Tribune - Marseille : en finir avec la prohibition du cannabis et l’état de guerre dans les cités


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A chaque règlement de compte, la surenchère sécuritaire et belliqueuse reprend de plus belle de la part des élus locaux et du gouvernement qui joue les pandores.

Il existe bien un état d’urgence dans les cités à Marseille auquel il faut répondre, non pas par un recours chimérique à la guerre et à l’armée, mais par une autre politique de solidarité urbaine et de lutte contre les discriminations, la drogue et les trafics. Les Quartiers Nord de Marseille sont victimes de plusieurs décennies d’abandon des autorités locales, de promesses non tenues, de détournement d’argent public à des fins clientélistes, d’une politique de ségrégation sociale, de ghettoïsation, de sanctuarisation de la misère sociale et d’enclavement. Cela a produit une situation de quasi-apartheid avec un taux de chômage énorme dans la jeunesse de ces quartiers et le développement d’un marché de la débrouille pour survivre qui produit aujourd’hui les dérives de violence que l’on connaît.

 

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Une policière surveille 74 kg de cannabis, munitions et billets de banque, saisis le 16 octobre, à Marseille Photo Anne-Christine Poujoulat. AFP

 

Cela fait maintenant des années que les acteurs et militants de terrain de ces cités alertent sur le caractère explosif de la situation. Jeter de l’huile sur le feu comme l’a fait tout récemment le maire de Marseille sur une radio nationale mais aussi le Premier ministre ou le ministre de l’Intérieur n’est certainement pas la solution pour apaiser les quartiers phocéens et y ramener le calme et la paix.

 

Il faut remettre en action les services publics dans ces quartiers abandonnés, compenser les inégalités et les discriminations subies, mettre en place espaces de dialogue pour créer de l’activité durable dans les Quartiers Nord de Marseille en évitant l’effet stigmatisant du zonage territorial, soutenir la vie associative et les initiatives citoyennes victimes d’une double peine en raison des dérives énoncées lors du procès Andrieux ou les affaires Guérini.

 

Lançons enfin un vrai débat public sur la prohibition du cannabis et les dégâts qu’elle génère : logique de cartel, balkanisation, règlements de compte pour le contrôle d’un territoire… Exigeons la mise en place à Marseille d’une conférence nationale de consensus réunissant experts, monde médical et judiciaire, éducateurs, acteurs associatifs et institutionnels des quartiers autour de la question de prohibition et de la légalisation du cannabis. Il est dommage que cette question ne soit même pas envisagée comme pouvant être une piste pour lutter contre les trafics mafieux de stupéfiants et ramener le calme dans certaines cités gangrenées par ce trafic et les règlements de compte qu’il entraîne.

 

La légalisation du cannabis permettrait de faire baisser le trafic et d’empêcher la lutte armée entre les trafiquants, mais surtout de mener une politique de santé publique fondée sur la prévention et l’accompagnement des usagers dépendants. La guerre policière contre le marché du cannabis est perdue d’avance. Il y a en France 1,2 million d’usagers réguliers et 4 millions de fumeurs occasionnels. Chaque année, 568 millions d’euros sont jetés dans un grand tonneau des Danaïdes dans le volet répressif du cannabis.

 

Le cannabis doit être traité comme les autres drogues légales que sont le tabac et l’alcool. La création d’un marché régulé du cannabis est défendue par de hauts responsables internationaux comme Kofi Annan (ex-secrétaire général de l’ONU) ou Daniel Vaillant (ex-ministre de l’Intérieur de Lionel Jospin).

 

Dans son rapport de novembre 2014 publié par l’Assemblée nationale, le comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques sur l’évaluation de la lutte contre l’usage de substances illicites a d’ailleurs reconnu que la politique de prohibition n’a pas empêché le développement de l’usage des stupéfiants et notamment du cannabis préconisant une dépénalisation de son usage. L’une des deux corapportrices de ce rapport, Anne-Yvonne Le Dain, propose même de légaliser l’usage individuel du cannabis dans l’espace privé.

 

En décembre 2014, le think-tank Terra nova va plus loin encore estimant que «la légalisation permettrait de mieux accompagner les populations en difficulté en allouant des ressources conséquentes à la prévention, en particulier chez les jeunes adultes. Elle assurerait un meilleur contrôle du niveau général de la consommation de cannabis en agissant sur les prix d’acquisition, plutôt que sur une répression inopérante». Ce système générerait entre 1,3 et 2,1 milliards d’euros de recettes fiscales annuelles. Ce scénario permettrait en outre de créer 13 000 emplois pour le simple commerce auxquels il faudra ajouter les emplois dans la production locale.

 

Les expériences récentes de légalisation dans quatre Etats fédérés américains (Oregon, Colorado, Etat de Washington et Alaska) sont convaincantes et rapportent des ressources pour les finances publiques et les systèmes de santé publique. La comparaison avec l’Amérique prohibitionniste d’Al Capone des années 30 est flagrante à Marseille. Les Etats-Unis ont choisi de rompre avec la prohibition car elle posait plus de problèmes en matière de sécurité publique notamment qu’elle n’en résolvait.

 

Il est devenu nécessaire d’expérimenter un marché régulé du cannabis (sans pub et avec un accès limité, pas d’accès aux mineurs). C’est la seule réponse pragmatique à apporter face à l’explosion du trafic et des règlements de compte. Ce n’est pas faire preuve de laxisme mais au contraire d’un sens des responsabilités. Puissent les autorités publiques être à la hauteur de cette éthique de responsabilité en ouvrant enfin le débat. La prohibition tue ! A Marseille comme ailleurs.

 

Par Sébastien Barles, ex-élu écologiste de Marseille, animateur du collectif citoyen Les Gabians , Mohammed BENSAADA, militant du Front de gauche, responsable du collectif Quartiers Nord quartiers forts et Michèle RUBIROLA, médecin en santé publique et en prévention des risques, conseillère départementale EELV des Bouches-du-Rhône 

 

Source: liberation.fr

 

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