Ganja, le nouveau rêve américain

Ganja, le nouveau rêve américain
Par mrpolo ,

Dans le Colorado, on achète sa marijuana comme un café chez Starbucks. Plantations industrielles, tourisme cannabique, pluie de dollars: reportage au cœur de la nouvelle filière du pétard et de ses dérivés.

 

Texte Xavier FIlliez

 

«Power Cheese», «Kurple Fantasy», «Jackie White»: au comptoir de chez Medicine Man, dans la grise banlieue de Denver, Colorado, à côté d’une usine d’embouteillage Nestlé, les jolis sobriquets de la marijuana en vente libre mettent du soleil dans l’hiver. Mais le plus exotique n’est pas dans les vitrines, entre les pipes à eau, les barres chocolatées et les bonbons Cheeba Chew chargés en THC. Il est derrière, en coulisses.

 

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Photo@Didier Ruef

 

Savoir-faire artisanal et production à large échelle ne sont pas incompatibles. Du clonage à la récolte en passant par la taille et la vente au comptoir: 80 employés travaillent dans cette plantation de 10 000 unités. Il y a 300 distributeurs de marijuana licenciés dans le Colorado

 

Deux mille mètres carrés d’entrepôts, des bonbonnes de CO2, des climatiseurs de marque allemande menant aux flower rooms (chambres de floraison), 30 000 dollars par mois d’électricité pour alimenter les centaines de lampes aveuglantes qui simulent le printemps: nous sommes bien dans une plantation de cannabis à l’échelle industrielle.

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Photo@Didier Ruef

 

L’entreprise Dixie, à Denver

 

Les panneaux «No smoking» le rappellent au besoin: l’homme qui nous fait visiter les lieux est sobre. Pete Williams a d’autres raisons de sourire que l’ivresse du tétrahydrocannabinol. L’entreprise qu’il a cofondée avec son frère Andy, et dans laquelle ils ont investi 600 000 dollars prêtés par leur maman, compte 80 employés et a bouclé 2014 sur un chiffre d’affaires de 9 millions de dollars. «Ce sera fois deux l’an prochain.»

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Photo@Didier Ruef

 

L’entreprise Dixie, à Denver

 

«Nous sommes en train de réaliser le rêve américain», sourit Pete en ouvrant et humant un bidon de «Girl Scout Cookie», «la meilleure des meilleures, 6400 dollars la pound (ndlr: 450 g), 12 800 dollars le kilo». Lorsqu’on lui demande quelle quantité de marijuana il stocke dans son dépôt avant de la mettre en rayon, Pete Williams roule des yeux et estime grossièrement: «… jusqu’à 300 pounds. A 4000 dollars la pound en moyenne, ça fait… 120 000 dollars… Euh, à moins que ça ne fasse 1,2 million de dollars… Oui, c’est ça, 1,2 million de dollars.»

L’Amérique en est exactement là: à l’aube d’un déluge de billets verts provenant de la culture, de la vente et de la consommation de cannabis mais ne sachant encore trop comment compter ses sous. Après avoir légalisé la marijuana sur prescription médicale, en l’an 2000, le Colorado a été le premier Etat, en janvier 2014, à ouvrir le marché récréatif à la suite d’un vote populaire. Vingt-huit grammes autorisés par client résident, le quart pour un touriste.

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Photo@Didier Ruef

 

L’entreprise Dixie, à Denver

 

Colorado Cannabis Tour

Downtown, par un beau samedi matin. Un chapelet de touristes, joyeux fumeurs de joints, s’installe sur les banquettes dodues d’un van aux vitres teintées. Mike, le fondateur de Colorado Cannabis Tour, prend quelques précautions auprès de ses clients du jour: «Qui n’a plus fumé un joint depuis 1969? (Rires.) Si vous vous sentez un peu chargé, nauséeux, pas bien, dites-le-moi, je vous donnerai un Coca. A la fin de la tournée, vous pourrez avoir l’impression de mourir. Ce ne sera qu’une impression.» Direction Medicine Man, justement.

La visite guidée se déroulera comme une promenade d’école au musée. Selfies devant les plants de marie-jeanne, rires et confidences. Il y a un couple en lune de miel. Des jeunes du Nebraska, «où l’on est plus habitués aux cultures de maïs que de cannabis». Un jardinier texan. Une sexagénaire qui veut réessayer après de longues années d’abstinence. Ce soir, ils dormiront tous dans des hôtels cannabis-friendly (tolérants avec la fumette).

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Photo@Didier Ruef

 

Chez iBake, dans la banlieue de Denver, Colorado, on termine la journée par quelques «hits» de «shatter» (du concentré de cannabis pouvant atteindre 90% de THC), dans une pipe à eau. Hollywood et sa petite amie se marieront au printemps à la Cannabis Cup.

 

Avant de repartir dans le van enfumé pour la suite du circuit en direction de chez Dixie, une usine de consommables au THC, chocolats, bonbons, biscuits; l’un des hôtes, largement plus désinhibé que les autres mais pas moins lucide, lâche à la troupe en désignant Pete Williams: «Ce type est le Steve Jobs de la marijuana.» Il ne croit pas si bien dire: un groupe industriel a déjà mis son grappin sur l’entreprise et veut en faire des franchises.

 

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Photo@Didier Ruef

 

 

Chez iBake

Entre deux éloges et raclements de gorge, le patron au look et aux éclats de rire d’adolescent résume son engagement sans crainte des clichés: «Je dors très bien la nuit parce que je sais que nous ne faisons de mal à personne. Si je vendais de la vodka, je ne dormirais pas bien à cause des problèmes sociaux causés par l’alcool. Franchement, les fumeurs de marijuana mangent des chips et regardent la télé. Ils ne tapent pas leur femme.»

 

73  millions de dollars de recettes de taxes

A la mairie de Denver, Ashley Kilroy a une approche autrement plus prosaïque de l’industrie. C’est elle qui est chargée d’implémenter la légalisation de la marijuana dans la Mile High City après que les citoyens de Denver ont accepté l’amendement de la Constitution, «à hauteur de 66%», rappelle-t-elle, façon de dire que l’administration et les politiques ne sont en rien les artisans de cette révolution verte si fructueuse pour l’Etat.

 

 

 

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Photo@Didier Ruef

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

L’argent du cannabis est encore tabou aux Etats-Unis où la loi fédérale en bannit officiellement l’usage, la culture et la consommation. Toutes les transactions se font en cash. Au comptoir. Et lorsqu’il s’agit de payer les impôts à la ville et à l’Etat

 

 

Car elle l’est. Le Colorado affiche des recettes stratosphériques: 73 millions de dollars de recettes de taxes depuis janvier 2014 pour un chiffre d’affaires (marijuana médicale et récréative) de 700 millions de dollars. Il devrait grimper à 1 milliard d’ici à 2016.

 

C’est tellement que cela dépasse le plafond fixé par la Constitution (selon l’inflation et la démographie): l’Etat pourrait devoir rétrocéder de l’argent à ses citoyens. Une étude récente a montré que le chiffre d’affaires de la marijuana légale aux Etats-Unis se monte à 1,53 milliard de dollars et pourrait dépasser celui de la NFL (National Football League, 10 milliards) avant 2020. Des fonds d’investissement y sont exclusivement consacrés. L’un d’entre eux s’apprête à lancer la marque Marley Natural avec les héritiers de Bob Marley.

Ashley Kilroy n’aime pas trop les chiffres et insiste sur l’ampleur du chantier alors que l’Amérique et les Etats qui s’apprêtent à légaliser ont les yeux rivés sur elle. «Trente-sept emplois ont été créés dans les services de la municipalité pour gérer les licences, le contrôle des plantations, les normes sanitaires concernant les denrées alimentaires au THC, la gestion de l’électricité, etc. Nous avons dû concevoir le cadre légal depuis zéro.»

«L’Etat du Colorado est en train de compiler toutes les études internationales pour être plus au clair en termes de santé publique», reprend-elle. Des programmes de prévention dans les écoles sont déjà financés par l’argent de la marijuana à Denver: «Nous savons par exemple que les jeunes font leur première expérience avec l’alcool et la drogue entre 3 et 5 heures de l’après-midi. Il faut des programmes after-school

 

Pipes à eau surchargées

Des colonnes marbrées du City Hall aux épais effluves du coffee shop iBake: changement d’ambiance radical. Les bars à cannabis ne sont pas encore légion à Denver où il est interdit de fumer dans des lieux publics. IBake fonctionne sur «carte de membre», 5000 à ce stade. Ici, ce n’est pas l’heure des pétards mais des «dab» surchargés. Des pipes à eau où l’on brûle au chalumeau du «shatter», une sorte de sucre candi qui peut contenir 90% de THC.

 

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Photo@Didier Ruef

Chez iBake

La patronne d’iBake, Petit Arbre (c’est littéralement son nom, «Little Tree»), est attablée avec un groupe de copains. Emergeant d’un nuage de marijuana concentrée, Hollywood, un jeune homme d’une trentaine d’années, et sa petite amie viennent finir leur journée ici. Lui est boulanger. Il a un lourd passé de conduite en état d’ébriété. Fumer l’aide à gérer ses crises d’angoisse. «Quand ma sœur est morte, les médecins ont voulu me prescrire des médicaments. Je n’ai pas voulu. Et ils ont compris ça.» Les tourtereaux se marieront à la prochaine Cannabis Cup, en avril.

Chez iBake, on «chill» (traîne), on joue, on rit. On tousse beaucoup. Et, entre deux shoots, on s’offusque de l’hypocrisie qui règne, plus que jamais, aux Etats-Unis en matière de marijuana. «C’est quoi, cette idée qu’on peut être un junkie dans un Etat et un patient de l’autre côté de la frontière?» lance un client. Certains voisins comme le Nebraska et l’Oklahoma poursuivent en justice le Colorado parce que la légalisation provoque un trafic de marijuana entre les Etats.

 

 

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Photo@Didier Ruef

 

 

 

Andy (l’entrepreneur) et Pete (le cultivateur) Williams ont cofondé Medicine Man en investissant 600 000 dollars prêtés par leur maman. Depuis la libéralisation du chanvre récréatif, leur chiffre d’affaires a doublé, de 5 à 9 millions de dollars. Un groupe industriel s’apprête à les racheter.

A quelques milliers de kilomètres de là, buvant un jus de chaussette dans un Denny’s de la zone industrielle de Seattle, James Lathrop attend son heure. Il a été le premier à bénéficier de la légalisation de la marijuana récréative dans l’Etat de Washington et a ouvert Cannabis City en juillet 2014. Or, il estime beaucoup trop élevées les taxes perçues ici sur la vente de cannabis, et le système pervers. Trois cents «dispensaires» à travers la ville, qui vendent de la marijuana sur prescription médicale, moins chère car moins taxée, font encore concurrence à son magasin.

Pour animer cette fin de semaine et créer le buzz, James a fait venir un père Noël vert, «la contrepartie rigolote au père Noël rouge alcoolique», plaisante-t-il. Au comptoir défilent des dizaines de clients comme dans le Starbucks du coin: «Dynamite», «Tangerine Dream», «Swiss Cheese», au choix sur fond de Jingle Bells. Du fun et de l’exotisme en sachet qui s’échangent contre des montagnes de dollars. Bientôt un refrain quotidien à travers les Etats-Unis?

 

Source; illustre.ch


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Ola todos

He he....lequel d entre nous ouvrira en premier son weed shop lorsque la france se sera reveillee de son coma.( moi j espere.....)

Petit article sympa qui en dit long sur sur ce new buziness.

A plus

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