Daniel Vaillant : “Il est urgent d’ouvrir un débat dépassionné sur le cannabis”


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Daniel Vaillant : “Il est urgent d’ouvrir un débat dépassionné sur le cannabis”

 

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Décembre 2013, dans le Colorado (Rick Wilking/Reuters)

Ni libertaire, ni laxiste, ni fumeur de pétards, l’ancien ministre de l’Intérieur Daniel Vaillant appelle à l’ouverture d’un “débat dépassionné” sur la légalisation du cannabis. Entretien.

 

Le député socialiste Daniel Vaillant, ministre de l’Intérieur de Lionel Jospin de 2000 à 2002, et biologiste de formation, avait remis au groupe socialiste à l’Assemblée un rapport en 2011 préconisant la légalisation contrôlée du cannabis. A la suite du pneumologue Bertrand Dautzenberg, qui a fait resurgir le débat fin janvier, il réaffirme sa position, et appelle à l’ouverture d’un grand débat public.

 

Le pneumologue Bertrand Dautzenberg s’est prononcé pour la légalisation encadrée du cannabis. Cela témoigne-t-il d’une avancée vers l’ouverture d’un débat à ce sujet ?
Daniel Vaillant – J’apprécie qu’un pneumologue vienne à la rescousse sur ce sujet, avec une argumentation légèrement nouvelle : ne serait-ce que pour éviter la consommation tabagique, évitons le cannabis, qui est souvent consommé comme une adjonction au tabac. D’une certaine manière le tabac est même plus dangereux que le cannabis s’il est consommé dans des conditions normales, sans adjuvant, avec un taux de THC faible, et s’il est issu d’une exploitation non intensive.
 
Ce que j’avais préconisé avant l’élection présidentielle était l’ouverture d’un débat, car la société française est bloquée sur le sujet pour des raisons éminemment politiques – peut-être même politiciennes. Je ne reviens pas sur ce que j’ai dit. Je pense toujours que la prohibition conduit plutôt à la consommation. La législation française, une des plus répressive d’Europe avec la République Tchèque, conduit les jeunes français à consommer de plus en plus. Les jeunes n’ont pas peur de cette substance : on essaie de leur faire peur, mais ils n’y croient pas. Je confirme que le cannabis est un produit dangereux, qu’il conviendrait d’en consommer de moins en moins, mais quitte à ce qu’on en consomme, j’aimerais qu’on le fasse de la manière la plus hygiénique possible. Or on a tout faux pour le moment. D’où la résurgence du débat.

 

Au niveau politique, le silence est assourdissant sur le sujet en dépit de quelques tentatives depuis 2011, dont votre rapport. Pensez-vous que la situation est mure pour qu’on ouvre un grand débat public ?

Pour avoir été le premier, en 2003, à avoir proposé une légalisation contrôlée du cannabis, avec une politique de prévention et d’information beaucoup plus efficace pour dissuader de consommer, une contraventionnalisation de la conduite à risque et avec une répression beaucoup plus forte des trafiquants et de ceux qui profitent dans le crime et la délinquance du commerce de cette substance, j’estime que oui. Il est temps. Il est urgent d’ouvrir un débat dépassionné sur le sujet. Je suis contre le tabagisme, contre la consommation de cannabis et contre la consommation abusive d’alcool, qui est la drogue la plus dangereuse de toutes, et je pense qu’il faudrait un débat dans une France un peu plus apaisée sur le sujet.

 

Je ne veux pas être dans l’idéologie : j’essaie de voir comment faire en sorte que la consommation cannabique problématique recule. Si c’est un débat de polochon entre la droite et la gauche, les ‘éclairés’ et ceux qui refusent, ce n’est pas la peine, on n’avancera pas. Le thème du cannabis thérapeutique a commencé à poindre avec la décision de Marisol Touraine sur le Sativex (médicament dérivé du cannabis vendu en pharmacie pour soulager les malades de sclérose en plauqe, ndlr), mais ça ne règle pas l’ensemble des problèmes. C’est une avancée psychologique : le cannabis n’est pas la molécule de tous les maux et de tous les dangers.

 

Pourtant c’est souvent le discours qu’on entend à l’évocation du cannabis, et ceux qui soutiennent sa légalisation sont accusés de “laxisme”…
On fait comme si le cannabis était aussi dangereux que la cocaïne, l’héroïne, le crack et les molécules de synthèse. Je ne le crois pas. Il faut essayer de faire comprendre aux jeunes que c’est une mauvaise chose de consommer du cannabis, en appelant à l’intelligence, au respect de sa propre vie plutôt qu’en ayant recours à une logique de chasse à la fumette. D’autant plus que les effectifs de police et de justice mobilisés coûtent très cher à l’Etat, et ils n’ont pas toujours les bonnes réponses pour lutter contre les trafics. La légalisation contrôlée est une solution : il faut suivre la production et l’importation d’une filière authentique, déclarée, transparente.

 

Quelques chercheurs préconisent même d’utiliser l’argent de la taxation issue de la vente légale et contrôlée du cannabis peut être dédié à la prévention et à la dissuasion. Il faudra aussi harmoniser la législation au niveau de l’Europe. Tant que des gens pourront acheter du cannabis à Amsterdam alors que c’est interdit chez nous, il y aura des effets d’aubaine.

 

Comment obtenir un consensus transpartisan sur ce sujet toujours sulfureux ?
La fin de vie vient d’être promulguée par le président de la République, et la loi a été adoptée par le Parlement dans une forme d’évolution consensuelle. Bien nous en a pris de faire ainsi ! Certains voulaient aller plus loin en proposant le suicide assisté. Ça ne me dérange pas, mais j’ai voté chaleureusement pour la solution consensuelle, pour éviter de recréer un débat conflictuel, qui nous aurait fait perdre du temps et aurait encore divisé la société.

 

Sur la consommation cannabique en France, on pourrait évoluer de la même manière, pour que ce ne soit plus un sujet tabou. A cause de ma proposition, je me suis fait traiter de fumeur de joint alors que je n’en ai jamais consommé de ma vie. Je ne crois pas que la prohibition qui évitera le danger. Le danger vient du fait qu’on est arc-bouté sur la loi de 1970, comme les Etats-Unis l’ont été sur la prohibition de l’alcool.

 

François Hollande est-il sensible à la question ?
J’ai eu l’occasion de lui en parler avant qu’il ne soit élu président de la République. Il comprenait que je me pose ces questions, car j’ai été biologiste, et que je suis un député concerné – les XVIIIe et XIXe arrondissements sont concernés. Mais être président de la République est une situation anormale. On veut rassembler, ne pas fracturer. Je comprends qu’il n’ait pas voulu ouvrir un débat qui aurait sans doute divisé sa majorité. Quand Peillon ou Duflot ont essayé de rejoindre mes pas, le débat s’est arrêté net. Le Premier ministre lui-même n’était pas favorable. Montebourg m’avait claqué la porte au nez. D’autres, encore membres du gouvernement actuellement, m’avaient dit : ‘c’est ridicule, ça va faire un appel d’air.

 

Je pense qu’ils ont tort, mais je ne les insulte pas. Ils sont aux responsabilités, et je les soutiens par ailleurs car il n’y a pas que le cannabis. Je préfère aborder le sujet par le débat car ça traverse la société, qu’il y a des millions de consommateurs, et que cela représente une fuite financière dramatique. Tout cela fait le jeu de trafics qui alimentent en plus les réseaux terroristes dont je pensais qu’on voulait les combattre.
 
Propos recueillis par Mathieu Dejean

 

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Source: lesinrocks.com



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