Suisse - La pharmacie qui cartonne avec ses potions à base de cannabis


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Santé: Pionnier bernois du cannabis à usage médical, le Dr Fankhauser croule sous les demandes. Rencontre.

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2000 personnes ont déjà eu accès au précieux cannabis thérapeutique de Manfred Fankhauser. En Suisse alémanique, il est surnommé «Hanf-Apotheker», le pharmacien du chanvre. Image: Gabriel Sassoon

 

 

Ses vieilles maisons traditionnelles et la vue sur les Alpes bernoises font le charme de Langnau (BE). Dans ce décor pittoresque de l’Emmental, une pharmacie fait aussi parler d’elle loin à la ronde.

 

Alors que plusieurs villes suisses, dont Genève et Lausanne, ficellent des projets pilotes de régulation du marché du cannabis, se procurer de la marijuana légalement est ici une réalité depuis plusieurs années déjà. A deux pas de la gare, la Bahnhof Apotheke vend ses propres préparations magistrales à base de cannabis. Elle est la seule du genre dans le pays, et son propriétaire, Manfred Fankhauser, un pionnier dans le domaine. Outre-Sarine, le quinquagénaire à blouse blanche est surnommé Hanf-Apotheker, le pharmacien du chanvre.

 

En franchissant la porte de son élégante droguerie, on ne peut s’empêcher de humer l’air, à l’affût d’une odeur suspecte. Peine perdue: le cannabis médical ne s’étale pas dans les rayons et est pratiquement inodore. La pharmacie propose trois produits: de l’huile, une teinture ainsi que du dronabinol – du THC synthétique –, le principal agent psychoactif de la plante.

 

Tous sont administrés par voie orale, sous forme de gouttes. Dans l’arrière-salle, une pharmacienne s’affaire à préparer une dizaine de flacons de ces traitements avant de les envoyer directement à un patient, à son médecin ou à l’hôpital. «C’est une journée plutôt calme. Certains jours, nous avons jusqu’à trente envois.»

 

Pathologies sévères

 

Entrée en vigueur en 2011, la nouvelle loi sur les stupéfiants (Stup) autorise à de strictes conditions la préparation de cannabis thérapeutique et sa vente à des personnes atteintes de pathologies sévères. Chaque année, les demandes sont plus nombreuses à atterrir sur le bureau de Manfred Fank­hauser. De cinq patients à ses débuts, il en compte actuellement six cents. En tout, deux mille personnes ont eu accès à ses préparations. L’activité représente 20% de son chiffre d’affaires.

 

«Les personnes qui s’adressent à nous sont souvent désespérées, raconte le docteur en pharmacie. Aucun médicament ne soulage leurs maux. A dosage médical, le cannabis peut réduire considérablement certaines douleurs, sans que les patients ne subissent les effets secondaires d’une consommation classique, comme la somnolence.» Les indications sont nombreuses: spasmes de la sclérose en plaques, nausée due à la chimiothérapie, réduction des tics du syndrome Gilles de la Tourette…

 

Le cannabis qui entre dans la composition des huiles et teintures du docteur Fankhauser est cultivé quelque part sur les bords du lac de Constance. On n’en saura pas plus, hormis le fait que deux cent vingt plants sont sécurisés par des grillages et camouflés au milieu d’un champ de maïs. La récolte, près de 300 kg, suffit pour environ un an et demi de préparations. Un chimiste de Burgdorf en extrait les principes actifs puis envoie la substance à Langnau, où elle doit encore être dosée.

 

Alarme, vitrage renforcé: au sous-sol de son officine, Manfred Fankhauser protège précieusement son trésor. «Un gramme de dronabinol coûte 1700 fr.», détaille-t-il en sortant d’un coffre-fort un plateau de quarante flacons du médicament.

 

Hausse exponentielle de la demande

 

Une personne qui souhaite se voir prescrire du cannabis médical doit demander, par l’intermédiaire de son médecin, une autorisation exceptionnelle à l’Office fédéral de la santé publique (OFSP). Il doit préciser pourquoi il ne peut pas se servir d’un autre produit.

Depuis l’entrée en vigueur de la nouvelle loi sur les stupéfiants, les demandes ont augmenté de manière exceptionnelle, indique l’OFSP. En 2012, il a octroyé 350 autorisations, puis 740 en 2013, 1000 en 2014. La tendance à la hausse s’est vérifiée l’an dernier, avec plus de 1700 autorisations délivrées!

Une pharmacie qui souhaite préparer et vendre des médicaments à base de cannabis à ses clients doit également en faire la demande auprès de l’OFSP. A ce jour, hormis la Bahnhof Apotheke de Manfred Fankhauser, seules «quelques» autres officines ont obtenu une telle autorisation. L’Office ne donne pas plus de détail pour des «raisons de sécurité».

Manfred Fankhauser estime que sa pharmacie couvre environ 90% des besoins en Suisse. Il est en tout cas le seul à proposer ses propres préparations.

Depuis 2014, l’entreprise pharmaceutique Hänseler basée à Herisau (AR) dispose d’une autorisation exceptionnelle pour extraire des graines de cannabis une huile contenant un peu de THC. La substance est vendue aux pharmaciens et rentre dans la fabrication de préparations magistrales au chanvre indien.

 

Lourdeur administrative

 

Passionné par les plantes psychotropes – à titre purement académique: il n’a tiré qu’une fois sur un joint –, ce fils d’agriculteur a réalisé sa thèse sur l’usage thérapeutique du cannabis, de l’Antiquité en passant par «l’apothéose médicale» de la fin du XIXe à la diabolisation du haschisch dans les années 1960. «Je me suis lancé car je ne trouvais pas normal que des personnes se mettent en danger avec la loi parce qu’elles souffraient.»

 

Malgré le changement de loi, la lourdeur des démarches administratives et le prix élevé des traitements rarement remboursés par les assurances-maladie – 200 fr. à 500 fr. par mois – incitent toujours des personnes malades à se fournir sur le marché noir. «Il y a trop de barrières.

 

Un médecin devrait pouvoir prescrire du cannabis à un patient sans que ce dernier doive demander une autorisation exceptionnelle à l’Office fédéral de la santé publique. Le système actuel est trop contraignant», regrette Manfred Fankhauser. Il n’est pas le seul à le penser. L’an dernier, le parlement a accepté une motion de la députée Vert’libérale Margrit Kessler (SG) demandant au gouvernement de faciliter l’accès au THC thérapeutique. En parallèle, certains des projets pilotes de régulation du marché du cannabis, notamment le genevois, veulent permettre aux personnes qui consomment du cannabis en automédication de ne plus se mettre en porte-à-faux avec la justice.

 

Manfred Fankhauser salue ces initiatives. Il se montre toutefois prudent face aux velléités de libéralisation du marché du cannabis. «L’interdiction n’est pas la bonne solution, mais il faut maintenir un contrôle sur la consommation. Si le cannabis devenait légal, je redoute que fumeurs de joints et patients soient à nouveau mélangés dans le débat public, au détriment des derniers.»

 

Par Gabriel Sassoon (TDG)

 

Source: tdg.ch

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