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Pour un renouveau de la culture du cannabis loin de ses écrans de fumée

À quelques mois du dépôt prévu par le gouvernement Trudeau d’un projet de loi sur la légalisation du cannabis, Michel Morin et Jean-Marc Beausoleil racontent un changement de culture annoncé dans notre rapport à l’entêtante plante verte.

 

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Photo: Getty Images «La diabolisation du "pot", c’est vraiment ce qu’on appelle une culture», observe Michel Morin, sans jeu de mots.

 

« Roulement de tambour et déclaration solennelle : Marc Boris St-Maurice, le plus connu des militants pro-marijuana au Québec et l’un des plus visibles au Canada, ne fume plus de pot depuis plusieurs années », révèle l’écrivain Jean-Marc Beausoleil dans Monsieur Boris et le cannabis, le portrait qu’il consacre à l’ancien bassiste du mythique groupe Grimskunk, membre depuis 2004 du Parti libéral du Canada.

 

Au bout du fil, l’ancien punk parle aujourd’hui avec ce même souci d’être pris au sérieux qui a toujours guidé ses prises de parole, bien qu’aux yeux d’une partie de l’électorat et des médias, son Bloc pot, improbable parti provincial fondé en 1998, avait toutes les allures d’un Parti rhinocéros vaguement plus enfumé.

 

« Pardon, Monsieur, mais doit-on avoir le sida pour souhaiter un remède ? » répliquait-il systématiquement aux scribes éberlués que celui qui faisait campagne pour le pot refuse de divulguer s’il emboucanait fréquemment, ou pas, ses propres poumons. Même stoïcisme face à ceux qui lui tendaient des perches comiques.

 

« C’est trop facile de juste tomber dans l’humour, ce que beaucoup font. Je ne sais pas si c’est parce que le produit donne le fou rire aux gens… Comme je savais que ça allait être perçu comme une blague, je me suis dit qu’il valait mieux y aller avec deux fois plus de solidité. Ridiculiser le sujet, c’est enlever de la légitimité à notre action », explique le directeur général du Centre compassion de Montréal, un dispensaire de cannabis médical.

 

Bien qu’il ne s’empêche pas d’égrener quelques boutades entre les pages de son essai, l’avocat Michel Morin ne rigole pas non plus lorsqu’il évoque les raisons pour lesquelles il compulse depuis quelques années les études et documents divers au sujet de la mari. C’est parce que la légalisation soulagerait le système carcéral et judiciaire d’un poids immense (qui ne se mesure pas en grammes) qu’il signe Ô Cannabis, tout ce que vous devez savoir sur le cannabis, sa prohibition et sa légalisation, plaidoyer en forme de « Pot pour les nuls ».

 

« En 2014 et 2015, je travaillais en région pour l’aide juridique et je n’en revenais pas du nombre de cas de possession simple qui aboutissaient sur mon bureau. Le pire, c’est qu’il y avait là-bas un juge archi-law and order, très sévère, dans les affaires de pot », raconte celui qui se rappelle, dans les premières pages de son livre, le cas d’un client surpris par la police avec 3,5 grammes sur sa table de cuisine, au cours d’une simple visite pour plainte de bruit. Le pauvre compagnon de la fumette écopera d’un séjour de dix nuitées sous les verrous. « C’est une exception, oui, parce que le Québec est la province où on donne le plus de free-pass pour ça, mais c’est niaiseux quand même. »

 

Pourquoi c’est illégal ?

 

Kafka ne fumait peut-être pas de pot, mais il aurait sans doute savouré le récit des circonstances dans lesquelles la plante verte allait passer du côté obscur des substances qui grisent. « Pourquoi donc, et comment, le cannabis devient-il illégal en 1923 au Canada ? La vérité, c’est qu’on ne peut identifier une raison précise », écrit Michel Morin en évoquant « un cocktail mêlant politique, moralité, xénophobie, intérêts économiques et, disons-le franchement, quelque chose qui ressemble à un imbroglio législatif ».

 

Le populaire pamphlet raciste The Black Candle (1922), dans lequel la première femme juge au pays, Emily Murphy, imaginait un complot fomenté par « l’étranger » afin de dévoyer dans la drogue la majorité blanche, aura sans doute contribué à ce que la marijuana soit ajoutée à la liste des substances illicites pendant une session parlementaire nocturne, le 23 avril 1923. Le pot ne représentait pourtant pas un problème criant : la première saisie par des policiers attendra 1937.

 

« La diabolisation du pot, c’est vraiment ce qu’on appelle une culture, observe Michel Morin, sans jeu de mots. Les parlementaires n’avaient aucune donnée scientifique entre les mains. Mais ça se change, une culture. J’ai de la misère à concevoir que quelqu’un d’informé puisse être contre la légalisation. Avec l’usage du cannabis, on n’aurait jamais dû être dans la sphère du criminel, mais bien dans celle de la pensée critique. »

 

Le projet de loi, buzzant ou pas ?

 

En renonçant en 2004 à la direction du Parti marijuana pour mieux s’acheter une carte du Parti libéral du Canada, Marc Boris St-Maurice était dépeint par certains collègues militants en risible renégat. On comprendra que le projet de loi sur la légalisation de la marijuana que déposera le gouvernement Trudeau au printemps lui arrache un léger sourire de satisfaction. Il avait raison de se ranger du côté de ceux qui, selon lui, pouvaient vraiment transporter sa cause jusque dans la réalité, observe-t-il.

 

« Je suis craintif par rapport à la réaction des médias, signale Michel Morin quant au projet. J’ai peur que si c’est adopté, on se précipite pour trouver tous les cas d’accidents ou d’admissions à l’hôpital, de manière anecdotique, après trois semaines, pour discréditer son bien-fondé, alors qu’il faudra attendre au moins deux ans pour avoir de vraies données entre les mains. »

 

« Ça, ça ne m’inquiète pas. Salir le pot, c’est ce que font les médias depuis 50 ans », pense pour sa part Marc Boris Saint-Maurice. Ses appréhensions concernent davantage le cadre commercial mis en place advenant une légalisation. La production et la vente pourraient-elles être concentrées entre les mains de quelques gros joueurs, ou d’une société d’État ?

 

L’homme d’affaires qu’il est, lui, espère un marché libre. « J’imagine une offre qui ressemblerait à celle de la bière, avec des grands comme Coors, et des plus petits comme Dieu du ciel. Moi, je m’imagine au milieu, un peu comme Boréal, mettons. »

 

Ô Cannabis
Michel Morin Perro éditeur Shawinigan, 2017, 375 pages. Aussi: «Monsieur Boris et le cannabis», Jean-Marc Beausoleil, Québec Amérique, Montréal, 2017, 192 pages

 

Dominic Tardif

 

Source: ledevoir.com

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