Retraite à 55 ans, légalisation du cannabis: aux Pays-Bas, le «parti des vieux» tire sa canne du jeu


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A trois mois des élections, le parti 50PLUS fait une percée dans un récent sondage. Son leader charismatique parvient même à faire oublier l'enquête qui a révélé qu'il n'a longtemps pas payé les cotisations retraite de ses employés.

 

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Photo prise lors d'une manifestation en 2013 | Guido van Nispen via Flickr CC License by

 

En France, on critique souvent le fait que la classe politique fasse peu de place aux jeunes pousses. La moyenne d'âge des députés élus en 2010 à l'Assemblée nationale était par exemple de 54,6 ans. Un problème qui semble moins toucher les Pays-Bas: au sein de la Chambre basse (Tweede kamer), la moyenne d'âge des députés est de 46,8 ans.

 

Une hérésie pour Henk Krol, chef de file du parti 50PLUS à la chambre: pour lui, cette moyenne est beaucoup trop basse.

«J'ai 66 ans et je suis le plus vieux des 150 députés. C'est aussi pour cette raison que j'ai rejoint 50PLUS.Les personnes âgées ont été oubliées par les autres partis. Il était donc nécessaire d'agir», explique-t-il par téléphone.

 

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Liste des dix membres les plus âgés de la Seconde chambre

 

Aux côtés des grands partis historiques néerlandais, de nouvelles formations ont ainsi vu le jour dans les années 2000. Un peu comme Chasse, pêche, nature et traditions dans l'Hexagone, ces partis ne se sont pas formés sur une idéologie politique mais sont plutôt centrés sur une cause ou un pan de la société à défendre. C'est le cas par exemple du Partij voor de Dieren (Parti pour les animaux) et donc du parti 50PLUS qui défend, comme son nom le laisse deviner, les droits des aînés. 

 

«Le parti est de plus en plus populaire et je ne sais pas pourquoi. Je crois que les gens pensent que pour gouverner, il faut avoir une certaine expérience dans le business, le commerce, au sein d'une ONG ou dans un autre domaine. Les Néerlandais veulent des représentants qui ont connu la vie civile.»

 

Car la «formation poivre et sel», qui avait déjà réussi à glaner deux sièges à la chambre en 2012, fait actuellement une percée. Le dernier sondage publié par l'institut Maurice de Hond laisse penser que le parti pourrait placer une dizaine de députés en mars prochain. 

 

 

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  Une priorité: les retraites

Pourtant, les grandes lignes du parti n'ont pas beaucoup changé depuis la création de la formation, en 2009. Sans surprise, 50PLUS s'attaque toujours prioritairement à la question de l'âge légal du départ à la retraite. Aux Pays-Bas, il est déjà de 65 ans. Et cela ne va pas aller en s'arrangeant puisqu'à partir de 2022, il sera de 67 ans et 3 mois«Nous, on veut que tout le monde puisse choisir de partir à la retraite à 55 ans. Ceux qui veulent travailler plus longtemps sont libres», explique Krol.

 

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Certaines voix s'élèvent, pourtant, pour critiquer le parti et notamment les plus jeunes touchés comme partout en Europe par le chômage et la précarité. «Certains critiquent le fait que 50PLUS défende les intérêts d'un groupe qui va plutôt bien et soit donc égoïste car trop ciblé. Les jeunes paient pour la retraite des plus vieux alors qu'ils ne sont pas sûrs d'en avoir une», rappelle Floris Vermeulen, professeur de Sciences politiques à l'université d'Amsterdam (photo à gauche, DR).

 

«La plupart de nos électeurs sont retraités. Ils le font surtout pour leurs petits-enfants ou leurs enfants», se défend Henk Krol, qui cite une étude de l'université d'Amsterdam selon laquelle 65% des jeunes interrogés approuvent les idées de 50PLUS. «Les jeunes ont répondu à des questions sur un ordinateur. A partir de leurs réponses, le logiciel a choisi de quel parti ils sont les plus proches», explique-t-il. Cette étude, inconnue du politologue Floris Vermeulen, est pour l'instant fantôme: contacté par mail, le politicien n'a pas pu en fournir une copie.

 

De droite ou de gauche?

 

La retraite des Néerlandais n'est pas le seul leitmotiv de 50PLUS. Henk Krol et ses poulains affirment ainsi être «contre l'usage du cannabis» mais veulent néanmoins le légaliser «pour qu'il rapporte de l'argent à l'Etat comme pour le tabac ou l'alcool». 

 

Car contrairement aux idées reçues, le cannabis n'est toujours pas légalisé au Pays-Bas. Si la vente (et la consommation) dans les coffee shops reste tolérée sous conditions, la production et la détention en rue est toujours illégale même si pour moins de 5 grammes les poursuites sont très rares.

 

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Henk Krol dans l'enceinte de la "Tweede kamer" à la Haye. Photo DR

 

Dans le même temps, le parti des retraités parle aussi immigration. Henk Krol affirme qu'il ne souhaite pas marcher sur les plates-bandes du nationaliste Geert Wilders et de son Parti de la liberté, actuellement en tête des sondages. «Les réfugiés qui fuient la guerre sont les bienvenus», argue-t-il tout en souhaitant, malgré tout, mieux contrôler leur arrivée. «Si un étranger vient pour une raison économique, il doit directement être refoulé à la frontière.»

Pas facile donc de placer 50PLUS sur l'échiquier politique, comme l'explique Floris Vermeulen.

 

«C'est dur de dire si c'est un parti plus à gauche ou plus à droite dans la mesure où il défend les intérêts d'un groupe particulier. Sur la défense des retraites, de l'État-providence, les propositions paraissent plus à gauche. Mais 50PLUS a aussi des mesures plus conservatrices.»

 

Frank Michael néerlandais

 

Car l'homme politique est en quelque sorte aussi doué que Frank Michael pour se mettre les plus vieux dans la poche. «Il est sympa, souvent à la télé, il danse et chante avec les personnes âgées», confirme Floris Vermeulen, qui loue le charisme du politicien hollandais.

Le parti sait y faire puisque 50PLUS s'est attaché les services de Ben Cramer, un ancien participant à l'Eurovision, pour chanter un peu énervé une ode à la gloire du parti.

 

 

Un scandale qui fait tache

En 2013, alors qu'il était déjà député, Henk Krol a été accusé de ne pas avoir payé pendant plusieurs années les retraites de ses employés lorsqu'il dirigeait un magazine gay. Un scandale dévoilé à l'époque par le journaliste d'investigation Jeroen Trommelen (Photo DR) qui se souvient:

 

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«Il critiquait le gouvernement et les entreprises sur la question des retraites et lui-même ne payait pas ses cotisations. Il a fait exactement la même chose. La veille de la publication, il a nié les faits que j'avançais en expliquant que c'était vrai mais que ce n'était pas sa faute personnelle. Ce n'est pas crédible dans la mesure où il avait fait signer à ses employés une déclaration dans laquelle ils s'engageaient à ne pas divulguer cette information...»

 

 

En somme, c'est un peu comme si le ministre du Budget français censé lutter contre la fraude fiscale avait un compte en Suisse.

Après la publication de l'enquête, le député a décidé de démissionner dans la foulée. «Je regrette toute cette affaire. C'était une toute petite entreprise et la situation financière était critique. C'était la seule possibilité pour nous de ne pas faire faillite. J'ai tout payé après coup, ce n'était pas illégal», se défend Henk Krol encore aujourd'hui. 

 

«Les gens sont au courant de l'histoire des cotisations impayées mais ils l'aiment toujours, constate le journaliste Jeroen Trommelen.C'est un mystère pour moi mais je ne comprends pas non plus pourquoi les électeurs ont voté pour Trump aux USA.Il dit ce que les gens ont envie d'entendre.  Je crois que c'est encore un vote anti-establishment. Les Néerlandais vont travailler plus et le montant de leur retraite va diminuer. Les électeurs critiquent les partis au pouvoir pour cela.»

 

Il n'y a finalement pas eu d'enquête judiciaire et suite à la maladie de sa remplaçante, Krol est donc revenu aux affaires encore plus populaire. Il entend bien aujourd'hui peser dans l'édification d'une coalition, et pourquoi pas faire son entrée dans le prochain gouvernement. Ce serait une première dans l'histoire du jeune parti.

 

Jacques Besnard

 

Source: slate.fr

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