Comment l'employeur pourrait pister la consommation de drogue de ses salariés


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Comment l'employeur pourrait pister la consommation de drogue de ses salariés

 

 

 

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Un plan gouvernemental, des groupes de travaux, des assises régionales, des états généraux, un baromètre largement médiatisé avant une conférence internationale prévue au mois de mai : impossible d'ignorer le récent intérêt des autorités sanitaires pour la drogue au travail. "C'est un tabou qui va être levé", motive Etienne Apaire, de la Mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie (Mildt). Cela reflète "une problématique qui est de plus en plus importante dans le débat publique", estime de son côté François Beck de l'Institut national de prévention et d'éducation pour la santé (Inpes), institut auteur du baromètre. Mais derrière cette thématique émerge un enjeu crucial : le rôle que peut jouer l'entreprise dans la prévention et le contrôle des pratiques addictives.

 

Lire : "La drogue au travail : les dopés du quotidien"

 

Pour les autorités sanitaires, l'argument central est la sécurité : selon la Mildt, "près de 15 % à 20 % des accidents professionnels, d'absentéisme et de conflits interpersonnels au travail seraient liés à l'usage d'alcool, de psychotropes ou de stupéfiants". D'après le baromètre de l'Inpes, la plus forte consommation d'alcool quotidienne correspond aux secteurs de l'agriculture, de la pêche et de la construction. Or, note François Beck, "ce sont des métiers où la prise de risque est plus fréquente, pour quelqu'un qui manipule une grue ou fait des travaux en équilibre par exemple". Et la Mildt de noter la responsabilité juridique de l'employeur en cas d'accident. Enfin, l'usage de substances illicites, comme la cocaïne, "pose un problème de vigilance et de légalité pour un employeur qui est face à un comportement interdit", souligne François Beck. Certaines entreprises comme la SNCF pratiquent ainsi des dépistages pour les postes de sécurité.

 

"APTE" OU "INAPTE" : LE DÉPISTAGE

 

"La mise en place de dépistages est un outil comme un autre pour savoir si quelqu'un est apte à occuper un emploi", considère Etienne Apaire. Dépistage à l'embauche, dépistage aléatoire : l'entreprise peut ainsi déterminer, sans connaître le détail des résultats, si un employé est "apte" ou "inapte". En mai 2011, le Comité consultatif national d'éthique avait rendu son avis sur le dépistage de substances illicites sur le lieu de travail : il l'avait étendu mais autorisé uniquement pour des "postes et fonctions de sûreté et de sécurité", établis au cas par cas par les entreprises. En des termes sibyllins, Etienne Apaire encourage "les partenaires sociaux" de toutes les entreprises à "débattre de ce sujet" et mettre en place des "politiques de prévention", ce que font déjà certaines entreprises avec des affichages et des campagnes de sensibilisation. D'autres pays vont bien au-delà, "aux Etats-Unis, un salarié sur deux est dépisté", révèle ainsi Astrid Fontaine, sociologue et auteure de Double vie: les drogues et le travail.

 

Le dépistage généralisé en entreprise "pose des questions éthiques pas simples", évoque François Beck, dubitatif. Un médecin du travail rattaché à une entreprise pratiquant des test de dépistages sur des postes dits de sécurité partage également son scepticisme : "cela n'est pas d'une grande utilité si ce n'est de faire peur et faire perdre confiance : il vaut mieux en parler". Pour Astrid Fontaine, c'est l'enjeu économique qui motive une telle volonté, "le lobby pharmaceutique produit et cherche à vendre des tests de dépistage en entreprise, c'est un marché énorme". Face à "un marché américain saturé", l'industrie pharmaceutique s'intéresserait à l'Europe. "D'autant plus qu'en parallèle, les laboratoires produisent aussi les produits qui permettent de falsifier les tests, ce qui représente un marché", dénonce la sociologue. Alors que tests et campagnes de prévention sont financés par les entreprises les pratiquant, la Mildt se défend de tout transfert de responsabilité.

 

LIMITER LES POTS EN ENTREPRISE, DONNER L'ALERTE

 

Sans aller jusqu'à pratiquer des tests pour cibler les substances illicites, Philippe Hache, de l'Institut national de recherche et de sécurité pour la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles, questionne la consommation d'alcool sur le lieu de travail. Le code du travail l'autorise mais l'entreprise peut l'interdire. "Il faut éviter les pots avec alcool lorsqu'on a identifié des personnels ayant des problèmes avec cette substance." Qu'en est-il de la convivialité, du libre-arbitre de l'employé ? "Il s'agit d'aider, de soutenir, il faut que la convivialité reste sans montrer du doigt", tente Philippe Hache. Le pilote de la thématique drogue au travail à l'institut préconise également la signalisation de collègues alcooliques auprès du médecin du travail. "Ce n'est pas de la délation, c'est une alerte face à quelqu'un en danger pour lui-même et l'équipe," justifie Philippe Hache.

 

"Je crois beaucoup à la médecine du travail", avance de son côté François Beck. "ll faut faire passer des questionnaires de façon systématique" pour cerner ce que le salarié "ne dévoile pas car cela peut être considéré comme une faiblesse", estime le spécialiste. Astrid Fontaine doute quant à elle de l'efficacité de l'action des médecins du travail, déjà "en sous effectif énorme" et en déficit de formation sur la question des drogues. A l'appui du cas pratique d'un salarié licencié de son entreprise peu après un test positif au cannabis, la sociologue s'inquiète de l'ingérence de l'entreprise dans l'addiction des individus : "le risque est que, sous le prétexte d'aider, on fragilise".

 

Flora Genoux

 

 

 

 

Source: Le Monde

 

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La drogue au travail : les dopés du quotidien

1685407_3_35ed_la-panoplie-de-drogues-disponibles-notamment_63ccffbed922f476cfcfd777060fbb6d.jpg Paris-Marseille, 800 kilomètres à rouler pendant une nuit entière pour décrocher un contrat de 60 000 euros au petit matin : Martin* fait le calcul, la somme est trop alléchante pour laisser au client le temps de se rétracter. Ce sera un seul arrêt, neuf heures de route et deux grammes de cocaïne. Alors commercial dans le textile, Martin "tape" de la cocaïne quotidiennement. "C'était comme de la vitamine C, rien de fun, explique-t-il. Tu dors deux heures mais tu parais plus frais, plus vif."

 

Pour la première fois au mois de janvier, l'Institut national de prévention et d'éducation pour la santé (Inpes) publiait des données précises, secteur par secteur, sur cette consommation particulière, la drogue au travail. "Il s'agit de sortir la question de la drogue de l'adolescent en difficulté. C'est le moyen de toucher des adultes dans des milieux d'adulte", motive Etienne Apaire de la Mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie, partenaire du baromètre de l'Inpes. Ce sujet était également absent de la littérature sociologique, qui ne s'intéressait qu'aux toxicomanes, exclus du monde professionnel. Dans le détail, on apprend que les consommateurs d'alcool sont particulièrement présents dans l'agriculture et la pêche, avec 16,6 % d'usage quotidien, contre 7,7 % pour le reste de la population, tandis que 13,4 % des salariés de la construction boivent tous les jours. Les secteurs de la restauration, de l'information et de la communication, des arts et spectacles sont davantage consommateurs de drogues illicites comme la cocaïne, l'ecstasy, le poppers ou les champignons hallucinogènes.

 

Lire le décryptage : "Comment un employeur pourrait pister la consommation de drogue de ses salariés"

 

"BESOIN D'ÊTRE TOUJOURS À LA HAUTEUR"

 

Premier enseignement de cette étude, largement relayée lors de sa publication : certains secteurs peuvent favoriser l'usage de certaines drogues. Mais au-delà de ces données en bataille, le baromètre révèle-t-il une augmentation de l'utilisation de la drogue en milieu professionnel ? A l'instar des auteurs de l'étude, Astrid Fontaine, sociologue et auteure de Double vie : les drogues et le travail, se veut prudente : "ce sont des chiffres que l'on peut difficilement comparer car c'est la première fois qu'on les obtient en France". Mais sur le terrain, dans le secret des cabinets de consultation, les professionnels de la santé voient affluer une nouvelle catégorie de dépendants : des travailleurs qui consomment de la drogue pour travailler. "Les dopés du quotidien", selon l'expression de Michel Hautefeuille, psychiatre à l'hôpital Marmottan, spécialisé dans les addictions.

 

"C'est un phénomène que l'on a vu se développer au cours des années 1990-2000 : on est passé d'un monde du travail relativement 'cool', avec ses certitudes, à une ambiance sauvage et cette notion de compétition, l'obligation de faire toujours plus de bénéfices", analyse le Dr Hautefeuille, auteur de Drogues à la carte. Même constat pour Fabienne Alcaix, médecin du travail : "je n'ai pas vu une augmentation de la consommation de drogue, en revanche, c'est la façon de consommer qui est différente : les gens se droguent pour venir travailler", témoigne-t-elle. Lors de ses consultations, le Dr Alcaix entend "ce besoin d'être toujours à la hauteur, la nécessité d'être présent, même en dehors de ses heures de travail, via téléphone. On ne peut plus être mauvais, on ne peut plus être faible." Sans pouvoir mesurer l'augmentation de ces patients-là de façon scientifique, le Dr Alcaix dégage empiriquement une hausse de 20 % à 25 % ces dix dernières années.

 

FACTEUR CULTUREL

 

"Au début du siècle dernier, on travaillait 10 à 12 heures par jour, pour des salaires de misère, dans des conditions inimaginables aujourd'hui", temporise Astrid Fontaine, qui souligne que la consommation d'alcool à outrance sur le lieu de travail, très présente il y a une trentaine d'années encore, a quasiment disparu. L'alcool était alors utilisé comme vecteur de convivialité et d'intégration. Une consommation que l'on peut retrouver dans la construction, d'ailleurs à 90 % masculine. "Il s'agit d'un facteur culturel", analyse François Beck, responsable du département enquêtes et analyses statistiques à l'Inpes.

 

Dans ces circonstances-là également, le travail peut représenter un terrain favorable aux addictions. "Je buvais le midi. Ensuite, toutes les occasions étaient bonnes : l'apéritif, une fête, un anniversaire, une naissance, des vacances, dans ce sens-là, le travail a amplifié ma consommation d'alcool", se souvient Patrick, 69 ans, ancien représentant syndical. Patrick raconte l'amour de "la bonne chère", employant régulièrement le terme "nous" pour ce qui ressemblait alors à "un plaisir" partagé. Mais durant 37 ans de dépendance à l'alcool, sa consommation a progressivement débordé du cadre festif fixé par le travail. "Au bureau, j'avais mon frigo que je remplissais le matin : une bouteille de rouge, une bouteille de blanc et une bouteille de whisky tous les deux jours", raconte Patrick, abstinent depuis douze ans. Tous secteurs confondus, l'alcool reste la première substance psychoactive utilisée au travail.

 

UNE PLUS GRANDE PANOPLIE DE DROGUES DISPONIBLES

 

"Ce qui a évolué c'est la panoplie de drogues disponibles", souligne Astrid Fontaine. Des drogues stimulantes, liées à la performance. Martin, 41 ans, se souvient ainsi de l'époque où la cocaïne se vendait en francs, 1 800 francs le gramme, contre 60 euros aujourd'hui. "Depuis 5-6 ans je vois des gens au travail qui en prennent plus parce que c'est moins cher". Avant de l'utiliser au travail, Martin consommait de la cocaïne le week-end, dans un cadre festif. Son parcours illustre le glissement évoqué par le Dr Alcaix : du récréatif vers le "dopage" au travail. L'évolution peut également s'observer en sens inverse, précisément avec l'usage de la cocaïne, tient à souligner Philippe Hache, pilote de la thématique drogue au travail à l'Institut national de recherche et de sécurité pour la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles. "Le salarié se dope pour améliorer ses capacité puis il a besoin de sa dose le week-end et il reste dans l'addiction."

 

En consultation, le Dr Hautefeuille raconte recevoir des patients qui "sniffent un rail de cocaïne sur leur bureau sans que personne ne vienne leur dire que c'est interdit". "Parmi les stimulants, on ne compte pas que la cocaïne", insiste cependant le Dr Hautefeuille. Le psychiatre note également l'usage de DHEA, créatine, méthamphétamine, mais aussi de produits licites comme le Guronsan ou la caféine. "J'ai vu des patients qui prenaient 12 à 15 gélules de caféine par jour, avec l'équivalent de 4 à 5 expressos dans une gélule. Et les effets secondaires sont importants : tremblements, nausées, tachycardie". La consommation de produits stimulants peut alors être couplée à des produits anxiolytiques ou hypnotiques, note François Beck, de l'Inpes, "pour la descente ou pour trouver le sommeil parce que la journée a été stressante et que l'on a besoin de performer le lendemain".

 

"OUBLIER LA PEUR"

 

"J'avais zéro pression au travail", concède Martin. Pendant un an, il consomme un gramme tous les deux jours, à raison de cinq rails quotidiens pour "tenir", parce que sa seule motivation "c'est de gagner de l'argent". Son salaire peut ainsi varier de 4 500 à 6 000 euros par mois. "Il y a un recours à la drogue qui relève de la souffrance au travail", note toutefois François Beck. Le Dr Alcaix a ainsi rencontré dans son cabinet des cadres qui boivent avant une réunion "par peur de s'exprimer" ou des salariés qui fument du cannabis pour "oublier la peur". Pour le Dr Hautefeuille, les causes de cette consommation sont d'abord manageuriales : "la pression gigantesque sur les salariés, l'anonymat de plus en plus important et la tension rajoutée par l'open space qui est redoutable et qui fait que tout le monde est épié en permanence".

 

Martin assure être revenu à une consommation essentiellement festive quand il s'est aperçu que la cocaïne affectait sa productivité : "Au bout d'un an je me suis éparpillé, je n'arrivais plus à me concentrer. Il pouvait m'arriver de vérifier trois fois dix bons de commande." Les effets de son addiction dépassent le cadre du travail, son témoignage rejoint celui de nombreux dépendants à la cocaïne : "Tu finis par le payer : j'avais mal au dos, je pouvais devenir caractériel, vite irritable, j'avais moins de patience, mes relations se dégradaient. Mais ce sont les autres qui le font remarquer, j'étais tellement dedans que je ne le voyais pas." Il change de travail et "redescend sur terre". Si la dégradation des conditions de travail et certains secteurs favorisent la consommation de drogue, "une activité professionnelle reste globalement un facteur de protection des conduites addictives", insiste l'Inpes. Les chômeurs consomment en effet davantage de drogues que les actifs. Ils ont par exemple 1,8 fois plus de chances de présenter une alcoolisation à risque chronique que les actifs occupés.

 

* Les noms des personnes témoignant de leur addiction ont été changés

 

Flora Genoux

 

 

 

 

Source: Le Monde

 

 

 

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