Drogue: engluée dans le débat sanitaire, la France oublie les bienfaits de la légalisation


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LE PLUS. Alors que le continent américain avance à grand pas vers une sortie de la prohibition des drogues, grâce à une alliance insolite entre la sphère économique et les défenseurs des minorités, la France continue de se focaliser sur le débat sanitaire.

Fabrice Olivet, directeur de l’association ASUD (Auto Support des Usagers de Drogues), retrace l'histoire de la bataille française dans une guerre perdue contre la drogue.

 

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Préparation d'un "joint" de cannabis, illustration (N. Chauveau/Sipa)

 

Quels sont les arguments qui ont fait basculer les États-Unis dans le camp de la réforme des politique des drogues : la protection de la jeunesse ? Le nombre d'overdoses ?

 

Non, ce qui a convaincu les Américains c’est d’abord le coût économique de la répression, et ensuite, le niveau de violence atteint par une guerre à la drogue qui génère une insécurité chronique et une incarcération de masse à connotation raciale.

 

Or ces deux arguments sont précisément ceux qui peinent à trouver une place dans le débat français. Dans notre pays, la polémique restant globalement sanitaire, les partisans du changement sont condamnés à marteler une vérité contre-intuitive : légaliser les drogues reviendrait à mieux protéger nos enfants contre les dépendances

 

"Legalize it all"

 

"Nous savions que nous ne pouvions mettre hors-la-loi les pacifistes et les Noirs. Mais en les associant à la marijuana et à l’héroïne (…), nous pouvions arrêter leurs dirigeants, perquisitionner leurs domiciles, interrompre leurs meetings et les vilipender chaque soirs au journal télévisé." [1]

 

Les confidences de John Ehrlichman, ancien conseiller spécial de Richard Nixon, ont fait la une de tous les médias américains depuis un mois. CNN, le "Washingtons Post", le "Daily Telegraph", tous ont repris en boucle ces déclarations pour conclure avec Dan Baum du "Harper’s" : "Legalize it all".

 

Depuis la parution du best-seller de Michel Alexander, le "New Jim Crow" (New press , 2010), l’incarcération de masse des afro-américains est l’objet d’un débat de fond permanent aux États-Unis. 

 

Les récentes violences policières de Ferguson n’ont fait que renforcer l’amplitude de la controverse, obligeant Hillary Clinton et Bernie Saunders à monter au créneau, munis des statistiques brutales du "Sentencing Project", l'organisme statistique américain spécialisé dans les questions judiciaires et carcérales : un homme noir sur trois ira en prison au cours de sa vie, et la moitié d’entre eux pour un délit lié aux lois sur les stupéfiants.

 

 

Rhétorique raciale

 

 

De ce côté-ci de l’Atlantique, les partisans d’une réforme des politiques de drogues semblent tétanisés à l’idée de reprendre tout ou partie de cette rhétorique raciale pour la décliner sur la réalité française. Les propos de Michel Alexander sont pourtant éloquents, si l’on fait un tout petit effort d’imagination en superposant les termes "Noirs" et "arabes" :

 

"Les dealers blacks ont fait la une de la presse et des journaux télé, changeant subrepticement l’image que nous avions du monde de la dope (…) Malgré le fait que (…) toutes les statistiques montrent que les Noirs ne vendent, ni ne consomment plus de drogues que les Blancs, (...) le public en est arrivé à associer la couleur noire avec les stupéfiants."

 

Pourtant, ni Stéphane Gatignon, ni Daniel Vaillant, ni même récemment Patrick Mennucci, l’élu socialiste de Marseille, n’ont osé inclure une thématique "raciale" dans leur plaidoyers pour un changement de législation. Leur argumentaire reste prudemment orienté sur la fin des guerres de gangs, sans y inclure l’idée simple que c’est la demande qui crée l’offre, que les zones de non-droits sont également celles du harcèlement policier ordinaire, et que la focalisation sur les quartiers où vivent les minorités visibles ne peut que participer à la construction du stéréotype du "dealer maghrébin".

 

 

Les États-Unis : les champions de la réforme

 

 

Pire, il semblerait qu’en France la question ethnique soit, au contraire, le cheval de bataille des champions d’une répression centrée sur les "quartiers".

 

C’est tout d‘abord Eric Zemmour, avec son désormais célèbre "Chacun sait que tous les trafiquants sont noirs ou arabes", suivi, dans un autre registre, par la sénatrice socialiste Samia Ghali, qui réclame un surcroît de forces de l’ordre, au nom de la spécificité ethnique des quartiers nord de Marseille.

 

En résumé : "Pourquoi nous, les Arabes, nous serions privés de police ?"

 

L’absence de statistiques ethniques ou la crainte d’alimenter les phobies identitaires du Front national n’expliquent pas tout. Les drogues restent pour les Français, y compris ceux qui sont victimes de discriminations, un sujet "tabou", "sale", qui n’est pas digne d’être hissé au rang de la protestation citoyenne.

 

Ce déficit moral condamne les partisans du changement à délaisser le terrain du racisme, mais également le registre économique et financier, un boulevard qui permet aujourd’hui à l'Amérique de devenir le champion des partisans de la réforme, après avoir littéralement inventé la guerre à la drogue.

 

Un avant et un après Barack Obama

 

Combien ça nous coûte, et combien ça va nous rapporter? L’argument économique reste le levier principal de la réforme aux États-Unis. Depuis vingt ans, le Drug Policy Alliance, le lobby financé par le milliardaire Georges Soros, a peu à peu construit un réquisitoire implacable contre la prohibition sur le double thème de l’argent et de la sécurité.

 

Son charismatique directeur Ethan Nadelmann, a eu l’intelligence de s’appuyer, à droite, sur l’hostilité traditionnelle des Républicains à l’égard des interventions de l’État, et à gauche sur la dénonciation de l’incarcération de masse des minorités.

 

C’est à ce travail de longue haleine que le président Obama a donné discrètement la main. En matière de drogue, c’est sûr, il y aura un avant et un après Barack Obama.

 

Secret partisan de la réforme, il a préféré laisser la main aux États plutôt que d’engager sa crédibilité. Mais si la présidence n’a pas encore changé officiellement de position, le président, lui, a multiplié les gestes significatifs, déclarant que l’usage n’était pas "une  question criminelle", et graciant plusieurs centaines de condamnés.

 

Aujourd’hui le cannabis est disponible légalement dans 27 États, avec une ordonnance ou une bonne assurance privée, 55% des électeurs sont favorables à une légalisation, et ce déploiement s’effectue à l’intérieur d’une véritable coalition continentale où le Canada et les États latino-américains parlent d’une même voix.

 

 

Le cannabis : détente, fous rires

 

 

Face à cette véritable prise d’armes, on reste perplexe devant le spectacle des atermoiements Français.

 

A l’UNGASS (United Nation General Assemblee Special Session), le grand raout décennal de l’ONU, Danièle Jourdain-Ménninger, la "Madame drogue" du gouvernement, avance avec son "approche équilibré", devenue "politique des petits pas", un prêche pour le maintien de l’interdit, sous prétexte de ne pas faire "d’idéologie".

 

Là encore, l’habitude des acteurs professionnels d’utiliser la martingale de la réduction des risques, pour avancer sur le front sensible d’une sortie de la prohibition finit par être contre-productive.

 

Dès que l’on parle des drogues, les risques et les dommages, c’est l’angoisse ! Or la grande majorité des fumeurs de cannabis associent spontanément leurs substances à la détente, au fou rire, voire à la créativité, mais assez rarement à la schizophrénie.

 

Le caractère éminemment anxiogène de ce qui tourne autour de la santé et des addictions explique sans doute pour une grande part l’inefficacité de cet argument auprès de l’opinion publique. Ajoutons qu’il s’agit d’un discours contre-intuitif à l’extrême : retirer l’interdit est supposé éloigner notre jeunesse de la dépendance.

 

 

"Treatment is bullshit"

 

 

La France souffre de son incapacité à porter le débat sur un terrain qui intéresse tout un chacun comme potentiel consommateur et comme citoyen.

 

La plupart des acteurs semblent ne pas réaliser l’énorme écart qui existe entre une rhétorique basée sur les dommages, même s’il s’agit de les réduire, et le discours positif des américains sur l’enrichissement personnel et la justice pour tous.

 

Une suzeraineté de la sphère médicale qui a l’heur d’insupporter le Dr Hart, neurobiologiste iconoclaste justement invité le 7 avril dernier par l’École de Hautes Etudes en Sciences sociales.

 

À une question posée dans l'assemblée sur la validité des traitements en prison, il a répondu par un tonitruant : "treament is bullshit !", signifiant par là, sans ambiguïtés, que l’obsession française des traitements ne concerne que la petite minorité des consommations "à problème". 

 

Le parapluie sanitaire n’est qu’une énième expression d’un moralisme anti-drogue, qui s’adresse aujourd’hui au malade comme il s’adressait hier au délinquant : dans les deux cas, on parle d’un autre, quand il faudrait d’abord parler de soi.

 

Source: leplus.nouvelobs.com



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Salut,

 

Merci pour le partage.

Le nouvel obs nous ressert encore une fois la citation tronquée d'Eric Zemmour... Comme si le type et ses idées n'étaient pas suffisamment détestable comme ça. Je ne comprend pas les journalistes qui s'adonnent à ce genre de pratiques par pure idéologie. C'est tout a fait contre productif et pour moi ça suffit pour décrédibiliser l'article.

 

@++ :)

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Slt,

Moi ça me choque toujours les représentations dégueulasses des joints comme sur la photo, les branches avec tabac mains crades comme à la télé ( avec du shit pourris) joint pas tassé qui par en couilles sans tonc. Comme si ils vont nous montrer un clodo sale avec des bouteilles et des cannettes dans la rue pour parler d'alcool.

Non ils vont nous montrer les belles vignes et les fûts de chênes avec les belles bouteilles ... -.-'

Ciao

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Ciao tutti

 

Les journaux voient quotidiennement s effriter leur lectorat et donc leurs recettes publicitaires.

Il faut bien comprendre que les dividendes versés aux actionnaires sont essentiels pour la survie d un journal.

Donc du sensationnel, des gros titres, la désinformation...le mensonge.

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