Le nombre de cultivateurs de cannabis est en constante augmentation en Ile-de-France. Le temps libre avec le confinement a fait franchir le pas à certains jardiniers-fumeurs. Ils y voient le plaisir de faire pousser et produire soi-même son «herbe».
«Grâce aux graines autofloraison, on est sûrs d’avoir des résultats en trois mois, même en étant débutants», affirment Dany et Marco, des étudiants qui profitent du champ derrière leur maison pour cultiver du cannabis. LP/F.L.
D'autres qui dealent déjà des produits importés, y voient des gains supplémentaires : « Cela ne coûte presque rien à produire et ça rapporte bien, à 10 euros le gramme », avance un trentenaire de Seine-Saint-Denis, qui revend depuis près de dix ans. Selon les chiffres de l'office anti-stupéfiants (Ofast), « en culture indoor, 6 pieds peuvent rapporter 14 000 euros par an ».
Mais surtout, tous assurent qu'avec les manipulations génétiques sur les graines, « il est beaucoup plus facile de cultiver du cannabis qu'avant, notamment en extérieur. » Le climat francilien convient très bien à ces nouvelles variétés de cannabis. Et en grande couronne parisienne, les terrains pour planter ne manquent pas… «Avant il fallait s'acheter tout un matériel pour la culture indoor et c'est un investissement coûteux, je n'avais pas voulu franchir le pas, là c'est économique », confie Loïc qui vient de planter ses premières graines dans son jardin du sud de l'Essonne.
«On disait à nos potes : Vas te décrocher un joint sur la branche»
« Grâce aux graines autofloraison, on est sûr d'avoir des résultats en trois mois, même en étant débutant », affirment Dany et Marco (leurs prénoms ont été modifiés), étudiants de 22 et 23 ans en tourisme et en économie, vivant dans une commune proche de Chelles (Seine-et-Marne). « Je me suis mis à planter trois pieds lors du premier confinement, en mars 2020, reprend Marco. On avait du temps, on devait rester chez nous…»
Son ami Dany lui a emboîté le pas. « En août, en vacances, on a pu fumer ce qu'on avait produit, rigolent-ils. C'était séché, et on disait à nos potes : Vas te décrocher un joint sur la branche. » Marco a même enchaîné avec une deuxième récolte quelques semaines plus tard.
Au fond du jardin de leurs familles respectives, s'étend un grand champ et une forêt. « On a pu y mettre nos pousses près de chez nous, sans que cela attire les regards », relatent les deux étudiants qui reconnaissent fumer depuis leur adolescence, lors de soirées entre amis : « On a commencé parce qu'en fumant, on savait qu'on allait se taper des barres de rires pendant des heures, témoigne Dany. On continue de temps en temps, en soirée, ça permet d'être détendu, d'oublier les soucis, tout en restant la même personne. »
«On a fait des erreurs, mais on s'est renseigné sur de nombreux forums pour maximiser le rendement»
Mais jusque-là, ils avaient toujours acheté leur shit (résine) ou leur beuh (herbe) prêts à consommer. « Sans le confinement, je n'aurais jamais commencé à cultiver, même si on avait envie d'essayer depuis longtemps, là on n'avait vraiment que ça à faire », lâche Marco. Tous deux se sont fait livrer leurs graines via des sites Internet hébergés à l'étranger, alors même que des magasins ayant pignon sur rue à Paris en vendent aussi en toute légalité.
« J'en ai pris différentes variétés, une appelée blueberry est censée avoir une couleur bleue », embraye Marco. Au départ, tout ne s'est pas passé comme prévu pour les apprentis jardiniers. « Il faisait froid et il y avait trop peu de soleil, alors pour maximiser le rendement, j'ai tenté d'éclairer avec une lampe de chantier. Et pour mieux laisser passer le soleil, j'ai coupé quelques feuilles, mais ça n'a pas marché », sourit Marco. « On a fait des erreurs, mais on s'est renseigné sur de nombreux forums pour maximiser le rendement, rapporte Dany. On s'est amélioré. »
Et les récoltes de Marco le prouvent. L'étudiant a obtenu 50 grammes d'herbe au cœur de l'été, puis 120 grammes au début de l'automne. « Avec Dany, on s'était même acheté une loupe pour regarder les couleurs des plantes pour savoir à quel stade de leur évolution elles en étaient, on utilisait des peaux de bananes dans l'eau comme engrais. Et pour sécher doucement les plants, j'avais pris des cintres et des petits ventilateurs… »
Car la passion s'empare des étudiants. Avec un troisième ami, lui aussi dans la culture de cannabis, les discussions tournent autour de leurs bébés : « Je les appelais mes fifilles, rigole Marco qui montre ses vidéos où il caresse les feuilles de cannabis. C'est fascinant de voir que tes plantes ont poussé de plusieurs centimètres en une journée, c'est du concret. Au taf pendant mon stage, je pensais à elles, les branches tournées vers le soleil. »
«On ne cherche pas à se faire de l'argent»
Les amis découvrent aussi les contraintes liées au jardinage, la discrétion en plus. « Heureusement qu'on n'avait que trois pieds, parce que vu qu'il faut aller les arroser quotidiennement, t'avais l'air malin à partir au fond de ton jardin avec ton sac rempli de bouteilles d'eau, sans que tes parents ne sachent pourquoi », chambre Dany.
Et puis vient le moment de la découpe et du séchage. « Chez moi ce n'était pas possible d'avoir un endroit pour les entreposer, alors il a fallu que j'emmène mes pieds chez Marco qui a une cabane, se rappelle Dany. C'est là qu'on a vraiment pris des risques à les transporter. J'avais peur d'être contrôlé. On n'a jamais perdu de vue que c est illégal, et on ne veut pas avoir un casier judiciaire. »
Alors, comme dans les films, pour faire 5 minutes de trajet entre les deux maisons, les compères sollicitent un ami, pour avoir un véhicule ouvreur, afin de protéger celui plein de cannabis. « Ça rend un peu parano de cultiver quelque chose d'illégal, avoue Marco. Une fois, alors que j'arrosais les fifilles dans le jardin, il y a un hélicoptère qui a survolé notre zone, j'ai couru me cacher. Notre ami, qui cultivait aussi, a eu peur que l'on ait pu sentir son cannabis quand des gens sont venus récupérer un ballon dans son jardin…»
Mais ce n'est pas le seul écueil pour des apprentis cultivateurs. « On ne savait pas qu'il fallait mettre des gants quand on coupe les branches après la récolte, rigole Marco. Sinon le cannabis rentre par les pores de la peau. La première fois que j'ai voulu m'y mettre, je me suis levé à 11 heures. J'ai commencé, et puis à 11h30 je suis retourné me coucher. KO. »
Des anecdotes qui font le sel de cette expérience à en croire les compères. « Et puis c'est hyper rentable, on a consommé pour plus de 2 000 euros de beuh avec un investissement inférieur à 100 euros », appuie Dany.
Des parents conciliants...
Pas mécontent du produit fini, surtout après avoir bien peaufiné l'affinage, Marco a décidé de faire goûter son herbe à son dealeur. « Il a kiffé, ça flatte, lâche-t-il fièrement. D'ailleurs, quelques semaines plus tard, il était en galère et il a même voulu nous en acheter. » « Mais on a refusé, on ne cherche pas à se faire de l'argent, on n'a pas pour but de jouer à Pablo Escobar », embraye Dany.
Malgré tout, les deux amis ont apprécié l'aura auprès de leur groupe d'amis proches. « On n'a manqué de rien durant toutes les vacances, c'était le bonheur, on m'appelait le jardinier, et nos potes donnaient notre prénom à notre beuh, s'amuse Marco. Et puis elle était vraiment bonne. En étant patient sur l'affinage ça donne un truc fabuleux. »
Ils ont aussi apprécié savoir ce qu'ils fumaient. « On en a pris soin, on sait comment cette beuh a poussé, où on l'a entreposée, confient-ils tous deux. On a fait des soirées dégustation, pour comparer les goûts, les effets… »
Quant à leurs parents, ils ont fini par comprendre que leurs enfants cultivaient du cannabis. « Mais tant qu'ils voient qu'on ne change pas, ça ne les embête pas trop, estiment Marco et Dany. Et nous, on voit les conséquences de l'alcool sur certains, et à nos yeux c'est pire. »