu proposer Francis Caballero. Légalisant l’usage, la production et le commerce, il souhaite un New Deal à la Roosevelt où l’argent du cannabis, estimé à 2,73 milliards de contributions, aiderait à sortir de la crise l’actuelle comme la taxation de l’alcool avait financé la sortie de la grande dépression après la Prohibition.

Seuls les usages dangereux seraient pénalement sanctionnés mais la préoccupation de santé n’est pas oubliée. D’une part, une régie restrictive assurerait la production et une diffusion contrôlée du produit, veillant à sa qualité sanitaire, au respect de l’âge minimum des consommateurs, des lieux de vente, tirant les leçons des méfaits du libre accès à l’alcool et au tabac. D’autre part, un système de cotisation permettrait de flécher les bénéfices vers la prévention et les soins, évitant leur habituelle disparition dans les différents trous budgétaires.

Son modèle, « un bon hybride de libéralisme et de cogestion, ni trop capitaliste, ni trop étatique », évitant un marché concurrentiel trop incitatif, donnerait un travail (260 000 emplois estimés) plus crédible aux dealers et autres ayants droit que la vente de fraises Tagada !

Un choix de société

Le débat qui s’amorce ainsi entre Appel le « new dealeur » et Rigaud le soigneur répond à l’ambition d’aider le lecteur à se faire une opinion, bien plus que les imprécations du politicien Costentin. On peut regretter, avec Ivana Obradovic, que la question du choix de société, de l’environnent social et politique n’ait pu se prolonger, car c’est une des clés de ce débat. La proposition de Laurent Appel a le mérite d’essayer de répondre autant aux risques sanitaires qu’aux effets délétères de la pénalisation.

Le plan gouvernemental de lutte contre les addictions opte pour une mobilisation des acteurs de première ligne, en ville, dans les hôpitaux et dans les Consultations jeunes consommateurs (CJC). Elle les invite à optimiser une rencontre avec les millions d’usagers d’alcool, de tabac ou de cannabis, sans en rester à un modèle trop médicalisé dans lequel ils ne se reconnaissent pas facilement. Mais il n’ose rien sur la manière dont la loi actuelle et le consumérisme organisent, eux, la rencontre avec les substances.

La lecture de ce livre montre ce que pourrait être une nouvelle politique des addictions, qui n’opposerait pas ces évolutions des pratiques et un nouveau contexte de production et de commercialisation, elle enrichit d’un autre point de vue ce que nous défendions avec Alain Morel dans un précédent livre « Drogues, faut-il interdire ? ». Elle permettrait de sortir de l’impasse présente qui pénalise d’une main des usages qu’elle encourage de l’autre. Il serait temps de pouvoir en débattre.

 

 

Sources: RUE 89

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Salut,

 

je file l'acheter dès qu'il sort :pro:

 

 

Citation du texte : " « le principal dommage social du cannabis devient la violence liée à sa prohibition et à son marché clandestin ». "

 

 

 

:yepah:

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