Cannabis : qu'en pensent les politiques ?
L'argument économique avancé par Pierre Kopp en faveur de la légalisation relance une nouvelle fois le débat, à quelques mois de la présidentielle.
Le 15 juin 2011, un groupe de travail de députés de gauche, présidé par l'ancien ministre de l'Intérieur socialiste Daniel Vaillant, préconise une "légalisation contrôlée du cannabis", et non une simple dépénalisation, afin de "sortir de l'hypocrisie". Leur rapport conclut alors que la légalisation contrôlée permettrait, "grâce à l'encadrement de la production et de la distribution", d'"instaurer une politique de réduction des risques".
Ce texte intervient deux mois après le cri d'alarme lancé par Stéphane Gatignon, maire de Sevran. Début avril, l'élu EELV estime que "la légalisation du cannabis et la mise en place d'une structure économique pour la vente" est désormais nécessaire pour lutter contre le trafic.
Août 2011, alors que le problème de la dette des Etats est au cœur de tous les débats, l'économiste Pierre Kopp explique dans une interview au "Monde" que "légaliser le cannabis rapporterait un milliard d'euros". L'économie, l'argument ultime ? Face aux nombres de fumeurs réguliers en France (1.2 million) et à l'échec de toutes les politiques répressives pour faire baisser la consommation, des questions se posent : faut-il dépénaliser ? Légaliser ? Alors à quand un cannabis AOC ? A quelques mois de la présidentielle, la classe politique reste très divisée sur la question. Et certains très discrets.
La ligne dure
Pour les plus réfractaires à la consommation de cannabis, de fait, une seule ligne possible : pas de dépénalisation et encore moins de légalisation.
Nicolas Sarkozy lui-même s'est toujours opposé à cette éventualité. En visite à Chateauneuf-du-Pape dans le Vaucluse le 27 juillet dernier, le président de la République s'est de nouveau opposé à la légalisation du cannabis. En 2007, le candidat Sarkozy s'était prononcé contre la dépénalisation du cannabis tout en considérant insatisfaisante la loi actuelle, qui date de 1970 et punit l'usage de cannabis de deux mois à un an de prison avec sursis et jusqu'à 3.000 euros d'amende. Dans une interview à Skyrock, le ministre de l'Intérieur de l'époque s'était prononcé pour une "contraventionnalisation" de l'usage du cannabis. A moins d'un an de la fin de son mandat présidentiel, l'usage de cannabis en France peut toujours être puni d'un an d'emprisonnement et de 3.750 euros d'amende (Article L3421-1).
Ses rivaux de 2007 se situaient alors sur la même ligne sur ce point.
Interpellée en 2007 par une lettre ouverte du Collectif d'information et de recherche cannabique (Circ), association militant pour la dépénalisation du cannabis, Ségolène Royal s'était engagée en cas de victoire, dans sa réponse datée du 6 mars, "à ouvrir un grand débat public" sur la question. "Personne ne peut ignorer que la conséquence directe d'une consommation prohibée mais répandue est le développement d'une société parallèle vivant et s'organisant essentiellement autour du marché du cannabis", écrivait la candidate socialiste.
En 2011, la présidente de la région Poitou-Charentes revient sur le sujet et affirme que si "le raisonnement économique se tient", elle reste "opposée" à une légalisation du cannabis. "On ne peut pas relâcher la répression sur le trafic", justifie-t-elle.
En 2007, le troisième homme de l'élection présidentielle, François Bayrou, s'était lui aussi opposé à la dépénalisation. Mais en 2011, il semble quelque peu s'adoucir. Interrogé par un auditeur de France-Inter le 20 juin, le président du Modem a fait part pour la première fois de ses doutes sur la question : "C’est une grande interrogation qui est devant nous. La vérité est que notre manière de lutter contre la drogue a échoué et que donc toute réflexion doit être conduite avec la santé publique, avec les médecins, pour essayer de voir de quelle manière on peut faire reculer ce fléau", avant d'ajouter, "je ne suis pas fermé à la réflexion mais je crois que la légalisation augmenterait la consommation".
Et quid de celui qui pourrait bien être le Troisième homme de 2012 ? En juin 2011, Jean-Louis Borloo déclare : "J'adorerais être pour la dépénalisation du cannabis mais je suis contre". "Car, je ne pense pas que ce soit un bon signal", ajoute l'ancien ministre du gouvernement Fillon en citant notamment la question de la sécurité routière.
Pas un débat gauche-droite
Ségolène Royal qui s'est il y a peu exprimée sur le sujet, n'est pas la seule à être opposée à la dépénalisation. En février dernier, Arnaud Montebourg, interrogé sur Canal + sur cette question, affirme : "Non, j'y suis défavorable".
De même, Manuel Valls s'est "fermement" opposé à plusieurs reprises à la proposition de Daniel Vaillant et de ses collègues. "L'idée de légaliser le trafic de cannabis, de l'officialiser, d'en organiser la diffusion, va à l'encontre de mes valeurs", déclare alors le député-maire d'Evry à la presse.
Dominique Strauss-Kahn, en 2006, s'était lui aussi opposé à la dépénalisation du cannabis et avait estimé, "au risque de déplaire aux lecteurs de Charlie", "qu'il n'y a pas de drogue douce".
De son coté, François Hollande avance un rapport d’une commission internationale publié le 2 juin dernier qui dresse l'échec de lutte contre le trafic de drogue. Le député de Corrèze souhaite la dépénalisation et une réflexion européenne sur le sujet.
Enfin, Martine Aubry, restée très discrète sur la question de la dépénalisation, s'est dite contre la légalisation du cannabis souhaitée par certains députés PS.
A droite, l'ancien premier ministre Dominique de Villepin semble avoir réellement décidé de jouer les troubles fêtes. Le 16 juin dernier, il s'est prononcé pour la dépénalisation de l'usage du cannabis, qu'il souhaiterait voir sanctionner d'une simple contravention, lors de l'émission "Elections 2012". "Je suis contre la pénalisation et pour la dépénalisation, je propose qu'en contrepartie on choisisse la voie de la contravention", déclare alors ce proche de Jacques Chirac.
Et chez les Verts ?
L'ex-juge d'instruction et candidate Europe Ecologie Les Verts en 2012, Eva Joly s'est déclarée à Nantes favorable à la dépénalisation du cannabis, la qualifiant même "très bonne initiative". Le fait que ce soit pénalisé "fait travailler les policiers et les magistrats dans le vide et génère une économie très criminogène : le temps est venu d'en tirer les conséquences et de réguler la consommation autrement", a-t-elle expliqué.
Elle se place ainsi dans la ligne de ses prédécesseurs. Déjà en 2007, Yves Cochet expliquait la position des Verts : "Les Verts militent pour la légalisation de la consommation du cannabis et la réglementation de sa production et de sa vente. Le Mouvement des jeunes socialistes était également signataire de l'Appel du "18 joint 2006".
A la gauche de la gauche
Jean-Luc Mélenchon, futur candidat du Front-de-gauche à la présidentielle, c'est lui dit favorable à la légalisation. Cette position tranche avec celle de Marie-George Buffet qui avait à plusieurs reprises affiché en 2007 son opposition à la dépénalisation du cannabis ainsi qu'à sa banalisation.
L'ancien membre du Parti socialiste rejoint donc ici davantage l'avis exprimé en 2007 par le candidat du NPA Olivier Besancenot, lui aussi signataire en son temps de l'appel du 18 joint.
Alors en 2012, le cannabis sera-t-il une simple question récurrente ou un véritable thème de campagne ?
Source: Anne Collin - Le Nouvel Observateur
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