Drogue : Pour Une Politique Du Moindre Risque


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Drogue : pour une politique du moindre risque

 

PAR OLIVIER VÉRAN DÉPUTÉ (PS) DE L’ISÈRE

 

Un monde sans drogue est une utopie. Les faits sont là, malgré des budgets conséquents consacrés à la «lutte contre la toxicomanie», 80 millions d’Européens ont déjà consommé, au moins une fois, une drogue illicite. Si cette réalité-là est une évidence pour les médecins ou les anthropologues, c’est pourtant un idéal d’éradication des drogues qui a longtemps structuré le discours, et l’action politique. Le simple usage des drogues relève encore du pénal, et fait toujours de l’usager un délinquant. Des années 60 aux années 90, cette politique, uniquement répressive, a eu des effets désastreux en matière de santé publique. Pour les usagers de drogues injectables, déjà confrontés à la dangerosité des produits, aux risques liés aux conditions d’injection, aux overdoses, s’est ajoutée la menace du VIH, et de l’hépatite C.

 

Ces années noires de l’explosion des contaminations ont créé un véritable traumatisme, tant chez les usagers, que dans le milieu médico-social et associatif. Dès lors, dans les années 90, un changement de référentiel s’est imposé : libéralisation de la vente des seringues, ouverture de programmes de substitution et de lieux d’accueil pour toxicomanes. Les bénéfices ont été réels : réduction par 4 du nombre de décès par overdose, tandis que la prévalence du VIH chutait de 30% des usagers à 2%.

 

Pourtant, bien que la politique de réduction des risques constitue le paradigme dominant en Europe, elle demeure en France, un espace de conflits idéologiques.

 

L’opposition entre drogues licites et illicites est ici éclairante. Ce n’est pas sur le seul critère de dangerosité que la frontière a été tracée entre produits, mais également en fonction de critères moraux, économiques et sociaux.

 

C’est ainsi que l’alcool a longtemps véhiculé des valeurs de convivialité.

 

Il faut d’abord renforcer les moyens destinés à l’éducation à la santé, et à la prévention des addictions dès l’école. Ensuite, étendre la politique de réduction des risques au milieu carcéral. Enfin, innover, en permettant aux villes qui le souhaitent d’expérimenter des salles de consommation à moindres risques, comme le propose la loi santé de Marisol Touraine discutée mardi à l’Assemblée nationale. Mais pour que cette politique soit soutenue, et comprise, il y a loin de la coupe aux lèvres. En témoigne les polémiques que le projet d’ouverture de ce type de salles déclenche.

 

En les rebaptisant «salles de shoot», leurs détracteurs font usage d’une sémantique révélatrice des représentations qu’ils veulent susciter. Avec la salle de shoot, on est dans le vice, l’interdit. La brutalité du mot renvoyant à la violence d’un acte de destruction, et provoquant la réprobation sociale. Avec la «salle de consommation à moindre risques», on est dans le champ sanitaire, le médical ; on est dans la gestion d’un fait, pas dans la condamnation d’un geste… bref, on est dans le réel, un réel qui s’appuie sur trente ans d’expériences internationales. Car ces salles existent déjà ailleurs : 13 en Suisse, 40 aux Pays-Bas, 30 en Allemagne… et tous les résultats se recoupent : baisse des décès liés aux overdoses, chute du partage de seringues et, donc, de la propagation des maladies, meilleur acceptation des traitements de substitution mais aussi réduction des nuisances publiques.

 

Source: liberation.fr

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