Cannabis : un stupéfiant à démystifier


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On connaît bien les effets psychotropes du cannabis, mais son mode d'action cérébral est encore mal connu. Les mythes d'un produit considéré comme néfaste pour la société et la santé de ses adeptes ont cependant la vie dure.

 

Les fidèles lecteurs du célèbre Lancet , journal faisant autorité dans le monde de la recherche médicale, ont été pour le moins surpris par l'éditorial du 11 novembre dernier. « Deglamorising cannabis » - c'est son titre - commence par une phrase affirmative : « L'usage du cannabis, même sur une longue période, n'est pas dangereux pour la santé » , et se poursuit par une sérieuse mise en cause de l'inertie des politiques sur ce sujet chaud. Il est vrai qu'en Grande-Bretagne, en France comme ailleurs, le refus délibéré d'envisager froidement la question de la décriminalisation de l'usage du cannabis a montré une remarquable inefficacité, sinon à remplir les tribunaux.

 

Ce que l'on sait aujourd'hui de l'action du cannabis, ou chanvre indien*, tient en trois dates clés.

 

 

1964, tout d'abord, avec la découverte du principe actif, le delta- 9-tétrahydrocannabinol* ou THC(1) ;

 

 

1990 ensuite, date de la mise en évidence de récepteurs du THC dans le système nerveux central(2) ;

 

 

1992 enfin : avec les travaux de l'équipe de A.C. Howlett, de l'université de Saint Louis (Missouri), montrant que des produits endogènes libérés par des neurones du cerveau se lient aux récepteurs du THC(3) ; et avec ceux de l'équipe israélienne de Raphaël Mechoulam et du groupe américain de William Devane prouvant qu'une molécule très hydrophobe, baptisée ananda mide (de ananda, félicité en sanskrit), est fabriquée par le cerveau et se lie aux récepteurs cérébraux du THC(4).

 

Il est tentant de faire un parallèle entre l'anandamide et les enképhalines, neuropeptides qui se lient aux mêmes sites que la morphine. A l'époque de la découverte des enképhalines dans des extraits de cerveau, en 1975, les neuropeptides étaient encore peu connus en tant que messagers chimiques du système nerveux central. Ils sont aujourd'hui au moins une vingtaine, sans compter les hormones. L'anandamide est vraisemblablement elle aussi la première d'une nouvelle classe de neuromédiateurs : des lipides qui, comme l'a montré en 1994 une équipe franco-italienne(5), seraient stockés par les neurones sous forme de grosses molécules phospholipidiques scindées au moment de leur libération par les neurones.

 

Comme tous les produits hédoniques, le cannabis suscite la sécrétion de dopamine dans certaines structures du cerveau, mais de façon beaucoup moins nette que les autres stupéfiants. Si l'on connaît ses effets - augmentation de l'acuité visuelle et auditive, modification de la perception du temps, etc. -, on ne sait pas grand-chose de son mode d'action. Les récepteurs du THC, qui semblent très abondants chez l'embryon, décroissent en nombre à la naissance pour augmenter ensuite, jusqu'à atteindre les taux des récepteurs des neuromédiateurs habituels. La distribution des récepteurs du THC est bien connue depuis 1990 et inclut, outre le cervelet et l'hippocampe, la substance noire, particulièrement riche en neurones producteurs de dopamine. Il est probable que le THC agisse sur les récepteurs de ces neurones, et qu'il modifie leur activité.

 

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L'état des lieux est tout compte fait assez expéditif : on connaît deux récepteurs du THC (CB1 pour le cerveau et CB2, découvert en 1993 dans le système périphérique), et sans doute un récepteur stimulé par l'anandamide mais insensible au THC(6). Si l'on a quelques indications sur l'action de l'anandamide sur deux « seconds messagers » qui transmettent les signaux extérieurs au sein des cellules, l'AMP cyclique et le calcium, on est en revanche réduit aux hypothèses au plan fonctionnel. Les connaissances sur le plan neurochimique devraient s'améliorer rapidement, mais il est peu probable qu'elles profitent beaucoup aux études sur la toxicomanie et la dépendance : le cannabis ne déclenchant aucune réaction d'auto- injection chez l'animal (sauf s'il est privé de nourriture), les spécialistes préfèrent travailler sur la morphine, la cocaïne ou les amphétamines. Le fait que le cannabis n'entraîne aucune dépendance physique - ce qui n'exclut pas une éventuelle dépendance psychique - donne à ce produit un statut très particulier : les autres sont bons ou mauvais ; celui-là a des effets indécelables, sauf à des doses absolument irréalistes.

 

Telle est sans doute la source des multiples mythes cannabiniques qui contribuent puissamment à embrouiller les esprits et à envenimer le débat. La plupart proviennent des promoteurs des multiples campagnes anticannabis qui, en quête d'arguments chocs dans un domaine où la prudence scientifique devrait être de rigueur, n'hésitent pas à recourir à de surprenantes simplifications.

 

Le quart d'heure pendant lequel les effets du THC sont relativement incapacitants* devient facilement vingt-quatre heures sous une plume non avertie, tandis que les résultats - négatifs pour qui sait lire des statistiques - d'une étude américaine évaluant ses effets chez les pilotes de ligne sont présentés comme positifs. Tel minis-tre de la Santé, sacrifiant l'objectivité scientifique sur l'autel de la lutte anti-drogue, n'a pas hésité à prétendre que quatre heures après la consommation de cannabis un pilote se pose à cinq mètres de l'axe de la piste, à vingt mètres au bout de douze heures et à quarante mètres au bout de seize heures(7)... alors que l'enquête montrait que la consommation de cannabis par un pilote jeune ramenait, au pire, ses performances à celles d'un pilote un peu plus âgé(8).

 

L'argumentation anticannabinique s'articule ordinairement en trois phases. Tout d'abord, le cannabis est dangereux pour la société. Il est ensuite mauvais pour la santé. Enfin, il mène aux drogues dures.

 

Le fait que le THC soit décelable dans les urines jusqu'à un mois après la consommation de cannabis, contrairement à la plupart des autres stupéfiants, suffit à fausser toute estimation statistique sur le premier point. Une étude sur deux mille accidents de la circulation réalisée aux Etats-Unis par la National Highway Traffic Safety Administration a par exem-ple trouvé 6,7 % de tests positifs, mais plus des deux tiers des conducteurs en question avaient aussi absorbé de l'alcool. Les admissions d'urgence à l'hôpital mentionnent 6,2 % de cas impliquant le cannabis. Un chiffre à tempérer car le produit est, dans 40 % des cas, consommé avec de l'alcool, et dans 20 % des cas avec de la cocaïne. L'usage avéré de cannabis seul représente, aux Etats-Unis, 1 % des urgences médicales. Quant à l'effet apathique - voire « asocial » - du cannabis, il repose une question éternelle, car sans solution : consomme-t-on un tel produit pour résoudre un malaise psychique, ou certains troubles psychiques sont-ils dus à sa consommation ? Les statistiques, là encore, ne permettent pas de conclure à la nocivité du cannabis.

 

Parmi les arguments sanitaires sérieux, sont souvent évoqués les troubles du système reproducteur et les répercussions sur le foetus de la consommation de cannabis par les femmes enceintes.

 

 

Toutefois, aucune des études épidémiologiques menées à ce jour n'a décelé le moindre effet du cannabis sur la fertilité ; l'une d'entre elles a seulement trouvé une légère diminution de concentration spermatique... chez un individu astreint à fumer vingt cigarettes de marijuana par jour pendant un mois ! La forte concentration de récepteurs du THC avant la naissance et le caractère lipophile de ce produit, qui s'oriente préférentiellement vers le cerveau et les gonades, confère cependant quelque plausibilité à cette thèse.

 

 

En 1995, des chercheurs de l'université du Kansas ont ainsi mis en évidence in vitro un effet du THC sur l'embryon de souris(9), effet qui reste néanmoins imperceptible dans les études épidémiologiques. Une éventuelle action néfaste du produit, qui reste à prouver, serait en tout cas à mettre en balance avec ses emplois thérapeutiques reconnus(10) : antinauséeux et antivomitif utilisé par les cancéreux traités par chimiothérapie, le cannabis est très illégalement apprécié des glaucomateux (il abaisse la pression intra-oculaire), et des personnes atteintes du sida, dont il stimule l'appétit(11).

 

 

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Le cannabis serait-il alors le premier rouage menant aux drogues dures* ?

 

 

La France, selon un sondage de la SOFRES datant de 1992, compterait près de cinq millions de fumeurs ayant consommé au moins une fois du chanvre indien dans les trois dernières décennies, alors que, selon les diverses données disponibles, il y aurait entre cinquante et deux cent mille toxicomanes dépendants de la cocaïne ou de l'héroïne.

 

 

Aux Etats-Unis, en 1993, 16 % des étudiants fumeurs de cannabis avouaient avoir essayé la cocaïne, mais ce chiffre n'était que de 1,8 % aux Pays-Bas. Sans doute faut-il y voir un effet de la légalisation contrôlée, qui permet aux jeunes Hollandais de se procurer du cannabis sans se voir simultanément proposer de la cocaïne ou de l'héroïne. Il est néanmoins évident que beaucoup de toxicomanes ont commencé par le cannabis, ce qui pose le problème de l'inégalité devant la dépendance. Le cannabis ne déclenche aucune dépendance physique, mais le risque n'est pas nul qu'il mène une petite minorité d'individus à une dépendance plus sévère. Ce risque n'est en tout cas pas supérieur à celui encouru par les consommateurs de drogues dures : sur mille patients traités à la morphine pour raisons médicales, quatre seulement deviennent dépendants.

 

Malgré les multiples obstacles auxquels elle se heurte, l'élucidation du mode d'action du cannabis reste une urgence scientifique. Elle seule peut dépassionner le débat et ramener à la raison les fantasmes qui l'animent aujourd'hui, et qui ont récemment gagné les vestiaires des stades de football (voir l'encadré). A cet égard, l'éditorial du Lancet cité plus haut était décidément prémonitoire : « Le cannabis est devenu l'enjeu d'une partie de football politique, concluait-il, une partie que les gouvernements ne cessent d'ajourner. Comme les ballons de football, cependant, il ne cessera de rebondir. Tôt ou tard les politiciens devront cesser de se voiler la face et se rendre à l'évidence : le cannabis en lui-même n'est pas un danger pour la société, mais persister à le diaboliser peut en être un. »

 

Jean-Pol Tassin, Nicolas Witkowski

(1) Y. Gaoni et R. Mechoulam, J. Am. Chem. Soc., 86 , 1646, 1964.

(2) M. Herkenham et al., Proc. Natl. Acad. Sci. USA, 87 , 1932, 1990.

(3) D.M. Evans et al., J. Neurochem., 58 , 780, 1992.

(4) W.A. Devane et al., Science, 258 , 1946, 1992.

(5) V. Di Marzo et al., Nature, 372 , 686, 1994.

(6) L. Venance et al., Nature, 376 , 590, 1995.

(7) Le Q uotidien du médecin , 3 septembre 1993.

(8) V.O. Leirer et al. , « Les drogues illicites », Colloque scientifique international, Ed. Académie de médecine, avril 1992 ; J.A. Yesavage et al., Am. J. Psychiatry, 142 , 1325, 1985.

(9) B.C. Paria et al., Proc. Natl. Acad. Sci USA, 92 , 9460, 1995.

(10) L.E. Hollister, Pharmac. Rev., 38 , 1, 1986.

(11) T.F. Plasse et al., Pharmacol. Biochem. Behav., 40 , 695, 1991.

 

Peut-on se doper au cannabis ?

 

« Le cannabis fait partie des produits interdits sur la liste du CNOSF [Comité national olympique et sportif français], et nous, nous luttons contre le dopage » affirmait fin janvier le président de ce comité, Henri Sérandour(1).

 

« Le cannabis est au contraire un produit qui ne présente que des désavantages pour la réalisation d'une performance sportive. C'est un véritable facteur de désorganisation de la coordination chez l'être humain » , expliquait le docteur Peter Jan Geerlings, membre d'un centre de désintoxication à Amsterdam(1). Alors, dopant ou pas ?

 

Comme le souligne un médecin, Patrick Laure, dans un récent ouvrage(2), « en 1995, la définition du dopage reste floue ..., des barrières se forment entre les versions officielle, administrative et légale » , la loi du 28 juin 1989 n'arrangeant rien.

 

Reste une question : pourquoi des sportifs de haut niveau (83 contrôlés positifs en 1995) utiliseraient-ils le cannabis, même en consommation courante, s'il diminue réellement la performance ?

 

Pour Jean-Pierre de Mondenard, médecin du sport et spécialiste du dopage, la chose est entendue : « le cannabis est pris sciemment par certains sportifs pour pouvoir affronter l'adversaire, lutter contre le stress et la trouille que provoquent les confrontations directes, où le sportif est proche du public. Sa fonction calmante répond bien à la définition du dopage : faire fonctionner le corps au-delà de ses aptitudes. La preuve en est que ce sont uniquement dans ces sports-là, comme le football, le handball, le basket-ball ou le tennis, que l'on détecte des cas positifs . »

 

Un sentiment partagé par Jean-Paul Escande, président de la Commission nationale de lutte contre le dopage : les sportifs « ont une énorme pression sur les épaules. Ils peuvent être tentés par quelque chose qui les calme. » (3) .

 

Certes, précise Sylvie Wieviorka, psychiatre au Centre Pierre-Nicole, à Paris, « mais les techniques de contrôle ne permettent pas de différencier le THC pris juste avant une compétition, de ce qui est pris la veille ou pris une, deux ou trois semaines auparavant. A cela s'ajoute le fait que, selon sa provenance, le cannabis varie fortement en THC, et il reste bien des incertitudes à lever concernant les faux positifs . ». De quoi alimenter quelques années de recherche. J.-J.P.

 

(1) Libération, 24 janvier 1996.

(2) P. Laure, Le D opage , PUF, 1995.

(3) Le Monde , 1er février 1996.

 

Source: La Recherche via Cannactus

 

Jean-Pol Tassin est Directeur de recherches INSERM, neurobiologiste, directeur de recherches au Collège de France, Génétique moléculaire, neurophysiologie et comportement.

 

Nicolas Witkowski est professeur de physique dans un lycée, éditeur au Seuil, Intervenant à l'Université du temps libre

 

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Yep,

 

Je rejoins Grenade concernant le compliment.

 

On est bien dans une méchante diabolisation qui dure, qui dure.....depuis 200 ans......on ne sera plus dupe à propos du fait que la cannabis dessert le lobby pharmaceutique étrangement lié au pouvoir.

Le pouvoir et le lobby pharmaceutique ayant des intérêts communs, nous faire les poches, ils ne vont pas laisser de simples citoyens produire la panacée à moindre frais alors qu'ils nous raquettent tous deux à leur façon et que ça marche plutôt bien pour eux......

 

Napoléon est celui qui a commencé à foutre la merde en interdisant à ses soldats de consommer car ils ne voulaient plus combattre après......il les a mis au vin et là, miracle, ils étaient devenus agressifs et courageux......mais à qui profite la guerre ???? si c'était aux peuples, ça se saurait...

 

Un peu partout dans le monde les peuples se révoltent contre ceux qui les gouvernent et qui décident de ce qui est bien et de ce qui est mal.....on arrivera peut-être à balayer ces bouffons carriéristes partisans du bien pensant et créer un mouvement d'ouverture des consciences où notre plante favorite aura toute sa place, celle qu'elle mérite....

 

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Salut mrpolo ;)

 

Très intéressant cet article, j'ai néanmoins tilté sur un détail :

 

 

Toutefois, aucune des études épidémiologiques menées à ce jour n'a décelé le moindre effet du cannabis sur la fertilité ; l'une d'entre elles a seulement trouvé une légère diminution de concentration spermatique... chez un individu astreint à fumer vingt cigarettes de marijuana par jour pendant un mois ! La forte concentration de récepteurs du THC avant la naissance et le caractère lipophile de ce produit, qui s'oriente préférentiellement vers le cerveau et les gonades, confère cependant quelque plausibilité à cette thèse.

 

 

Il me semble que l'étude à laquelle il est fait allusion est celle menée lors du tournage du film documentaire Super High Me, dans lequel il est au contraire clairement mentionné une augmentation du taux de spermatozoïdes, tout comme le confirme la page wikipédia à ce sujet. Serait-il possible de m'éclairer sur ce point ? :lire:

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salut

 

tout d abord pardon de faire le relou de service : Mais ......

cette article date de 1996 , super la News...... vive le déterrage de derrière les fagots...<_<

ensuite rien n as changé depuis 16 ans , comme quoi malgré les recherches sur le chanvre indien, au niveau médicinale on préfère interdire ce qui pousse librement.:culture:

 

Cherchez l'erreur

 

sur ce , bon beuzzz ou bonne vapo , ou encore bon bang :yepah:

 

pour moi c'est bonne nuit

Modifié par jipisFree
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Certes un vieil article mais toujours d'actualité ! Donc merci mrpolo :)

Sinon conçernant la concentration de spermatozoides, je me pose également la question, ayant vu le docu "Super High me" qui montrait que l'on en avait plus et lu des études montrant que l'on en avait moins en consommant de la zaille... A mon avis on ne sera jamais la réponse, cela dépend peut être de l'individu !

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