Pourquoi les pneumologues sont les mieux placés pour ouvrir le débat sur le cannabis


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Pourquoi les pneumologues sont les mieux placés pour ouvrir le débat sur le cannabis

 

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SANTÉ - Je suis pneumologue et je me suis exprimé récemment à l'antenne de France info pour inciter à la dépénalisation du cannabis. Cette question sera également débattue lors du congrès de la pneumologie qui se tiendra à Lille du 29 au 31 janvier 2016. Voici les raisons concrètes de ce positionnement.
 
Etat des lieux

Plus de 17 millions de français ont expérimenté le cannabis, 4,6 millions sont consommateurs et 1,4 millions en consomment plus de 10 fois par mois actuellement selon l'Office français des drogues et des toxicomanies. Le dernier Eurobaromètre sur la consommation de drogues en Europe place la France sur la première marche du podium de la consommation avec 45% d'utilisateurs dont 25% dans l'année alors que dans un pays tel que les Pays-Bas, la consommation des jeunes est de 29%, dont 15% dans l'année.

 

En outre, les jeunes français consomment majoritairement de la résine de cannabis mélangée à du tabac sous forme de joints, une forme de cannabis particulièrement nocive du point de vue du pneumologue en raison:

  • du tabac contenu qui contribue au maintien et à la récidive tabagique chez les très nombreux consommateurs qui ont été ou sont dépendants au tabac,
  • de la fumée qui est 6 fois plus chargée en particules et en monoxyde de carbone qu'une cigarette de tabac et provoque à côté des effets neurologiques du cannabis, des infections respiratoires, des bronchopathies chroniques obstructives (BPCO), des atteintes du poumon profond et des cancers du poumon.

Dans de nombreux pays la marijuana (les extrémités fleuries des plants de cannabis femelles) est utilisée seule, sans tabac. Dans les Etats américains où le cannabis a été toléré ou autorisé, la consommation se fait majoritairement à l'aide de vaporisateurs, gros vaporisateurs ressemblant à des théières permettant d'inhaler le cannabis à partir de petits sacs en plastique recueillant la vapeur ou vaporisateurs miniatures.

 

Un constat en apparence paradoxal
L'idée simple que, plus la législation sur un produit est répressive moins l'on consomme a prouvé son inefficacité lors de la grande prohibition de l'alcool aux USA dans les années 30 et en 2016 en France avec la prohibition totale du cannabis.

 

Dans les pays développés, il est frappant d'observer que plus la législation est répressive, plus la consommation est importante  et qui plus est, se fait avec les produits les plus toxiques. Il existe un fossé entre le statut législatif du cannabis en France et la réalité de terrain vécue chez les jeunes. La France a une des législations les plus sévères, la loi de 1970, mais est le pays d'Europe où l'on consomme le plus de cannabis chez les jeunes. Cette consommation est bien moindre aux Pays-Bas, où pourtant la législation est beaucoup plus souple. Les actions de prévention, chez les jeunes ou en milieu de travail, sont, de plus, grandement gênées par le statut illégal du cannabis en France. A ce constat, on peut rajouter les effets collatéraux liés au trafic de ce marché qui se chiffre en milliards d'euros et minent la vie sociale dans de nombreux quartiers.

 

Un débat de santé publique difficile
Beaucoup d'organisations ou d'individus prônent la libéralisation de la législation du cannabis dans le but de faire la promotion de sa consommation, cette démarche conduit très logiquement à l'inquiétude des décideurs qui restent figés dans la loi de 1970 et ce blocage est la cause de la place le champion d'Europe de la consommation de cannabis et d'un type de consommation à forte toxicité pulmonaire.

 

La démarche en débat chez les pneumologues qui a un objectif clair de réduction des risques et de réduction de la consommation n'exclue en rien un changement de la législation, bien au contraire le nécessite. Mais pour aboutir à ce changement de législation, il faudrait une Simone Veil ou un autre politique qui soit capable de transcender les partis et que ceux-ci acceptent d'aborder sans tabou la réalité de cette consommation, diabolisée par beaucoup de parents et de décideurs politiques et complètement banalisée par les jeunes et d'aborder des solutions dans l'intérêt des français et de la France, sans chercher la critique de l'adversaire politique à des fins électorales attisées par des médias cherchant voire même provoquant le conflit entre les décideurs pour faire le buzz.

 

La prise en compte de la réduction du risque et de la consommation de cannabis n'est pas plus un problème de gauche que de droite, de ville que de campagne, c'est en revanche un problème qui touche les jeunes. L'eurobaromètre montre qu'ils sont 3% à vouloir une libéralisation complète, 14% à vouloir le statu quo et 83% une réglementation en remplacement de la pénalisation actuelle. Une nouvelle loi est nécessaire comme cela a été fait, malgré les difficultés, pour le tabac et l'alcool: on consomme en France 50% moins de tabac et 25% fois moins d'alcool par habitant qu'au moment du vote il y a juste 25 ans depuis la loi Evin du 10 janvier 1991, deux drogues légales encadrées de façon pragmatique par la législation alors que la consommation de cannabis qui est totalement prohibée en France a augmentée de 20%.

 

Des solutions proposées dès maintenant aux praticiens pour aider les consommateurs à réduire le risque:

  • Ne plus utiliser de tabac
  • Chez tout fumeur ou ancien fumeur dépendant au tabac ne voulant pas quitter le cannabis, conseiller:
  • soit d'utiliser des plantes à fumer telles que décrites dans l'article 21 de la Directive 2014/40/UE sur les produits du tabac qui va être transposée en droit français d'ici mai 2016. Ces plantes peuvent être achetées en 2 clics sur internet ou dans certaines herboristeries.
  • soit de ne consommer que de la marijuana (de l'herbe) pour éviter la dépendance nicotinique.

Bien entendu en insistant sur le fait que l'arrêt de toute consommation est le bon objectif et que cet objectif de réduction du risque n'est qu'un pis-aller pour la santé.

 

Utiliser des systèmes de vaporisation plutôt que des joints
Chez tout fumeur de cannabis, le médecin qui ne peut obtenir l'arrêt de la consommation peut comme pis-aller recommander la réduction du risque respiratoire en utilisant des systèmes de vaporisation (sans fumée) encore peu répandus en France.

 

Néanmoins, que ce soit avec de gros vaporisateurs qui vaporisent la plante ou des petits vaporisateurs portables de cannabinoïdes ressemblant à des e-cigarettes sur lesquelles on dépose une goutte de produit, les risques pulmonaires sont à priori bien moindres qu'avec les joints, bien que la température de chauffe soit proche de celle des techniques de dry-hit utilisés par certains vapoteurs avec leurs e-cigarettes.

 

L'analyse précise des produits et techniques de vaporisation dans les nombreux états aux USA devrait rapidement permettre de mieux cerner aussi bien les dispositifs de vaporisation que les produits du cannabis à vaporiser. Comme on a pu le constater avec l'e-cigarette, les pays où cette utilisation est légale ont eu rapidement accès à des produits du cannabis et des appareils de qualité alors que dans ceux où l'utilisation est illégale, beaucoup de produits restent de piètre qualité, comme c'est le cas actuellement en France pour le cannabis.

 

Les dangers potentiels des cannabis de synthèse 
La commercialisation sur internet, de quelques 130 cannabinoïdes de synthèse avec, pour certains d'entre eux des effets psychotiques puissants, pose problème. Une centaine d'entre eux -pourtant agissant sur les récepteurs CB1 ou CB2 du cannabis- sont en vente libre, seule une petite fraction de ces produits sont formellement interdits. Ils passent souvent à travers les mailles du filet tant la traçabilité est aléatoire. Ils se présentent le plus souvent en sachets de plantes à brûler imbibées de cannabinoïdes et se consomment sous forme de joints, exposant à la fumée. En l'état actuel des connaissances, on ne peut que déconseiller ces produits; mais il est possible que, dans le futur, certains apparaissent comme des produits de réduction du risque par une prise en vaporisation par rapport à la résine de cannabis fumée dans des joints avec du tabac.

La position qui sera discutée au congrès de pneumologie 29-31 janvier 2016 à Lille
Alors que depuis la loi Evin du 10 janvier 1991 la consommation par habitant des 2 principales drogues légales en France ont diminué de 50% pour le tabac et de 25% pour l'alcool, le statut pénal du cannabis est associé à une augmentation de 20% de la consommation de cannabis chez les jeunes.

 

Les travaux de l'OFDT ont montré l'absence de lien direct entre statut pénal et niveau d'usage. Les données européennes récentes montrent une consommation plus élevée dans les pays ayant le traitement le plus répressif. En 2014 La France est numéro 1 en Europe avec la Tchéquie avec 46% d'expérimentations et 26% d'utilisations dans l'année.

 

L'Eurobaromètre 2014 montre que seuls 3% des jeunes français sont pour une libéralisation totale du cannabis; 14% demandent le statu quo pénal, 83% voudraient que le produit soit disponible dans un cadre réglementaire.

 

A côté de ses effets neurologiques, la consommation de cannabis a des effets respiratoires liés à la fumée (infection, BPCO, cancer) et favorise les rechutes du tabagisme liées à la co-consommation de nicotine. Ces effets peuvent être supprimés ou réduits par d'autres modes de consommation.

Pour les pneumologues, le joint de résine de cannabis associé au tabac est la méthode la plus nocive de consommation du cannabis et pourtant la plus répandue en France.

 

La consommation de résine avec des plantes à fumer au lieu de tabac ou la consommation de Marijuana (sommités fleuries des plans de cannabis) sans tabac supprime le sur-risque de rechute d'une dépendance nicotinique.

 

La vaporisation d'huile de cannabis avec de grands vaporisateurs ou des vaporisateurs ayant la forme (mais non la fonction exacte) des e-cigarettes supprime l'effet fumée et la prise de nicotine et constitue une réduction de risque à défaut d'un arrêt total de la consommation, qui est toujours l'objectif ultime en terme de santé publique.

 

Les connaissances sur les cannabis de synthèse non formellement illégaux vendus sur internet sont insuffisantes. Dans l'état actuel des connaissances, les médecins ne peuvent que recommander de ne pas utiliser ces produits.

Source: huffingtonpost.fr



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