Dépénalisation du cannabis : les 6 urgences médicales oubliées par les politiques


Messages recommandés

LE PLUS: Michel Lejoyeux est professeur de psychiatrie et d’addictologie à l’Université Paris Diderot et auteur de "Les quatre saisons de la bonne humeur" aux Editions Lattès. Selon lui, le débat autour de la dépénalisation du cannabis relève plus de la politique que de la santé. Que le produit soit légal ou non, les consommateurs continuent de s'intoxiquer, met-il en garde.

 

2111463752267.jpg

Illustration d'un jeune allumant un joint de cannabis (Ermindo Armino/SIPA)

 

Vous êtes candidat à la présidence de la République et vous voulez afficher votre politique dans le champ des addictions ? Vous voulez montrer que ce sujet ne vous laisse pas indifférent. Rien de plus simple. Prenez position pour ou contre (de préférence contre) la pénalisation du cannabis.

 

Ils sont nombreux à s’y  être lancés. Benoît Hamon veut s’attaquer à la vraie gangrène qu’est l’économie du cannabis. Bien d’autres sont sur cette

ligne. Ils nous parlent, certainement à juste titre, de sécurité, de financement des filières terroristes. J’ai envie, en tant que médecin et addictologue, d’élargir le débat et de pointer quelques urgences médicales trop souvent oubliées au profit des autres aspects de la dépendance au cannabis.

 

1. Que le cannabis soit légal, autorisé ou interdit n’enlèvera rien à sa toxicité 

 

La toxicité est cérébrale, psychologique et sociale. Qu’on l’interdise ou qu’on l’autorise, on doit toujours avoir le même objectif : la réduction de la consommation de cannabis.

 

La communication anti-cannabis ne doit pas se relâcher, quelle que soit la décision prise et l’on devrait encore plus informer sur les dangers de ce produit s’il était plus facilement accessible.

 

Il ne faudrait pas qu’une décision de dépénalisation, éventuellement justifiée par la sécurité ou l’économie, ne dérive vers un message subliminal d’incitation à la consommation. Dépénalisation ne doit pas vouloir dire banalisation ou dédramatisation de ce qui reste une vraie addiction.

 

2. Les addictions en France, comme ailleurs, ne se limitent pas au cannabis

 

L’alcool est un produit dont l’impact en termes de santé publique est sensiblement supérieur à celui du cannabis. On retrouve pourtant moins de mobilisation politique quand il s’agit de défendre des lois comme la loi Evin, limitant la publicité pour l’alcool. Le sujet est moins porteur politiquement que l’interdiction ou la dépénalisation.

 

Le tabou sur l’alcool est en France encore plus fort que celui qui pèse sur le cannabis. Et que dire des dizaines de milliers de morts précoces du fait du tabac ?

 

Si l’on s’intéresse à l’impact des addictions sur la santé et pas seulement aux grands débats de société, tout avis sur le cannabis devrait être accompagné d’une prise de position globale sur toutes les molécules donnant lieu à une addiction : alcool, tabac, médicaments détournés de leur usage.

 

3. Un domaine riche en opinions, en passions et pauvre en évaluation

 

Le domaine de la dépendance aux drogues licites et illicites est riche en opinions, en passions et pauvre en évaluation. On se traite volontiers d’irresponsable, de rétrograde mais sans vraie justification à ces noms d’oiseau. Nous aurions pourtant besoin, et le plus vite possible, d’études épidémiologiques précises sur le nombre de personnes dépendantes de ces différentes substances. Tous les gouvernants nous l’ont promis. Aucun n’a financé une étude d’ampleur en population générale.

 

Aujourd’hui, la France est l’un des seuls pays d’Europe dans lequel on ne sache pas avec précision combien de personnes sont concernées par ces addictions. On ignore aussi les facteurs de risque et les tranches d’âge les plus exposées. L’urgence est donc à une étude en population générale pour définir l’ampleur du phénomène. Il faut, comme c’est fait dans la plupart des autre pays, donner à des laboratoires d’épidémiologie fiables la mission de mesurer : le nombre de consommateurs, le nombre de consommateurs à problèmes, les dommages psychologiques et médicaux des consommations. 

 

Ces chiffres doivent être disponibles en continu sur le mode d’un observatoire. Nous observons la progression de la grippe, de la grippe aviaire, de la pollution. Mais qui s’intéresse à l’état de la population au regard des drogues légale ou illégales. Cette observation est la première étape de toute décision politique. On ne peut pas réfléchir à la manière de contrer un phénomène dont on ne sait mesurer les caractéristiques et l’importance.

 

4. La légalisation devrait être accompagnée d’une évaluation en temps réel

 

Si une légalisation était décidée, elle devrait être accompagnée d’une évaluation en temps réel qui montre en population générale, l’évolution du nombre de consommateurs à problèmes et de dommages. Il faudrait confier cette évaluation à des équipes scientifiques et non à des militants a priori de la pénalisation ou de la dépenalisation.

 

Va-t-on vers une amélioration de la situation ? Induit-on des transferts vers d’autres addictions ?

 

Ces sujets sont trop sérieux pour qu’on se limite à des suppositions. L’addiction est le seul domaine de la médecine où les opinions suffisent ("il faut interdire, c’est trop dangereux" contre "il faut autoriser, d’autres l’ont fait et en sont satisfaits"). Nous avons besoin d’arguments scientifiques et médicaux pour justifier toute décision politique et en mesurer les conséquences favorables ou dangereuses. Imagine-t-on une orientation dans le champ du cancer ou de la cardiologie que l’on prendrait simplement parce qu’un spécialiste ou un politique "pense" que c’est la meilleure solution ou encore parce que d’autres pays l’ont essayée et nous ont dit que c’était bien.

 

5. Il n'y a pas que des conséquences sociales et politiques

 

Il ne faut pas seulement s’intéresser aux conséquences sociales et politiques de la consommation de cannabis et d’autres substances psycho-actives. Il faut aussi regarder en face le mal-être, la déprime individuelle et collective qui nourrit l’addiction, l’aggrave et transforme une consommation occasionnelle en un refuge que l’on ne quitte plus.

 

Je crois à l’utilité contre l’addiction des méthodes, sur lesquelles je travaille avec d’autres, de protection de la santé physique et psychique. Tout ce qui va contre la déprime, le stress, le surmenage, la sédentarité, l’usage excessif des nouvelles technologies, tout cela est aussi une réponse préventive et curative à l’addiction.

 

6. Parlons plus de santé et moins de politique

 

Le médecin que je suis aimerait que l’on parle plus de santé que de politique et un peu moins d’économie de la drogue et de sécurité.

 

Aujourd’hui, les jeunes utilisateurs de cannabis sont exposés à des complications psychiatriques (psychose, dépression). Ces symptômes restent mal connus et insuffisamment soignés. Ils ont du mal à accéder à des consultations et ils passent volontiers d’un toxique à un autre, remplaçant à l’occasion le cannabis par de l’alcool ou des médicaments détournés de leur usage.

 

Je ne voudrais pas que leur souffrance apparaisse comme une entité négligeable quand les politiques pro ou anti-pénalisation vont s’affronter. Nous avons vis-à-vis des malades, jeunes et moins jeunes, une responsabilité collective qui relève aussi de la politique au sens le plus noble du terme.

 

Par Michel Lejoyeux, 8171395231104.jpg Psychothérapeute

Édité par Barbara Krief  Auteur parrainé par Daphnée Leportois

 

Source: leplus.nouvelobs.com

  • Like 4
Lien à poster
Partager sur d’autres sites